Il y a quelques semaines, David Legouet, le maire de Barneville-Carteret dans la Manche, exaspéré, n’a pas pu retenir sa colère face aux demandes exorbitantes d’un jeune médecin parisien pour qu’il daigne venir s’installer dans sa commune. Très tranquillement, le généraliste demandait au maire « une prime d’installation, un logement de fonction pendant deux ans, une voiture de fonction, un terrain constructible et un salaire de 6770 euros nets après impôt ». Pour l’élu, à la recherche d’un médecin depuis plusieurs mois, s’en était trop. « C’est une situation inadmissible » s’est-il emporté, dénonçant « un véritable chantage ». Reste que cette situation, assez exceptionnelle au regard des exigences tend à se multiplier ces derniers temps. « Comme il y a plus d’offres que de demandes, les exigences augmentent » reconnaît Jean Berthaud, le maire de Dordives, commune de 3500 habitants dans le Loiret, cité par Le Figaro. Pour nombre d’élus confrontés à ce problème, il faut y voir là « un effet générationnel » note Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). « On a habitué les jeunes médecins à se faire dérouler le tapis rouge à leur arrivée dans les territoires » explique-t-il encore. Ces exemples montrent à quel point la pénurie de médecins dans les territoires est devenue un problème récurrent. Le manque de praticiens s’est encore révélé plus criant avec la crise sanitaire.
Et voilà des déserts médicaux qui s’étendent. Ces zones blanches médicales qui concernent souvent les espaces ruraux n’épargnent désormais plus certaines villes moyennes ou zones périurbaines. Les voilà devenues une forte préoccupation pour nos compatriotes. « Les difficultés d’accès aux soins constituent d’ailleurs une part significative des interpellations adressées aux élus locaux » rappellent les sénateurs Philippe Mouiller (LR, Deux-Sèvres) et Patricia Schillinger (RDPI, Haut-Rhin), auteurs d’un rapport sur « les collectivités à l’épreuve des déserts médicaux ».
Dans ce document d’une soixantaine de pages fait au nom de la Délégation des collectivités territoriales du Sénat, les deux élus font le constat amer (et sans surprise) d’une « fracture territoriale » sanitaire dont la responsabilité incombe à l’Etat qu’ils accusent de ne pas remplir « sa mission de garant de l’équité territoriale en matière de santé ». Ils lui reprochent aussi de ne pas « être toujours facilitateur des projets locaux et d’imposer des contraintes inutiles ». « L’Etat doit faire plus et mieux » jugent alors les sénateurs.
Et des projets locaux, les collectivités n’en manquent pas malgré « la modestie des moyens juridiques, techniques et financiers dont disposent les élus pour améliorer l’accès aux soins » relève Patricia Schillinger. « Historiquement, ce sont les communes et leurs groupements qui, face à la carence de l’État, ont créé des centres de santé afin de remédier aux déserts médicaux et de limiter l’isolement des professionnels de santé par le développement de leur « exercice coordonné » » rappelle la sénatrice. Au titre de ces bonnes pratiques locales pour lutter contre les déserts médicaux, on peut également citer la création des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). « Nombreux sont les élus qui mettent en place de telles structures, afin de développer des activités de soins sans hébergement au plus près des territoires ». Autre structure créée par les collectivités : les centres de santé. « Autrefois dénommés « dispensaires », les centres de santé sont des structures sanitaires publiques chargées de pratiquer principalement des soins de premier recours » nous précise Philippe Mouiller. Ces centres emploient des médecins salariés et se distinguent ainsi des MSP, qui sont, elles, des structures privées au sein desquelles les médecins exercent une activité libérale. D’abord créées à l’initiative des communes, plusieurs départements ont choisi d’en ouvrir également. « La création des centres de santé s’accompagne parfois de solutions visant à développer la médecine ambulante » poursuit le sénateur, « cale peut prendre la forme d’un bus ». Enfin, « certaines collectivités ont fait le choix, plutôt que de financer des structures de soins fixes ou itinérantes, de mener des actions proactives afin de favoriser l’installation des médecins (logement, aides à l’emploi du conjoint, cadre de vie…) » avec parfois des difficultés que l’on sait maintenant (cf. début de l’article). Ailleurs, certaines collectivités misent sur la prévention avec des programmes tels que « J’agis pour ma santé » lancé par la métropole de Montpellier en 2017. Pour les territoires médicalement sinistrés et sans aucun espoir de voir la couverture médicale s’améliorer à court comme à moyen terme par le recours aux solutions « conventionnelles », le rapport aborde la télémédecine qui peut être une bouée de secours pour leurs habitants. « La crise sanitaire devrait jouer un rôle d’accélérateur du déploiement des télécabines ou des cabinets de télémédecine » soulignent les rapporteurs qui font remarquer qu’en effet, en 2020, le nombre de consultations médicales virtuelles « a été multiplié par trois ». « La crise du Covid a donc fortement participé à la démocratisation de la téléconsultation, à la fois du côté des médecins mais également des patients ». Toutefois, ajoutent-ils, « le recours à la télémédecine ne doit se faire que lorsqu’aucune solution alternative ne paraît envisageable. La télémédecine ne doit pas se développer au détriment de la venue de médecins dans les territoires sous-dotés ».
