“Reprendre le contrôle” face aux trafiquants et protéger les mineurs tout en promettant de belles recettes fiscales, les membres de la mission parlementaire consacrée à « la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis » jugent dans un rapport publié le 5 mai dernier, qu’il est temps de légaliser le cannabis en France. « La prohibition adopte depuis cinquante ans un objectif inatteignable, sans jamais avoir les moyens de ses ambitions. Une légalisation régulée, c’est le meilleur moyen de reprendre le contrôle et de protéger les Français » a assuré à l’AFP la députée En Marche Caroline Janvier qui a coordonné le travail de la mission et qui regrette, « les approches politiques et idéologiques » lorsqu’il est question de parler des drogues.
Dans leur rapport, les députés pointent un « échec » des politiques publiques en matière de lutte contre le cannabis et de ses effets. Ils s’en prennent notamment à l’Etat qui « assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité » et ce malgré « une politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l’excès les forces de l’ordre ». Le rapport rappelle notamment que le budget dédié aux forces de l’ordre (police, gendarmerie et douane) à la lutte antidrogue a doublé entre 2012 et 2018. L’enveloppe budgétaire est aujourd’hui de 1,08 milliard par an. Mais sans que cela ne produise de réels effets pensent les élus qui notent que la France reste championne d’Europe de la consommation de cannabis. On dénombre en France 5 millions d’usagers annuels et 900 000 consommateurs quotidiens. Et si la consommation des mineurs est en léger recul, elle reste cependant deux fois supérieure à la moyenne européenne.
Le rapport ironise aussi sur le « mythe » d’une France, pays parmi les plus répressifs d’Europe en le mettant en parallèle avec « l’hypocrisie des discours de fermeté régulièrement tenus ». Alors même qu’encore tout récemment le Chef de l’Etat, opposé à toute idée de légalisation déclarait la guerre aux trafics de stupéfiants en évoquant « la mère des batailles », la mission parlementaire rappelle quelques vérités. Si dans les textes, l’usage des drogues est passible d’un an de prison et de 3750 euros d’amende, dans les faits le consommateur est souvent sanctionné d’un simple rappel à la loi ou d’une légère amende, « les sanctions sont de facto peu sévères ». Une étude citée dans le rapport révèle aussi que question trafic, la moyenne des peines prononcées pour la détention de 10 kilos de cannabis classe la France comme le troisième pays européen le moins répressif. Enfin, sur les 160 000 infractions à la législation sur les stupéfiants relevées en 2020, 81 % concernent l’usage. Les députés sont enfin persuadés que le dernier plan anti-stupéfiant du gouvernement qui crée une amende forfaitaire pour usage de drogue de 200 euros est « condamnée à échouer comme les précédentes ». « Le tout répressif est un échec total » juge Jean-Baptiste Moreau (LREM, Creuse). « On n’a pas arrêté de durcir la loi, de mettre davantage de forces de l’ordre sur le trafic de drogue et, au final, nous sommes devenus les plus gros consommateurs de cannabis en Europe. Donc expliquer encore aujourd’hui qu’on va rester dans le statu quo et mobiliser davantage de forces de l’ordre, ce n’est plus possible » ajoute le député, rapporteur général de la mission.
La mission estime encore que la légalisation permettrait des rentrées fiscales qui pourraient atteindre « deux milliards d’euros ». Une somme qui pourrait être réinvestie dans la prévention jugée aujourd’hui peu efficace et qui se résumerait le plus souvent et au mieux à une réunion annuelle d’information dans les établissements scolaires.
Pour Caroline Janvier, avec une « légalisation régulée », « on propose une vraie politique de réduction des risques et d’arrêter de faire la guerre à l’usager pour réorienter réellement la police vers la lutte contre les trafics » estime-t-elle. Pour en arriver à ce constat, la mission s’est basée sur des études réalisées au Canada et dans 15 états américains qui tendent à montrer que la légalisation aurait permis la réduction du marché noir et une baisse de la consommation des mineurs.
