La décarbonation du transport de marchandises est un sujet complexe puisqu’il concerne tout autant les modes routier, fluvial et ferroviaire que les transports urbains avec la livraison dite « du dernier kilomètre ». Avec un tel sujet, les rapporteurs avaient donc du pain sur la planche (1).
Premier constat des sénateurs : le transport de marchandises à un rôle essentiel. « Sans transport, sans logistique, tout s’arrête : nos commerces, nos administrations et nos services publics, notre industrie, notre agriculture… » soulignent en chœur les deux élus. « La crise sanitaire que nous vivons en est la preuve : la préservation de nos chaînes logistiques revêt un caractère stratégique, parfois de vie ou de mort » insistent-ils.
Second constat : le transport intérieur de marchandises est majoritairement routier (près de 90 % des tonnes-kilomètres sont acheminés par la route). Une situation qui concerne particulièrement la France et qui s’est faite au détriment du fret ferroviaire et fluvial déplorent les sénateurs : « Le fret ferroviaire représente 9 % du transport de marchandises contre presque 20 % pour nos voisins européens ; le fluvial compte pour 2, 3 % des flux, moins de la moitié de la moyenne européenne ». Ce constat est d’autant plus inquiétant que le transport routier est à l’origine de la quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre de transport de marchandises. Circonstances aggravantes : l’impact environnemental du transport routier n’est pas le seul désagrément, il faut aussi ajouter la pollution atmosphérique, les nuisances sonores, l’insécurité, la dégradation de la voirie, la congestion…
Forts de ces constats, les rapporteurs ont réfléchi au sujet dans sa globalité sans chercher à opposer les modes de transports les uns aux autres préférant miser sur leur complémentarité et leur valeur ajoutée respective. Conséquence de quoi, ils demandent que le fret ferroviaire et fluvial soient encouragés. Les élus reconnaissent toutefois que ces deux modes sont fortement contraints par plusieurs facteurs : désindustrialisation du pays, mauvais état des infrastructures et du réseau, flexibilité et fiabilité du transport routier… Aussi, Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau proposent notamment de « soutenir la régénération et le développement des réseaux ferroviaire et fluvial par un plan d’investissement massif et ciblé vers les infrastructures stratégiques ». Mais pas seulement. Ils suggèrent d’activés d’autres leviers comme celui de la commande publique, « qui doit prioriser le fluvial ou le ferroviaire » ou celui d’assurer un meilleur fléchage des certificats d’économie d’énergie vers le transport combiné.
L’autre volet de mesures vise la décarbonation du transport routier qui est et restera encore longtemps majoritaire dans le transport de marchandises. Mais la question de la transition énergétique du parc de poids lourds, composé de 600 000 véhicules, « n’est pas une mince affaire » soupirent les rapporteurs qui expliquent alors que cela se fera par la combinaison de plusieurs solutions - développement des biocarburants, notamment le biodiesel B100 ou le biogaz mais aussi recherche sur les motorisations électriques et hydrogènes -, chacune avec ses spécificités et sa pertinence. Pour autant, quoique prometteuses, ces solutions ne sont pas sans défis à relever. Et les sénateurs de citer pour les biocarburants les contraintes de production ; pour l’électrique, le coût des véhicules et le manque d’autonomie ou le poids des batteries « qui empêchent la plupart des transporteurs d’investir dans ces technologies ». Quant à l’hydrogène, on est encore loin d’avoir atteint un stade de maturité suffisante. Sans oublier pour toutes ces solutions, se pose toujours la question du réseau de recharge. « Il est donc nécessaire d’accompagner et d’aider ce secteur avec des mesures ambitieuses et de bons sens » expliquent alors les rapporteurs comme la révision et le renforcement des aides à l’achat de camions à motorisations alternatives, ou la création d’une prime à la destruction pour les véhicules de plus de 12 « pour inciter au renouvellement des camions les plus polluants ». Enfin, la question du coût spécifique de l’électrique n’est pas oublié. Les élus considèrent « qu’il est pertinent de proposer une remise sur la contribution au service public de l’électricité pour les transporteurs routiers ».
