“Le sujet des migrations dans leur ensemble peut paraître immense” reconnaît la rapporteure Sonia Krimi devant ses collègues. Mais qui dit immense ne veut pas dire « insurmontable » s’empresse d’ajouter la députée LREM de la Manche. Le rapport qu’elle a rendu réussit d’ailleurs l’exploit de traiter le sujet en un tout petit peu plus de 130 pages. La députée issue de l’aile gauche du parti présidentiel qui dit avoir justement préféré « revenir à la réalité des migrations pour éviter les faux débats » plutôt que de « choisir une approche plus polémique, voire journalistique » fait une trentaine de recommandations visant à « trouver des solutions pragmatiques et humaines » à l’immigration. Pourtant et même s’il s’agit « d’introduire de la rationalité dans un débat trop souvent hystérisé », ses propositions ont cependant peu de chance d’être retenues par le gouvernement tant elles semblent contraires aux options actuelles de l’exécutif qui apparaît être coupable de beaucoup de choses dont principalement celle d’un traitement du sujet « devenu de plus en plus sécuritaire » qui semble jouer sur « une peur irrationnelle portée par le débat public » et présidentiel. Visiblement remonté, le président de la commission d’enquête, Sébastien Nadot (Liberté et Territoire) cible pour sa part et sans ménagement dans son avant-propos tout en retenu « les théories de l’extrême droite, relayées par des candidats à l’élection présidentielle » mais aussi « tout le groupe des bonimenteurs à la recherche de suffrages [qui] ont choisi de surenchérir toujours davantage sur le péril migratoire. D’abord pour masquer la vacuité de leur projet sur d’autres sujets essentiels, ensuite convaincus que les sondages invitent à cette stratégie plutôt qu’à un discours honnête et responsable » et enfin « les mensonges de ceux qui gouvernent, hier et aujourd’hui ».
Devant ses collègues, Sonia Krimi a défendu plusieurs propositions essentielles « qui partent du constat que les migrations sont un phénomène global qu’il convient de traiter par une politique intégrée et coordonnée ». Puisque l’Europe est la destination privilégiée de l’ensemble des demandeurs d’asile rencontrés par la commission, la rapporteure propose donc la création d’un « véritable service de l’asile européen », avec une clé de répartition entre les États membres, « ce qui aura l’immense avantage de mettre un terme aux transferts Dublin, qui sont aussi inefficaces qu’injustes » souligne la députée qui mise sur la prochaine présidence française de l’Union européenne pour « faire prospérer cette idée ».
La création d’un Haut-commissariat aux migrations
Autre proposition phare, celle qui vise à « adapter notre appareil politico-administratif pour le faire changer de vision ». Sonia Krimi veut sortir du giron du ministère de l’Intérieur, la question migratoire. La députée ne veut plus de « cette compétence exclusive » et de cette « gestion policière » du sujet. « La coordination des actions est essentielle. Nous le constatons tous : lorsqu’il s’agit d’entrée et de séjour des étrangers dans notre pays, des questions diplomatiques, de logement, de santé et de travail, mais aussi d’école et d’enseignement supérieur se posent. C’est une question d’efficacité d’ensemble de nos politiques publiques » explique-t-elle. Et d’ajouter en conférence de presse : « Je ne peux pas demander au ministère de l’Intérieur de faire ce qu’il ne sait pas faire, c’est-à-dire du logement, de l’intégration, du travail... Il faut revenir à une vision beaucoup plus apaisée ». Le rapport préconise donc la création d’un Haut-commissariat aux migrations, « placé auprès du Premier ministre et non pas du ministre de l’intérieur ». La rapporteure veut également renforcer le dialogue entre les collectivités, les associations et les services de l’Etat avec des filières de médiateurs interculturels « dont la tâche sera de dénouer les situations de conflit ou d’incompréhension entre les acteurs ».
Lever les obstacles à l’accès à l’AME
La Commission d’enquête suggère encore de créer des voies légales de migrations « pour fluidifier les déplacements et réduire le pouvoir des mafias de passeurs ». A rebours de la politique migratoire actuelle qui a fortement diminué le nombre de visas octroyés aux pays du Maghreb pour les contraindre à délivrer davantage de laissez-passer consulaires indispensables pour une éventuelle expulsion, la Commission d’enquête entend revenir sur cette restriction pour « ne pas pénaliser les populations ».
Estimant que l’accès aux droits des personnes migrantes sur le territoire français est « une promesse non tenue », le rapport veut la mise en œuvre « d’une politique volontariste pour lever les obstacles à l’accès à l’AME et supprimer le délai de carence s’appliquant aux demandeurs d’asile avant leur affiliation à la PUMA ». Une option qui va ici aussi à l’encontre des choix du gouvernement de durcir l’accès aux soins des migrants.
A Calais : mettre fin à la politique « zéro point de fixation »
Afin de mieux accueillir et intégrer les personnes étrangères, la rapporteure recommande encore de moderniser le contrat d’intégration républicaine (CIR) pour renforcer l’accès à l’emploi, « en mettant en place un état des lieux approfondi et systématique des compétences et qualifications des étrangers primo-arrivants et en mettant l’accent sur les formations linguistiques à visée professionnelle ».
Après avoir effectué un déplacement à Calais où ils ont pu constater « l’étendue des atteintes aux droits, portés aux migrants », les élus exigent qu’il soit mis fin à la politique « zéro point de fixation » qui conduit au démantèlement régulier des campements et qui suscite de « fortes réserves » de la rapporteure en raison, d’une part, « de son coût élevé et déséquilibré » et, d’autre part, « de ses effets délétères sur les populations migrantes ». Les élus suggèrent même de créer « de petites unités de vie le long du littoral » permettant « aux personnes exilées de trouver un lieu sécurisé et un temps de répit ».
Les femmes migrantes, les mineurs, les étudiants étrangers et les personnes LGBTQ+ font l’objet de recommandations spécifiques.
Enfin, parce que « le Parlement ne peut rester à l’écart des choix de politique migratoire », le rapport recommande de « rendre au Parlement toutes ses prérogatives en lui donnant la possibilité de se prononcer à l’occasion d’un débat annuel et du vote d’une loi de programmation par législature notamment sur la capacité d’accueil de la France, sur la liste des métiers en tension nécessitant une immigration de travail mais aussi sur la liste des pays sûrs ». ■
*Commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.