Les surfaces permettant la culture de pleine terre sont rares à Paris. Pourtant près de 20 hectares sont déjà cultivés au sol, soit l’équivalent du jardin des Plantes. Parmi ces espaces on compte, une ferme dans le bois de Vincennes, des vignes à Montmartre, à Bercy, dans le Parc Georges Brassens, à Bagatelle, et à Belleville, mais également des cultures de micro-pousses, des potagers et des vergers dans les jardins partagés et dans de nouveaux espaces qui chaque année s’ajoutent à l’image des talus de la Petite Ceinture, et des sites des Parisculteurs.
Renforcer la part de terres cultivées à Paris implique de mobiliser les espaces verts existants à l’image du jardin du Luxembourg qui accueille depuis plusieurs siècles un vaste jardin fruitier et des ruches. À Paris ce sont 580 hectares de parcs et jardins publics (hors bois), 83 hectares d’espaces verts des grandes institutions et 38,5 hectares d’espaces verts en projet ou à l’étude qui pourraient ainsi être partiellement mis à contribution pour des productions maraîchères, ruches, petits élevages ou jardins partagés, comme cela a été le cas durant les deux guerres mondiales.
Certaines cultures pourraient également trouver leur place sur l’espace public de la voirie en s’appropriant une partie des 200 hectares de stationnement de surface, des 190 hectares des terre-pleins et ronds-points d’îlots de plus de 50 m2, des 547 places et placettes publiques, des 600 voies peu circulées (impasses, passages et villas) et des nombreux retraits d’alignements. À titre d’exemple le stationnement de surface à Paris couvre un espace équivalant à celui d’un verger de 20 000 arbres.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les terre-pleins de l’avenue Foch étaient cultivés pour alimenter les Parisiens. À Cuba, sous l’embargo américain, ce sont les stationnements de surface qui les premiers ont été mis à contribution pour nourrir les habitants. À Détroit, c’est un maillage de rues potagères qui s’est mis en place depuis les années 70. En Angleterre, le mouvement Incredible-Edible s’est approprié, dès 2008, trottoirs, retraits d’alignements et pieds d’immeubles. Cette dynamique se développe en France depuis 2011, à l’initiative de riverains ou de certaines municipalités comme Albi (dépt 81) ou Viry-Châtillon (dépt 91). Ces espaces, à la portée de tous, pourraient devenir supports de potagers partagés, gérés par les agents municipaux ou les riverains par le biais du « permis de végétaliser ». Ils peuvent également voir naître un vaste verger urbain, comme a entrepris de le faire la municipalité de Barcelone en plantant des arbres fruitiers parmi ses alignements d’arbres existants ou la municipalité de Katoomba, près de Sydney, en plantant 20 000 noisetiers dans les rues. Et l’on voit que le contexte actuel invite à retrouver ces possibilités, comme l’a entrepris la ville de Nantes, en mettant en place des potagers dans ses espaces verts, pour fournir des fruits et légumes frais aux familles nantaises les plus précarisées par la crise sanitaire
Les cultures de pleine terre se développent également dans de nombreuses cours parisiennes. Bien qu’il soit aujourd’hui impossible d’en dresser le bilan exact, il est remarquable de constater que Paris renferme 3 300 hectares d’espaces privés non bâtis à l’intérieur de ses îlots, dont environ 600 hectares sont végétalisés et 275 hectares sont inscrits en Espaces Verts Protégés (PLU), auxquels s’ajouteront près de 2,5 hectares d’espaces verts privés en projet ou à l’étude.
30 % de la superficie de Paris est occupée par du bâti, c’est pourquoi les murs et toitures des bâtiments représentent un fort potentiel pour le développement de l’agriculture urbaine. Aujourd’hui, grâce notamment aux différents appels à projets lancés par la ville et à un nombre croissant d’initiatives privées, Paris compte près de 11 hectares cultivés en toitures, auxquels s’ajouteront, plus de 15 hectares en projets ainsi que les nouveaux sites mis à l’appel à projet des Parisculteurs 4. Dans le cas de constructions neuves, les possibilités sont plus vastes et la modification du PLU de Paris invite à renforcer la présence d’installations agricoles sur les toits. L’article 13 impose la végétalisation de toute toiture plate dégageant une surface supérieure à 100 m2 (hors installations techniques), pour les constructions nouvelles et les surélévations, en complémentarité ou superposition d’autres dispositifs économisant ou produisant de l’énergie. Pour toute toiture-terrasse supérieure à 500 m2, le substrat doit permettre de reproduire au mieux les qualités des sols naturels ou permettre l’installation d’une agriculture urbaine en toiture. Parallèlement, l’article 11 du PLU indique que les équipements et les serres de production agricole sont autorisés en saillie des toitures à condition que leur volumétrie s’insère harmonieusement dans le cadre bâti environnant, autorisant ainsi le dépassement des hauteurs maximales des constructions fixées par l’article 10. On pourrait ainsi espérer que les 75 hectares de toitures en travaux ou à l’étude fassent une part belle à l’agriculture sur les toits.
Les murs sont également exploités depuis des siècles pour la culture d’arbres fruitiers et le forçage des cultures maraîchères. En 1870, les 600 km de murs à Pêches de Montreuil produisaient 17 millions de fruits par an. À Paris les appels à projets Houblon et Parisculteurs, ont déjà permis de mettre en culture près d’1 hectare de murs.
La troisième source de foncier à explorer se situe dans les sous-sols de la capitale. Certaines cultures pouvant tirer profit de situations souterraines, comme c’est le cas des champignonnières. Cette pratique débuta en 1814 dans les carrières parisiennes et se développa rapidement en banlieue, à Montrouge, Bagneux ou Meudon. En 1893, on comptait 236 champignonnières dans le département de la Seine. Aujourd’hui Paris compte deux fermes installées dans des parkings souterrains désaffectés, pour produire champignons, endives et jeunes pousses, et plusieurs projets sont à l’étude. Les champignonnières n’avaient pas l’exclusivité des installations en sous-sol, et à la fin du XIXème siècle, on comptait 60 brasseries à Paris, dont une partie se trouvait dans les carrières. À la belle époque, les brasseries situées sous le 14ème arrondissement dépassaient le million d’hectolitres par an. Les brasseries quittèrent progressivement Paris durant les Trente Glorieuses, pour ne refaire leur apparition qu’au début du XXIème siècle, sous la forme de micro-brasseries. On en compte aujourd’hui 8 dans Paris et plus d’une dizaine en petite couronne.
Les actions parisiennes en faveur de l’agriculture urbaine dépassent aujourd’hui ses frontières pour s’étendre sur les terrains parisiens hors Paris, sur les zones de captage d’eau géré par Eau de Paris et dans les communes riveraines où le savoir-faire des Parisculteurs s’exporte cette année sur 15 sites. Et, peu à peu, les 3 % nécessaires redeviennent une réalité. ■
* L’Apur, Atelier parisien d’urbanisme, association à but non lucratif créée en 1967 et réunissant 27 partenaires est un lieu d’étude partagé et prospectif multiscalaire. Il documente, analyse et imagine les évolutions urbaines et sociétales concernant Paris, les territoires et la Métropole du Grand Paris.