Pour ce qui est de la suppression de l’avantage fiscal sur la TICPE sur le gazole routier et l’’éventuelle mise en œuvre d’une éco-contribution (ou écotaxe), les parlementaires sont moins catégoriques. « Ces sujets sont complexes, expliquent-ils, et la mission d’information a pleinement conscience de la nécessité d’un équilibre entre une juste contribution du mode de routier et l’importance de préserver notre secteur logistique, sans quoi il ne pourra investir dans sa transition énergétique ». Les sénateurs pencheraient au final pour une éco-contribution kilométrique et harmonisée au niveau national (en matière d’assiette et de taux par exemple).
Au-delà, la mission s’est tout particulièrement intéressée au transport urbain et aux livraisons liées au e-commerce. Une livraison dite du « du dernier kilomètre » qui représente une partie non négligeable des émissions et des externalités négatives du transport de marchandises. A Bordeaux et à Paris, « 25 % des émissions de CO2 viendraient des poids lourds et des véhicules utilitaires légers (VUL) utilisés pour les livraisons » s’agacent les deux rapporteurs qui notent d’ailleurs que le recours aux VUL s’est particulièrement accéléré avec la crise sanitaire. « Or, insistent les élus, ces VUL s’ils parcourent de moindres distances sont fortement émetteurs : on estime à 3,7 milliards le coût social de la pollution induite par ces véhicules ». Ils proposent alors que « les conducteurs de ces véhicules utilisés pour compte d’autrui soient soumis à une obligation de formation initiale, qui comprendrait un volet relatif à l’impact environnemental de la conduite ». Pour ce qui est du verdissement du parc automobile, plus facile que celui des poids lourds, les élus recommandent de « prolonger le suramortissement pour l’achat d’un VUL fonctionnant à une motorisation alternative jusqu’en 2030 ».
Allant au bout du sujet, la mission sénatoriale s’est également interrogée sur la question « stratégique » du positionnement des entrepôts, tant pour encourager le report modal que pour limiter les distances des déplacements vers les zones urbaines. Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau regrettent notamment que les élus locaux ne fassent pas suffisamment attention à ces questions de planifications de la logistique, malgré les mesures qui y étaient dédiées dans la LOM. Ils suggèrent donc de favoriser la planification stratégique des plates-formes logistiques au niveau local, « notamment afin de faciliter la localisation d’entrepôts à proximité d’axes de transport massifié ».
Ces dernières années, le commerce en ligne a connu un essor considérable et encore plus la crise sanitaire, un milliard de colis sont désormais livrés chaque année en France ! Un succès qu’il convient de tempérer. Pour les sénateurs, ce recours accru au e-commerce, avec l’automatisation des commandes et le raccourcissement des délais de livraison n’est pas sans conséquences sur un plan environnemental. Une consultation en ligne lancée par la mission parlementaire montre que 93 % des personnes interrogées ont indiqué qu’elles s’estimaient insuffisamment informées des conséquences environnementales de la livraison lorsqu’elles effectuent un achat en ligne. Dont acte pour les sénateurs qui demandent d’interdire l’affichage de la mention « livraison gratuite » sur les sites de vente en ligne et la publicité portant sur la livraison gratuite. Cette pratique donnant « l’impression que les livraisons n’ont aucun coût – y compris environnemental ». Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau souhaitent encore « renforcer l’information et la capacité d’action du consommateur ». Ils proposent que « les livraisons proposées sur des sites en ligne renseignent leur bilan carbone, qui tiendrait compte de la localisation du produit, des délais de livraison proposés, et du lieu de livraison, pour permettre au consommateur de moduler son choix de livraison ». « Le pendant de cette proposition est d’assurer que le consommateur puisse choisir des solutions de livraison « plus vertes », afin de favoriser des comportements vertueux espèrent-ils. Plus généralement, ils proposent enfin de développer un label qui valoriserait les entreprises engagées dans des démarches de logistiques vertueuse y compris pour le dernier kilomètre ». ■
* Rapport d’information n°604 fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par la mission d’information relative au transport de marchandises face aux impératifs environnementaux.
(1) Les travaux ont duré cinq mois et ont permis d’auditionner plus de 82 personnes.