La grande enquête « Les Français et l’Assemblée nationale » révèle un certain désaveu du Parlement de la part de nos concitoyens. Avez-vous été surprise par les conclusions de cette étude ?
Le constat de désamour des Français pour la politique n’est pas nouveau. Les dernières élections législatives en particulier s’en sont fait l’écho de deux façons : d’une part un taux d’abstention historique, de l’autre un renouvellement inédit du Parlement caractérisé par son rajeunissement, sa féminisation, son ouverture sur la société civile. En quatre ans, nous nous sommes efforcés de renouveler l’exercice de notre mandat, nos pratiques et d’aller vers nos concitoyens. Cette étude nous montre que plus ces derniers connaissent leur représentant et sont sensibilisés aux enjeux de cette représentation, plus leur confiance et leur satisfaction sont élevées. Ainsi, je suis convaincue que nos concitoyens ne réclament pas moins de Parlement : ils en attendent plus, et ils ont raison ! Ce que j’entends au quotidien et que nous avons tous entendu lors du Grand débat ou de la convention citoyenne pour le climat, c’est qu’ils souhaitent, à raison, un renforcement de la démocratie, participative et représentative. Regagner leur confiance passe donc par un Parlement fort, qui soit capable d’exercer pleinement ses prérogatives afin de répondre aux attentes des Français.
Aussi pour répondre à cette défiance et rapprocher le Parlement des citoyens, vous plaidez pour un Parlement renforcé en rééquilibrant les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Qu’entendez-vous par là ?
La nécessité de ce rééquilibrage fait consensus parmi la classe politique et les propositions sont nombreuses pour faire peser la balance d’un côté ou de l’autre. C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’avais moi-même proposé que les élections présidentielles et législatives aient lieu le même jour afin, entre autres, de réduire l’effet d’entrainement de la première sur les secondes et de permettre une représentation plus juste et diverse des Français. De fait, les outils du parlementarisme rationnalisé, l’élection du Président au suffrage universel direct, l’apparition du « fait majoritaire » font pencher la balance du côté de l’Exécutif. Sur certains points il convient de rétablir une forme d’équité : la représentation nationale est enserrée dans un carcan de règles qui limitent son action. C’est là que peut intervenir la mécanique parlementaire. A mon sens, nous pouvons renforcer le poids du Parlement sans bouleverser les grands équilibres qui fondent la stabilité de notre régime et sa résilience aux crises. Une rénovation plutôt qu’une révolution, tel est l’objet de mes propositions. Par exemple, en matière de droit d’amendement, le gouvernement qui dispose déjà d’un temps long pour préparer ses projets doit être soumis au même délai de dépôt que les parlementaires et s’abstenir de proposer des ajouts substantiels sans que le Parlement ne puisse les expertiser. Cette équité renforcée participerait à la qualité des lois adoptées.
Je propose également de donner au Parlement la capacité de faire aboutir ses propres initiatives lorsqu’elles sont issues de travaux d’évaluation transpartisans ou font l’objet d’un consensus fort à l’image de propositions de loi largement cosignées comme le texte sur la fin de vie. Ces initiatives sont souvent de grande qualité, mais elles peuvent difficilement aboutir aujourd’hui sans le soutien actif et l’intervention du gouvernement. Je suggère donc de consacrer de nouveaux pouvoirs à la main d’une Conférence des Présidents à la gouvernance rénovée afin de faire prospérer ces textes d’origine parlementaire. Il me semble essentiel de libérer et valoriser le travail législatif du Parlement. Sur ce point, je note avec satisfaction que certaines de mes propositions ont été saluées par mes collègues députés de l’opposition et sénateurs.
Dans votre rapport, vous insistez notamment sur la « maîtrise du temps ». De quoi s’agit-il ?
La ressource « temps » tend à se raréfier à mesure que le rythme de notre société accélère et fait peser une pression toujours plus grande sur le politique. Pourtant, sa maîtrise est l’une des clés pour un Parlement renforcé. Notre ordre du jour, qui reste en grande partie à la main du gouvernement, est embolisé alors que notre calendrier parlementaire reste engoncé dans un régime de sessions qui ne nous permettent pas d’exercer en continu l’ensemble de nos prérogatives. De surcroit, il est peu prévisible et surtout peu lisible pour nos concitoyens. On recourt par ailleurs de manière systématique à la procédure accélérée ce qui a pour effet induit d’écraser les délais d’examen des textes. Celle-ci nous permet de légiférer vite mais pour légiférer mieux encore, nous avons besoin d’un temps minimum de préparation. Un calendrier homogène permettant le plein exercice des prérogatives parlementaires, un programme de travail connu ouvrant la voie à l’évaluation des dispositions qui vont être réformées et l’organisation de larges consultations, des délais d’examen incompressibles permettant des travaux préparatoires fouillés en amont, toutes ces propositions sont au service de la qualité de nos délibérations. La maîtrise du temps recouvre ainsi une variété d’aspects qui tous sont indispensables au bon fonctionnement de notre Parlement. Elle renvoie elle-aussi à l’équité : le rééquilibrage des pouvoirs institutionnels passe à mon sens par la prévisibilité et l’anticipation du travail parlementaire. La maîtrise du temps, c’est aussi, comme je l’évoquais plus tôt, la possibilité pour le Parlement de maîtriser les différentes étapes du cheminement des textes dont il est à l’initiative. Chacun des pouvoirs doit être en capacité de maîtriser le rythme d’examen d’un texte et la longueur de la navette parlementaire, le droit d’initiative n’étant pas grand-chose sans la capacité à les faire aboutir. Ce dernier point vaut pour les oppositions auxquelles la démocratie commande de réserver un temps d’ordre du jour en fonction de leur importance respective.