En guise de recommandations, les sénateurs insistent sur l’impérieuse nécessité de la « concertation » lorsqu’il s’agit notamment d’ouvrir des centres ou des maisons de santé. La concertation doit se faire entre les élus locaux et les partenaires de santé, « et ce le plus en amont possible ». « Cette synergie est essentielle pour garantir le succès de l’opération » insistent-ils. « Nombreuses sont les maison de santé dont les murs existent mais qui n’accueillent ni patients, ni médecins » faute d’avoir été lancées en partenariat constatent-ils amèrement. Pour la mise en œuvre d’un projet de santé, les rapporteurs préconisent aux élus de rechercher « l’échelon local pertinent » en tenant en compte de deux critères importants : la soutenabilité financière et la technicité du projet.
Les rapporteurs font également 5 propositions à destination de l’Etat. Avec une priorité : voir les élus locaux associés à la stratégie nationale de réduction des inégalités territoriales. « Cette stratégie, expliquent-ils, nécessite l’établissement d’un bilan des installations et des départs des professionnels de santé ainsi qu’une cartographie précise de l’offre de soin ».
Il convient aussi de « lancer, sans tabou », un débat national sur la formation et la liberté d’installation des médecins. « Jusqu’à présent, les tentatives d’ajustement de la répartition des médecins se sont heurtées à de fortes oppositions. Or, le principe de liberté d’installation est insuffisamment mis en regard du principe d’égal accès aux soins et de la notion d’intérêt général » expliquent-ils. Ils s’interrogent donc « sur l’opportunité de renforcer les dispositifs d’incitation, voire d’adopter des mesures coercitives aménageant le principe de liberté d’installation ».
Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont entendu un grand nombre de critiques contre les ARS pointant « un défaut d’accompagnement et de conseil ». Forts de ce constat, ils plaident pour un renforcement du « rôle facilitateur des ARS » en les dotant par exemple d’une direction opérationnelle dédiée aux relations avec les élus. « Cette évolution est d’autant plus nécessaire que la crise sanitaire a montré que les délégations départementales, censées rapprocher la gestion des ARS du terrain, ne jouent pas suffisamment le rôle de proximité escompté » expliquent-ils.
Enfin, les sénateurs veulent lancer une réflexion commune Etat-Collectivités territoriales sur « les risques de compétition entre les territoires ». Le rapport pointe en effet le « risque de concurrences, voire de surenchères entre territoires », dans un contexte marqué par un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande de soins dans certains territoires.
En conclusion, les deux élus rappellent que ce rapport « ne prétend pas proposer « la » solution miracle mais plutôt un éventail de possibilités : le rapport se conçoit ainsi comme une « boîte à outils » dans laquelle les élus peuvent utilement piocher pour trouver les solutions les plus adaptées à leurs territoires ». ■
« La compétence de la commune en matière de santé se fonde essentiellement sur ses pouvoirs de police administrative générale en vertu desquels le maire est habilité à prendre toute mesure pour assurer la « salubrité publique ». Le maire peut aussi s’appuyer sur la clause de compétence générale qui lui permet, par exemple, de créer des centres de santé ou de verser des aides dans le but de lutter contre les déserts médicaux » rappelle Philippe Moulier. Quant au département, « il constitue l’échelon essentiel du dispositif relatif à l’action sociale et médico-sociale ». Le département dispose de la compétence en matière de protection maternelle et infantile (PMI), du handicap et de la dépendance. Il peut également attribuer des aides afin de favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé. Enfin, la région dispose, au même titre que la commune et le département, de la possibilité d’attribuer des aides destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans certaines zones sous-denses. Elle subventionne ainsi des maisons de santé et participe financièrement à la construction des locaux. La région peut soutenir financièrement des actions de promotion de la santé. La région instruit, par délégation de la Commission européenne, les dossiers éligibles au Fonds européen de développement régional (Feder), lequel peut être affecté au financement de projets locaux de construction de maisons de santé. Enfin, la région, qui est l’interlocuteur naturel de l’ARS, est associée au stade de la mise en œuvre du projet régional de santé en qualité essentiellement de partenaire financier.