Le 20 mai au soir dernier, les quais de la gare d’Austerlitz étaient en effervescence. Le Premier ministre, Jean Castex, le Ministre délégué aux transports, Jean-Baptiste Djebbari et le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou embarquaient à bord du train de nuit Paris-Nice pour son grand retour après plus de trois ans d’arrêt. « Exceptionnellement ce n’est pas le chef de bord qui vous parle mais le Premier ministre » a lancé au micro d’une voiture-couchette Jean Castex pour accueillir les passagers de ce trajet inaugural. Et d’ajouter : « C’est un honneur pour moi d’effectuer avec vous ce trajet. La décision de reprise de cette ligne est pour moi une grande fierté, bien sûr en ma qualité de Chef du Gouvernement, mais aussi pour le passionné de ferroviaire que je suis et pour l’usager de longue date des trains couchettes » (1). Il est 20h52, quand le train s’élance (à l’heure) pour une arrivée prévue à Nice sur la Côte d’Azur à 9h11 (à l’heure aussi), après parcouru 1088 kilomètres et desservi six gares sur son trajet. Les 12 heures de voyages auront sans aucun doute permis aux protagonistes de ce voyage de refaire l’histoire des trains de nuit.
Aujourd’hui en France, des trains de nuit, il ne reste plus que deux liaisons : le Paris-Briançon – actuellement fermé pour cause de travaux -, et le Paris-Rodez-Latour-de-Carol. Deux lignes sauvegardées parce que jugées essentielles à la desserte du territoire. Mais avec seulement deux lignes esseulées, le train de nuit était doucement mais sûrement promis à disparaître. Jusqu’à ce changement d’aiguillage en cours de mandat. Le train de nuit a, jusqu’aux années 80 et l’arrivée du TGV, connu de belles heures. Avec plus de 500 gares, le territoire est alors desservi par des dizaines de lignes. Les Français apprécient ce mode de transport qui leur permet de voyager en prenant leur temps sans paradoxalement en perdre. Mais en 1981, l’arrivée du TGV vient rebattre les cartes. La vitesse et la réduction du temps de trajet jouent comme des aimants et attirent les voyageurs qui délaissent les trains de nuit. Peu à peu l’opérateur lui-même s’en désintéresse. Le matériel est vieillissant, les gares sont fermées les unes après les autres, des trajets sont supprimés, le service à bord disparaît,... En 2000, tandis que l’on recense encore 67 trains de nuit, la SNCF supprime 300 gares pour raison de sécurité dit-elle. « La SNCF a volontairement abandonné les trains de nuit » rouspète dans un rapport parlementaire de 2019 le député Joël Giraud, aujourd’hui Secrétaire d’Etat à la Ruralité. En 2016, le couperet finit par tomber. Le Gouvernement de François Hollande annonce la fin des trains de nuit. A l’époque, le Secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies assure que le service est déficitaire et que l’on constate une érosion de la fréquentation - entre 2011 et 2016, la baisse est chiffrée à 25 %. Toutes les lignes sont supprimées, sauf deux. Des chiffres qui sont sujets à caution et sur lesquels la SNCF n’a jamais voulu communiquer. En 2019, la Cour des comptes reconnait même que les données sur les trains de nuit qui lui ont été fournies « ne permettent pas d’estimer précisément le nombre de voyageurs par ligne ». En 2017, le patron de la SNCF d’alors Guillaume Pépy justifie aussi cet arrêt par « l’apparition des hôtels pas chers qui ont remplacés les trains couchettes » mais aussi par l’arrivée des TGV qui ont fortement réduit la durée du voyage.
Mais entre 2016 et 2021, les mentalités ont eu le temps de changer. Les trains de nuit séduisent à nouveau et retrouvent grâce aux yeux de nos dirigeants. En 2018, la ministre Elisabeth Borne tweete : « oui les trains de nuit ont de l’avenir ! ». En 2019, nouvelle poussée en faveur de ce mode de déplacement, cette fois-ci à l’Assemblée avec l’adoption d’un amendement à la Loi Mobilités demandant au Gouvernement d’étudier l’opportunité de nouvelles lignes signée par les députés Joël Giraud et Eric Woerth. Puis en 2020, c’est au tour du Chef de l’Etat d’énoncer clairement au cours de son interview du 14 juillet que l’« on va redévelopper les trains de nuit [… ] Tout ça permet de faire des économies et ça permet de réduire nos émissions [de CO2] ». Et voilà les trains de nuit présentés comme une bonne solution écologique et une alternative crédible à l’avion pour les trajets de longue distance. Ils sont aussi avec des prix abordables plus économiques (2). C’est également une façon d’économiser une nuit d’hôtel. Plus poétiquement, les trains de nuit sont encore un éloge de la lenteur, qui offre un charme et une ambiance qui l’on ne retrouve pas à bord des TGV.
Condamné, le train de nuit a connu à la faveur d’une prise de conscience écologique un retour en grâce au point que l’exécutif après avoir quelque peu dénigré en début de mandat les trains de nuit lui préférant les cars longue distance et les avions low-cost a finalement décidé de les soutenir. Il a ainsi débloqué dans le cadre de son plan de relance, une enveloppe de 5,3 milliards d’euros pour le secteur ferroviaire dont 100 millions pour les trains de nuit ; un budget destiné pour moitié au rafraîchissement de 51 voitures de nuit et pour l’autre moitié à l’accueil des voyageurs et à l’adaptation des ateliers. Pendant ce temps les deux lignes survivantes vont voir leurs voitures entièrement rénovées d’ici 2023 pour 44 millions d’euros. Avec la ligne Paris-Nice, l’ouverture d’une ligne Paris-Tarbes est annoncée d’ici la fin de l’année et le ministre délégué évoque « une dizaine de trains de nuit en 2030 ». Jean-Baptiste Djebbari en est convaincu : « quand les moyens sont là, avec une qualité de service et la bonne offre commerciale, il y a une clientèle pour les trains de nuit ». Des accords de coopération doivent encore être signés avec les compagnies autrichiennes, allemandes et suisses pour développer des liaisons européennes comme un Paris-Berlin par exemple. C’est d’ailleurs le succès de la reprise par l’autrichien OBB de lignes désertées par l’allemand Deutsch Bahn et desservant de nuit Vienne, Berlin, l’Italie et la Suisse qui aurait en partie convaincu l’exécutif de relancer nos propres lignes. ■
(1) En 2017, Jean Castex a publié Éditions Talaia : « La ligne de chemin de fer de Perpignan à Villefranche - Prélude de la ligne de Cerdagne » où il raconte l’histoire de la construction entre 1863 et 1877 de la ligne de chemin de fer reliant Perpignan à Villefranche-de - Conflent via Prades.
(2) Les billets sont annoncés à partir de 19 e en siège incliné, 29 e en couchette de seconde classe et 39 e en couchette de première.