Nous allons de scandale en scandale. Un groupe suisse a réussi, avec l’aide du préfet du Var, à implanter 22 engins sur la crête du massif de Sainte-Victoire, site emblématique s’il en est, pleinement visible du massif de la Sainte-Baume et de la basilique de Saint-Maximin. Cézanne a dû se retourner dans sa tombe. La cour administrative d’appel de Marseille vient de juger que ces engins avaient été mis en place sous le couvert d’un permis de construire caduc. Réussira-t-on à déloger les 22 intruses ?
Dans le massif de l’Escandorgue (Hérault), les éoliennes en place ont tué récemment trois vautours fauves, un vautour moine et deux aigles royaux. Trois espèces hyper-protégées ! Les promoteurs et le préfet n’avaient pas tenu compte des informations qui leur signalaient la présence de ces oiseaux. En conséquence, le tribunal civil de Montpellier a ordonné l’enlèvement des engins. Que va-t-on inventer maintenant pour maintenir les fautives ?
La forêt de Lanouée (Morbihan), héritière de la forêt de Brocéliande, constitue le second massif de Bretagne. Elle abrite soixante espèces protégées. Le promoteur canadien Boralex veut y implanter 17 éoliennes de 180 mètres de haut. Le site retenu ouvrirait une saignée dans la forêt qui, comble de paradoxe, a été récemment rachetée par la Caisse des Dépôts. Pour ces raisons, le rapporteur public du Conseil d’État a conclu contre le projet. Surprise ! La haute assemblée ne l’a pas suivi, elle a béni l’opération.
Raison principale fournie par tweet : 50 000 habitants seraient alimentés. Cette présentation est illusoire. En réalité, 200 000 habitants bénéficieraient peu ou prou du courant fourni, mais, comme les éoliennes, dans notre pays, ne fonctionnent en moyenne qu’à 24 % de leur puissance, les intéressés devraient s’adresser, pour les trois quarts de leur consommation, à une autre source d’électricité : en pratique, le gaz, non renouvelable et polluant.
Encore un exemple désolant : celui de la forêt cévenole de Taillard (Loire), située dans un parc naturel régional. Une filiale de Total projette d’y implanter dix éoliennes de 125 mètres de haut. Ayant gagné son procès en première instance, elle n’a pas craint d’assigner personnellement les opposants devant un tribunal civil et de leur réclamer plus d’un million de dommages-intérêts, alors qu’il s’agit de simples particuliers qui voulaient défendre leurs Cévennes. N’a-t-on plus de droit, dans notre pays, de défendre les paysages ?
Dans le Morvan, dans l’Allier, des projets éoliens dépassent 240 mètres de haut, pale comprise. La primauté de la tour Eiffel (300 mètres) se trouve ainsi menacée. Ainsi que notre cadre de vie, et notre tourisme, qui constitue encore, en année normale, l’un des rares postes encore excédentaires de notre balance des paiements J’ai calculé que, si la PPE est effectivement réalisée, on verra des éoliennes dans toute la France, à l’exception des zones urbaines.
Loin de moi le climato-scepticisme. Je prends le risque climatique très au sérieux. Mais le recours à l’éolien est la pire solution. Cette source d’énergie peut être utile dans des pays peu pourvus en réacteurs, ou favorisés par des vents alizés réguliers. La France ne se trouve dans aucun de ces deux cas. La part des sources fossiles dans sa production d’électricité est déjà tombée au plus bas. Elle ne peut plus baisser, car il faut un minimum de courant d’origine thermique pour compenser l’intermittence des « aérogénérateurs » et du photovoltaïque. Loin de réduire les émissions de carbone, la progression de l’éolien les accroîtrait, comme je l’ai montré au sujet de la forêt de Lanouée.
On me répondra que l’électricité provenant des pointes éoliennes peut être stockée. Mais sa transformation en hydrogène, suivie de sa restitution au réseau, absorberait 75 % de l’énergie. On ne saurait donc combler les creux de la production éolienne par ce procédé.
D’ailleurs, en année normale, nous sommes exportateurs nets d’électricité, à des prix de braderie. Pourquoi en rajouter, au détriment de nos paysages ?
Bref, l’éolien ne répond à aucun besoin français. Et il se révèle particulièrement coûteux : 65 euros le mégawatt-heure (MWh) à l’issue des meilleurs appels d’offres, ou 74,80 euros hors appel d’offres. Encore ces chiffres n’incluent-ils ni les extensions de réseau nécessaires pour acheminer une production dispersée, ni les installations de secours (au gaz, actuellement) indispensables pour pallier l’intermittence. Par comparaison, le coût marginal du courant des réacteurs en place n’atteint que 33 euros le MWh, y compris les dépenses de renforcement et de sécurité. Or ces réacteurs, dont les auteurs de la PPE veulent mettre une grande partie à l’arrêt, peuvent fonctionner encore quarante ans, si l’on en juge d’après des décisions prises aux États-Unis pour des équipements similaires.
Les coûts de l’éolien fixé sur un fond marin sont encore pires, en raison de la profondeur de nos mers bordières, et de la houle qui gêne la maintenance. Le courant du projet de la baie de Saint-Brieuc, qui provoque la révolte des pêcheurs, sera payé au promoteur 155 e le MWh. Par exception, un meilleur résultat a été obtenu à Dunkerque, où la mer est peu profonde, mais ce site est mal placé, et nos amis belges entendent le remettre en cause.
Dans tous ces cas, l’État fait bénéficier le promoteur éolien d’un prix garanti sur vingt ans. Lorsque le cours de l’électricité sur le marché de gros tombe en-dessous de ce prix garanti, le budget général paye la différence. En dehors du secteur des énergies dites renouvelables, aucune entreprise française ne bénéficie d’un tel privilège. Ainsi, les activités les moins utiles à notre pays sont les mieux rémunérées.
Le lecteur se frotte les yeux : comment a-t-on pu en arriver là ? Par une imitation aveugle de l’Allemagne, où la situation est différente. Et sous l’influence d’un groupe de pression professionnel riche et puissant, en grande partie étranger (car l’essentiel du matériel éolien est importé).
Le coût élevé de l’éolien reflète l’importance des investissements qu’il requiert. D’après mes chiffrages, le remplacement, d’ici à 2035, des douze réacteurs que la PPE condamne à tort par deux tiers d’éolien et un tiers de photovoltaïque coûterait la bagatelle de 145 milliards (y compris le renforcement du réseau et la constitution d’une force de secours). Cette somme colossale, correspondant à un effort à la fois public et privé, ne serait plus disponible pour les actions qui, elles, peuvent réellement réduire les émissions de carbone : diffusion des véhicules électriques (y compris les deux-roues, tellement plus silencieux), isolation des bâtiments et promotion du chauffage électrique.
Ainsi les Verts, qui soutiennent l’éolien sans réfléchir, nuisent triplement à la cause qu’ils croient défendre : ils renforcent les émissions de carbone, ils privent de financement les actions utiles à la planète, et ils dégradent les campagnes dont provient leur couleur symbolique. ■
*Auteur du livre « La Peste éolienne » (Hugo Doc 2021)