L’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles) a dénoncé la fin des moteurs essence et diesel dès 2035. Interdire les moteurs thermiques « n’est pas une solution rationnelle » selon l’association qui estime que « toutes les options, y compris les moteurs thermiques très efficaces, les hybrides et les véhicules à hydrogène doivent jouer un rôle dans la transition vers la neutralité climatique » (1). Carlos Tavares, PDG de Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, etc.), a quant à lui alerté « sur les conséquences sociales et financières d’une nouvelle accélération réglementaire ». Qu’en est-il vraiment ?
On constate tout d’abord la voiture électrique est essentiellement un véhicule d’appoint (79 % des propriétaires disposent d’un autre véhicule), pour les distances courtes, et pour ceux qui ont les moyens de la ranger chez eux afin de la recharger (88 % des possesseurs de voitures électriques n’utilisent jamais les bornes en voirie) (2). L’imposer comme véhicule unique implique donc une révolution culturelle ! D’autant que les bornes de recharge ne sont en rien comparables aux traditionnelles stations essence : certains construisent des réseaux privés (Tesla), des constructeurs s’allient (Daimler, BMW, Volkswagen avec Ionity) en ouvrant à d’autres mais à des tarifs plus élevés, des opérateurs indépendants se lancent et font faillite (le Français Izivia), des constructeurs lancent des modèles sans signer de partenariat, exposant leurs clients à des tarifs élevés (Jaguar avec son E-Pace).
Ensuite, du fait des métaux rares utilisés pour sa batterie, la voiture électrique est chère, elle ne peut pas se vendre sans subvention. Actuellement il existe un système de bonus-malus à l’achat où les thermiques (largement prédominantes) payent pour les électriques, mais lorsque la proportion s’inversera, il faudra trouver de l’argent ailleurs et la puissance publique sera sollicitée. Le coût estimé pour le budget de l’État de cette transition vers la voiture électrique est gigantesque : une dizaine de milliards d’euros par an en 2030, plus du double en 2040. C’est l’ordre de grandeur des subventions aux éoliennes et au solaire. Autre élément budgétaire à prendre en compte : les 43 milliards d’euros que rapportent les taxes sur les carburants (61,4 % du prix de l’essence à la pompe, 58,6 % pour le gasoil) au budget de l’État (en 2020) vont s’étioler avec le temps et il n’est pas du tout certain que le kWh d’électricité, déjà fortement taxé, à 39 %, compense cette perte. Une fois captifs, les automobilistes risquent de voir le prix de leur recharge augmenter.
D’autant que, lorsqu’on s’y penche de près, la voiture électrique n’est pas si écologique que ça. Selon une étude qu’a pu consulter l’agence Reuters (3), en prenant en comparaison une Tesla et une Toyota Corolla à essence, il faut attendre 22 000 km pour que les émissions de CO2 s’équivalent, car la fabrication de la batterie demande beaucoup d’énergie, et par ailleurs tout dépend de la façon dont est produite l’électricité consommée (nucléaire comme en France, ou gaz, charbon). D’après le professeur Damien Hertz, de l’université de Liège, le point d’inflexion se situe entre 67 000 et 151 000 km selon le véhicule et l’origine de l’électricité. Selon l’ADEME, le bilan total d’une voiture électrique (de la fabrication au recyclage) est plus mauvais qu’une petite voiture diesel (4).
En outre se pose un problème de compétitivité. La réglementation actuelle impose aux constructeurs de commercialiser des véhicules particuliers émettant moins de 95 grammes de CO2 par kilomètre. Mais ce chiffre est propre à l’Union Européenne. Cela représente un « effort considérable imposé à son industrie par l’Europe tandis que, dans le même temps, les États-Unis s’en tiennent à 125 grammes et le Japon et la Chine à 122 grammes. L’Europe met ainsi dans une situation plus difficile que ses concurrents une des rares industries ou elle est encore technologiquement dominante » (5). Le fait de se jeter à corps perdu dans le véhicule électrique va encore fragiliser la position de l’industrie européenne.
