En préambule de son rapport, Frédérique Puissat a voulu souligner que « les travaux de la mission s’étaient délibérément situés à hauteur d’homme, au plus près des personnes concernées par la précarisation et la paupérisation ». Cet avertissement posé, la rapporteure a précisé que toute solution structurelle à ces problèmes passait par « l’enrichissement de la France ». « A cet égard, la réindustrialisation du pays et l’élévation des compétences grâce à une amélioration de la formation (dès l’école et tout au long de la vie) constituent des enjeux clefs auxquels les pouvoirs publics doivent répondre » insiste-t-elle.
Pour parler du sujet, encore faut-il le comprendre. C’est le sens des premières propositions du rapport qui visent à l’amélioration des outils de suivi afin de disposer d’une meilleure vision en matière de pauvreté et de précarité. Le constat d’abord : le taux de pauvreté monétaire qui s’établit à 14,8 % de la population métropolitaine en 2018, soit 9,3 millions de personnes, semble « relativement maîtrisé », sauf que, souligne Frédérique Puissat « cette stabilité est en trompe-l’œil ». Pour la rapporteure, « la pauvreté se vit à la première personne et reste avant tout une expérience douloureuse ». En effet, l’approche centrée sur les ressources ne reflète pas pleinement les charges auxquelles les personnes font face (« coût de la vie », privations qui en découlent, sentiment d’insécurité sociale) juge la sénatrice. Avec une approche plus fine, on peut voir que certains segments de la population sont particulièrement exposés au risque de pauvreté : les chômeurs, les familles monoparentales, les jeunes. Il faut aussi prendre en ligne de compte l’augmentation des dépenses contraintes, en particulier le logement et l’énergie. Tout ceci fait qu’aujourd’hui près d’un cinquième des ménages français interrogés se déclare pauvre. Un sentiment de pauvreté et de déclassement qui au fil du temps gagne même du terrain : en 2019, 19 % des Français se percevaient comme pauvres, contre 13 % en 2017. Un autre point chagrine aussi la sénatrice, celui de la dépendance de plus en plus forte à notre système de redistribution. « La relative stabilisation du taux de pauvreté depuis la crise de 2008 ne s’explique que par l’augmentation des revenus de redistribution tirés du système de protection sociale, ce qui n’est pas tenable à terme ». « La seule redistribution ne résout pas la question de la sortie durable de la pauvreté des personnes qui en bénéficient » note la sénatrice qui redoute que cela contribue à « alimenter les tensions sociales, en provoquant un sentiment d’injustice de la part de ceux qui ont le sentiment d’en être exclus ». Enfin, pour Frédérique Puissat, le système est « financièrement insoutenable ».
Ainsi, pour encore mieux cerner le sujet et être surtout « plus réactifs » - le taux définitif pour une année donnée ne peut par exemple être calculé qu’avec deux ans de retard pour être fiable -, la mission propose de « développer un indicateur synthétique qui soit plus conjoncturel, à partir par exemple des données relatives aux prestations sociales versées, au recours à l’aide alimentaire ou encre issues de sondages dont on peut disposer quasiment en temps réel ». Autre suggestion : étoffer le panel d’indicateurs pour combler certains angles morts comme la mesure de la pauvreté dans les territoires d’Outre-mer ou de la grande pauvreté.
Miser sur le retour à l’emploi
Le leitmotiv ambitieux de la mission étant de lutter contre la pauvreté par le retour à l’emploi plus que par les aides, le rapport mise d’abord sur la formation, « enjeu crucial ». Prenant acte des efforts déjà accomplis récemment avec la mise en œuvre du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) doté de 14 milliards sur cinq ans et dans l’attente de son évaluation, la mission propose des pistes d’amélioration du dispositif qui « gagnerait à être rationalisé, plus inclusif et mieux orientés vers les secteurs en développement ou en tension ». L’effort de formation professionnelle des personnes en difficulté doit ensuite être mieux ciblé avec les besoins de l’économie, en associant les partenaires publics et privés et en s’assurant de la crédibilité de l’engagement des bénéficiaires. Enfin, cette politique de formation doit s’adresser en priorité aux jeunes peu qualifiés « afin de prévenir un phénomène de génération sacrifiée par la crise sanitaire ». « Le « revenu d’engagement » proposé par le Président de la République constitue une piste intéressante pour renforcer nos efforts en ce sens et rationaliser nos dispositifs. S’il est difficile à ce stade de se prononcer sur ce dispositif dont les contours sont encore flous, il constitue en tout état de cause une solution bien préférable à un « RSA jeunes » puisqu’il intègre l’exigence de formation et d’accompagnement vers l’emploi » ajoute la rapporteure. Le rapport veut aussi aller plus loin dans la décentralisation des politiques d’insertion et d’emploi. Cela passe entre-autre par la mise en place d’une « bonification de l’aide au poste » dans certains territoires fragiles, où la présence de structures d’insertion est insuffisante, « reste attendue ».