Mais avant d’en arriver à cette légalisation telle qu’attendue par la mission, de nombreuses questions se posent encore : quel prix fixer, faut-il interdire les boutiques aux mineurs, comment réinsérer les petits trafiquants et autres petites mains ?... Les parlementaires aimeraient que l’on puissent non seulement en débattre à l’Assemblée mais ils suggèrent encore d’organiser une convention citoyenne sur le modèle de celle qu’il y a eu pour le climat et pourquoi pas aussi en organisant un référendum. Pourtant pas hostile par principe au débat sur la légalisation, le président LR de la mission, Robin Reda a toutefois tenu à prendre un peu de distance avec ses collègues de la majorité présidentielle estimant qu’il était un peu prématuré d’aborder aujourd’hui le débat et que l’on était « sans doute sur un sujet post-2022 ». « Il est évident qu’en l’état actuel de nos connaissances, proposer la légalisation du cannabis stupéfiant n’est pas possible car rien ne prouve que les objectifs de santé ou de sécurité seraient mieux atteints » a-t-il précisé dans un communiqué.
« Prôner la légalisation du cannabis est une provocation inacceptable ! Cela ne réglerait pas les problèmes de trafic comme c’est le cas pour le tabac vendu moins cher dans les circuits parallèles de contrebande… Cela enverrait surtout un message catastrophique à la jeunesse en banalisant la drogue » a pour sa part dénoncé Pierre Cordier (LR, Ardennes) qui s’en prend à la majorité qui « souffle le chaud et le froid pour ménager son électorat en faisant une fois de plus du “en même temps” » Il exige une clarification des positions d’En Marche ! qui jongle entre « celle électoraliste et démagogique de Caroline Janvier » et celle de Gérald Darmanin qui n’hésite pas à parler de cette « merde qu’ils prennent dans leurs veines et qu’ils fument ».
Dans un communiqué, le syndicat Alternative Police prenant « acte du rapport parlementaire » a réaffirmé « sa ferme opposition » à toute idée de légalisation du cannabis. Le syndicat affirme que ce schéma de dépénalisation correspond « à celui choisi par les Pays-Bas depuis 1976 qui, aujourd’hui, sont particulièrement confrontés à la hausse de la criminalité des narco-trafiquants liée à la tolérance de la vente du cannabis depuis plus de quarante ans et que la légalisation ne fera qu’accentuer la situation criminogène avec une augmentation avérée de la consommation ». Les policiers mettent donc « en garde sur la volonté de légaliser le cannabis comme le Canada l’a fait avec toutes les conséquences graves, déjà établies, que cela induira », notamment « un transfert des réseaux de trafiquants vers les drogues encore plus dures » comme l’héroïne, la cocaïne ou le crack. Dans son communiqué, Alternative Police souligne encore que « l’usage légal du tabac ou de l’alcool, drogues légales, ainsi que les campagnes de prévention n’ont pas empêché à ce jour l’importance de la consommation et de l’addictologie » et que « le trafic de cigarettes en France demeure quant à lui en augmentation exponentielle et l’achat d’alcool dans les pays frontaliers ne faiblit pas ». Enfin, Alternative Police rappelle que le meurtrier de Sarah Halimi était sous l’emprise de cannabis. « Demain, en légalisant le cannabis, les parlementaires sont-ils prêts à assumer le principe de l’excuse d’irresponsabilité tel qu’il a été invoqué lors du procès de cette triste et dramatique affaire ? » interrogent les policiers. Le soir même de la présentation du rapport parlementaire, en Avignon, un policier était tué par balles par un dealer lors d’une opération antidrogue. ■
Le 26 mars dernier, le Ministre des Solidarités et de la Santé a officiellement donné son feu vert au cannabis thérapeutique en France. L’expérimentation qui doit durer deux ans est placée sous le contrôle de l’ANSM. Cela concerne 3000 patients atteints de sclérose en plaques, de certaines spasmophilies, de maladies neurologiques graves et de cancers qui bénéficieront d’une prescription médicale de cannabis. L’objectif est de s’assurer de la fiabilité de la logistique des prescriptions et de l’absence de trafic.
A terme, le cannabis thérapeutique pourrait concerner 300 000 patients. Fort de ce potentiel, les acteurs et porteurs de projets de la filière française de la plante (sociétés agricoles, pharmaceutiques, biotechs, répartiteurs pharmaceutiques…), ont décidé de se fédérer en association sous le nom de France santé Cannabis. L’idée est de favoriser le développement d’une filière française du cannabis thérapeutique dans un marché très concurrentiel. « Nous voulons que les conditions soient favorables pour produire et transformer en France ce cannabis médical. Sinon, on se retrouvera terrain de conquête pour des produits bas de gamme et en situation de dépendance. Or, la Covid a montré le danger des déficits de souveraineté » résume Yves Christol, patron de CanMed et président de la toute nouvelle association.