Plus que l’inflation législative en tant que telle, vous souhaitez aussi lutter contre les lois bavardes. Comment ?
C’est là aussi un phénomène en cours depuis de longues années que les différentes tentatives – révisions constitutionnelle ou du Règlement de l’Assemblée - n’ont pas suffi à endiguer. A cet égard, les responsabilités sont partagées. L’hétérogénéité des dispositions introduites dans certains projets de loi est telle que leurs titres font bien souvent référence à l’objectif recherché par les réformes, plutôt qu’au contenu de ceux-ci. Ces textes gouvernementaux dont le volume est important font l’objet de milliers d’amendements, parfois sans rapport avec leur contenu, dont beaucoup sont présentés à l’identique en séance après avoir été rejetés en commission. Il n’est pas rare que la taille initiale des projets de loi soit amenée à doubler à l’occasion de leur examen, engendrant ensuite des censures de « cavaliers législatifs » par le Conseil constitutionnel. C’est un cercle vicieux qu’il nous faut briser. La connaissance des mesures contenues dans la loi semble inversement proportionnelle au nombre d’articles qu’elle contient et peu nombreux sont ceux capables aujourd’hui de détailler le contenu de certains textes particulièrement denses. Il me semble tout d’abord que le gouvernement devrait s’astreindre à présenter des projets de lois courts avec un objet strictement défini. Outre l’interdiction des amendements additionnels déposés par le gouvernement, je propose que pour certaines procédures spécifiques comme celles des révisions constitutionnelles, les amendements ne soient recevables que s’ils émanent d’une initiative collective d’au moins quinze députés. Je défends enfin l’idée que seuls puissent être déposés en séance publique les amendements en lien direct avec le texte examiné par la commission. Il s’agit d’appliquer la règle dite de « l’entonnoir » dès la première lecture, à l’issue de l’examen en commission et en vue de la séance publique. Cela permettrait de réserver à l’hémicycle les débats sur les dispositions les plus emblématiques du texte concerné et celles pour lesquelles des discussions plus approfondies sont nécessaires. Pour atteindre le même objectif, je propose de faciliter le recours à la procédure de législation en commission qui permet de réserver l’examen des amendements des députés et du gouvernement sur les dispositions les plus techniques à la commission permanente saisie. Pour renforcer la légitimité, la qualité du contrôle de recevabilité de tous les amendements, je suggère enfin la création d’une instance centralisée et transpartisane.
Enfin, après le vote de la loi, vous entendez systématiser son évaluation. Par quels biais ?
Une loi ne vaut que si elle est appliquée et produit de véritables effets au service des citoyens. Nous avons beaucoup progressé sur ce point et c’est heureux : le contrôle et l’évaluation sont le propre d’un grand Parlement moderne. Aujourd’hui, chacun reconnaît que le Parlement pourrait mieux encore se saisir de ces missions qui n’ont été inscrites dans notre texte fondamental que récemment, en 2008. Les évaluations des lois permettent de s’assurer que les dispositions adoptées par le Parlement sont pertinentes, adaptées, qu’elles remplissent bien les objectifs visés. La commission des Lois s’est efforcée d’évaluer les textes que nous avons votés sous cette législature : les lois confiance dans la vie politique très récemment, la loi de lutte contre les rodéos motorisés, etc., ou antérieurement – je pense par exemple à la loi Sapin 2 sur la lutte contre la corruption ou l’action des représentants d’intérêts. Ces travaux sont essentiels car la loi ne vaut que si elle produit des effets concrets et parce que leurs conclusions sont souvent consensuelles. Avec le Sénat, nos travaux d’évaluation sont souvent menés en parallèle : pour un même objet, c’est deux fois plus de temps, de moyens et souvent, de redites. Or, je crois profondément à l’utilité des travaux conjoints aux deux chambres, que j’ai eu l’occasion de pratiquer au sein de la délégation parlementaire au Renseignement. Le Parlement y trouve de la force à travers des propositions qui font consensus. Je propose ainsi l’élaboration d’un programme commun d’évaluation des lois par les présidents des commissions de chaque assemblée. Plus généralement, je partage le souci exprimé par plusieurs parlementaires de consacrer une structure capable de produire et de traiter des données et de procéder, notamment, à une contre-expertise sérieuse des évaluations gouvernementales. C’est la raison pour laquelle je soutiens la création d’un pôle parlementaire d’évaluation, comme il en existe dans de grandes démocraties modernes. ■