« Avoir un toit sur la tête »
Troisième axe fort du rapport : la formulation de propositions concrètes en matière de logement et d’énergie « afin de permettre à chacun de vivre dignement de ses revenus, même faibles ». Aussi, concernant, l’accès au logement, « la première priorité doit être la relance de la construction et la densification portées par une différenciation des politiques selon les territoires ». « Pour cela il convient d’éviter d’ériger de nouvelles contraintes et faire confiance aux territoires pour adapter les outils aux besoins en zone littorale ou de montagne ou dans les grandes métropoles » complète la sénatrice. La mission propose de débloquer les autorisations de construire qui sont accordées par les maires en recréant une dynamique cohérente entre l’accueil de nouvelles populations et les ressources fiscales des communes.
Le rapport s’est également penché sur le maintien dans le logement et les droits des locataires et des propriétaires. Du côté des locataires, la mission préconise d’aller plus loin dans les politiques de prévention des expulsions en privilégiant notamment la gestion précoce des impayés. Du côté des propriétaires, « il faut garantir leur indemnisation complète et systématique lorsque l’expulsion avec le concours de la force publique est refusée par le préfet ». Trop souvent, note la rapporteure, l’administration cherche à minimiser les coûts laissant supporter aux propriétaires la charge du maintien dans les lieux. « Il conviendrait de débloquer de l’ordre de 80 millions d’euros et d’en confier la gestion au ministère du logement comme le rapport Démoulin l’avait demandé » suggère Frédérique Puissat.
La mission insiste fermement sur la nécessité d’agir « avec beaucoup de vigueur » contre l’indécence des logements et la précarité énergétique dans des « passoires thermiques », avec des propositions à court terme et à long terme. Relayant les demandes des associations, la mission propose de « doubler » le chèque énergie, dont le montant est jugé « trop faible », pour permettre aux ménages en situation de précarité énergétique de payer leur facture en le portant en moyenne de 150 à 300 euros. A plus long terme, pour rénover les logements, la mission estime nécessaire d’accompagner les propriétaires. Se félicitant des obligations votées dans la loi climat, la mission note seulement que les travaux auront alors un coût non négligeable pour les propriétaires bailleurs et qu’il faudrait les aider en revenant à une TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation des logements comme c’était le cas avant 2018. Dans le secteur privé, la mission propose de faciliter la rénovation du parc locatif en étendant l’aide fiscale Denormandie et en augmentant le déficit foncier. « Il serait enfin très judicieux de pérenniser et d’amplifier le dispositif Cosse d’incitation au conventionnement de logements rénovés » complète la sénatrice.
Simplifier le paysage des prestations de solidarité
Clairement, « la nécessité de simplifier le paysage des prestations de solidarité » est évidence aux yeux de Frédérique Puissat. Nombreuses et fonctionnant selon des règles différentes, ces aides portent le risque d’être inéquitables au final. « Le chantier de l’harmonisation entre les différentes prestations doit donc être poursuivi et systématisé » insiste-t-elle alors. « Ces travaux doivent permettre de corriger certains défauts du système et d’en améliorer la lisibilité. Cette harmonisation, accompagnée de la suppression progressive de certaines prestations, serait réalisée au profit d’un RSA rénové – non d’un hypothétique « revenu universel », fût-il « d’activité » – et résolument orienté vers l’accès ou le retour à l’emploi des allocataires. Il s’agit d’un chantier de plusieurs années » détaille-t-elle. Pour garantir l’efficacité des minima sociaux et surtout « que le travail paie dans tous les cas davantage que l’inactivité », la mission demande que soit repensée « l’articulation entre le revenu socle et le complément de revenu des travailleurs modestes de manière à rendre plus prévisible pour mes allocataires l’impact d’un retour à l’emploi ». ■