Né de la loi Égalim et d’amendements - dits Cavalier s -, rejetés sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, ce texte enrichi à l’Assemblée Nationale et au Sénat, est d’abord innovant dans la méthode, car issu d’un véritable travail partenarial entre les deux Chambres.
Les Parlementaires ont très bien compris les enjeux.
Au-delà de la seule problématique de l’étiquetage, ont été pointés les sujets sociétaux et l’avenir même de notre agriculture.
Car je ne cesse de le répéter, nous ne pouvons envisager un futur durable pour nos filières sans appréhender les mutations de façon transversale :
• en répondant aux problématiques environnementales : comment s’adapter aux changements climatiques ? Quelle agriculture résiliente ? Comment préserver la ressource en eau ?
• en répondant aux problématiques économiques : quel partage de la valeur ? Comment faire cesser la guerre des prix les plus bas ? Comment offrir un revenu décent à nos agriculteurs ? Comment être compétitifs dans un marché mondialisé avec des normes et des charges sociales disparates qui créent une concurrence exacerbée
• en répondant aux problématiques sociales : comment agir contre le mal-être de nos agriculteurs et un fort taux de suicide *? Comment leur offrir une retraite décente ? Comment inciter nos jeunes à s’installer ?
• en répondant aux problématiques sociétales, mais également de santé publique, d’indépendance alimentaire... : Comment valoriser notre agriculture élue pour la troisième année « la plus durable du monde » ? Comment retrouver la confiance du consommateur ? Comment s’adapter à l’évolution des goûts, des modes d’alimentation ?
La loi Égalim avait cerné le cœur du problème économique des agriculteurs : le partage de la valeur, un juste prix, à la hauteur des heures de travail, à la hauteur des coûts de production. Autour de la table, toutes les parties prenantes avaient acté une méthode de co construction.
Mais la loi du marché a vite repris le dessus.
Dans une économie libérale et mondialisée, dans un commerce du prix le plus bas, l’humain n’a que peu de place.
Oubliées les heures dans le froid ou la chaleur estivale, oublié le réveil qui sonne à 5 heures du matin pour traire ou cueillir les légumes, oubliées les factures, oubliés le salaire des ouvriers agricoles et les charges à payer, oubliés les mutations de modes de production pour préserver l’environnement…
Seule, reste cette loi du marché qui fait le prix. Qui fait la peine.
Et relègue la valeur travail loin derrière des intérêts financiers.
C’est pourquoi, il faut rester humble dans nos travaux et surtout nous unir pour aller dans le bon sens.
C’est précisément la méthode choisie pour ce texte.
Plusieurs propositions de loi ont été rattachées car elles tendaient aux mêmes objectifs et un travail en commun, trans partisan, entre les deux Chambres a été initié dans le seul intérêt général.
Les auditions avec les parties prenantes, ont permis des compromis, conformes au Droit européen très strict en matière d’étiquetage.
Les travaux de la Commission des affaires économiques au Sénat, le Rapport que j’ai co signé avec ma collègue Anne-Marie Loisier, les échanges avec nos collègues de l’Assemblée nationale et les débat en séance, ont abouti à des avancées très concrètes pour les consommateurs.
Quelques exemples, non exhaustifs.
• Pour le miel, tous les pays d’origine, dans le cadre de mélange, devront être mentionnés sur l’étiquette.
• Concernant les fromages, le texte répond à une demande des producteurs : la mention « fromages fermiers » n’est plus strictement limité à un affinage à la ferme mais dans des conditions traditionnelles et en informant le consommateur du lieu.
• Également dans ce texte, une mesure phare : l’interdiction d’employer des noms de denrée d’origine animale pour décrire, commercialiser et promouvoir les denrées contenant des protéines végétales.
Saucisses, haché et steaks végétariens vont donc devoir changer de nom. Une véritable révolution pour les éleveurs car l’industrie végétale qui se développe sous couvert de débats sur le bien-être animal ne peut se servir de la tradition de l’alimentation carnée pour s’enrichir.
A l’heure des steaks de synthèse – à partir de cellules souches - ou de « viande artificielle » - à partir de végétaux -, l’intitulé des produits devient un enjeu commercial qu’il faut anticiper.
• La loi est revenue également sur la déclaration de récolte pour les vins en la rendant obligatoire en France, alors qu’elle est devenue facultative en Europe. Les Parlementaires ont estimé qu’elle est fondamentale pour la traçabilité.
• Pour les vins, la problématique générale de l’étiquetage est primordiale mais elle ne suffit pas.
Des tromperies sont décelées en grande surface, surtout pour les bag in box, cubi de 2 à 10 litres.
Le consommateur est leurré avec des imageries régionales, un nom francisé, un cépage… en mettant en avant le conditionnement qui est français alors que ces vins sont étrangers.
L’obligation d’informer sur le pays d’origine est bien respectée. Elle figure bien avec toutes les autres mentions obligatoires, dans la police exigée par la règlementation européenne. Mais, cette information se retrouve le plus souvent dissimulée sur la face cachée du bag in box et donc non visible par le consommateur.
Il est donc nécessaire de miser sur des effectifs soutenus pour contrôler et dissuader les distributeurs peu scrupuleux mais également d’associer le consommateur à l’acte d’achat, de lui faire prendre conscience que son choix est fondamental.
Aucune loi ne pourra remplacer ce libre arbitre. Il faut donc, avec la montée en puissance des circuits courts, des produits labelisés, accompagner le consommateur et l’étiquetage lui fournit les informations dont il a besoin.
Les applications, les QR codes, les Nutri scores… se développent et la filière agroalimentaire répond à une poussée sociétale à laquelle il faut s’adapter.
Nous le voyons bien, notamment avec l’exemple des produits végétariens ou du miel, la société qui évolue nous pousse à une prospective obligatoire.
Privilégier un enjeu plutôt qu’un autre déséquilibrerait notre agriculture déjà bien fragilisée par les crises sanitaires, climatiques, économiques successives et par une perte de compétitivité et un recul à l’export.
C’est pourquoi, je préconise toujours des postures de raison, de nuance.
Notre société est confrontée aujourd’hui, -et plus encore avec les réseaux sociaux qui réduisent les débats à néant, qui sclérosent la pensée, qui la congestionnent en un Pour ou Contre - à ne plus comprendre les enjeux et les impacts de décisions parfois irrémédiables.
L’agriculture focalise les tensions, les incompréhensions, les fausses informations, car en nous nourrissant, en aménagent nos territoires, elle est au cœur de nos vies…et elle clive souvent des idéologies via des modèles opposés.
C’est pourquoi il faut se poser, appréhender de façon globale, réunir toutes les parties prenantes et agir avec l’ensemble des postulats. Loin des passions et des fantasmes.
L’avenir de nos paysans en dépend. Mais aussi ce que nous aurons demain dans nos verres et nos assiettes… ■
*Propositions : Rapport d’information sur les moyens mis en œuvre par l’État en matière de prévention, d’identification et d’accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. Par Henri Cabanel et Françoise Férat.