Enfin, le véhicule électrique favorise l’invasion du « made in China » en Europe. Jusqu’ici, « pour des raisons de normes environnementales, il était souvent trop coûteux pour les constructeurs automobiles chinois de développer des moteurs thermiques homologués en Europe. Et les rares tentatives d’incursions n’ont pas été couronnées de succès », mais « avec l’électrique, non seulement l’obstacle des normes de pollution liée à la motorisation thermique vole en éclat, mais c’est toute la chaîne de valeur de l’automobile qu’il faut repenser, de la R&D jusqu’à l’entretien-réparation en passant par la production. Autant dire qu’un boulevard s’ouvre pour de potentiels nouveaux entrants. Or, de très nombreux constructeurs chinois ont accumulé des effets d’expérience hors norme par rapport à leurs homologues occidentaux, notamment dans la production de batteries, nerf de cette guerre de la mobilité électrique. Ce leadership s’est construit sur la base d’un très large marché intérieur, source d’économies d’échelle pour faire baisser les coûts. Il repose aussi sur une planification autoritaire des investissements des constructeurs locaux redirigés quasi-exclusivement sur l’électrique et sur des aides financières massives (mais qui diminuent désormais). Bref, tout est réuni pour que le made in China se fasse maintenant une place sur le marché automobile européen ». Et « l’ironie de l’histoire, c’est que les marques européennes ont elles aussi besoin du made in China. En vérité, les constructeurs européens ont ou vont localiser en Chine leurs modèles phares, notamment les petites voitures électriques destinées à être commercialisées en Europe. C’est le cas de la Dacia Spring, de la Smart électrique et de la nouvelle Mini électrique. Des voitures premium seront aussi importées de Chine, à l’image de la DS9 de Stellantis et du SUV électrique iX3 de BMW. D’ici 2025, les importations de voitures en provenance de Chine (autour de 50 000 en 2020) pourraient être multipliées par 10 et devraient être initiées au moins autant, sinon plus, par les constructeurs européens plutôt que chinois » (6).
Quel sera le coût en emplois de ce bouleversement industriel ? Il faut savoir que les batteries concentrent 40 % de la valeur ajoutée des véhicules électriques : c’est donc la Chine qui en récupère l’essentiel du fait qu’elle possède la presque totalité du marché des terres rares nécessaires à leur fabrication. En outre la fabrication d’un moteur électrique nécessite 60 % de main d’œuvre en moins que celle d’un diesel. Comment dans ces conditions garantir l’emploi dans la filière ? Le nombre de véhicules assemblés en France est passé de trois millions au début des années 2000 à deux millions en 2019, puis à 1,3 million en 2020, au plus fort de la crise. Un rapport de la Fondation Hulot constate que « la prolongation des tendances actuelles, qui se traduisent par une baisse de 70 % des effectifs d’ici 2050, pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France » (7).
Au début des années 2000, une voiture sur deux vendue sur le marché était fabriquée en France ; en 2020 c’est une sur cinq (20 %). Pour le marché électrique, seuls 18 % des véhicules sont produits dans l’Hexagone, soit le même pourcentage ! Toute transition ou réindustrialisation n’a tout simplement pas de sens tant que la France n’a pas restauré sa compétitivité. ■
* Auteur de la note de l’Institut Thomas More « Cancel economy : pourquoi la transition énergétique est une catastrophe économique » : https://institut-thomas-more.org/2021/10/15/cancel-economy-%C2 %B7-pourquoi-la-transition-energetique-est-une-catastrophe-economique/
1. ACEA, « Fit for 55 : EU auto industry’s initial reaction to Europe’s climate plans », communiqué de presse, 14 juillet 2021.
2. Nicolas Meunier, L’arnaque de la voiture propre, Hugo Doc Alerte 2021, pp.
3. « Factbox : Lifetime carbon emissions of electric vehicles vs gasoline cars », Reuters, 7 juillet 2021.
4. François Lenglet, « Les voitures électriques : beaucoup plus polluantes qu’on ne l’imagine », RTL, 6 juillet 2021.
5. « Coronavirus : l’industrie automobile européenne demande un report des normes de CO2 et des amendes », Transitions et énergies, 30 mars 2020.
6. Philippe Gattet, « Le véhicule électrique favorise l’invasion du made in China en Europe », Xerfi, 6 juillet 2021.
7. Fondation Nicolas Hulot, Automobile : notre scénario pour une transition juste, juillet 2021.