En cette matière, le diagnostic est généralement partagé : notre démocratie connaît une forme de déséquilibre des pouvoirs, au bénéfice du Président de la République et au détriment du Parlement. La législature qui s’ouvre montrera que cette perception mérite d’être nuancée, mais il est vrai que la spécificité de notre régime est d’identifier le chef politique de la Nation dans la personne du Président de la République, non du Premier ministre, comme c’est le cas dans d’autres régimes parlementaires.
Le remède à ce diagnostic, en revanche, diffère largement. Certains ne veulent rien changer, d’autres voudraient revenir à un « vrai régime parlementaire », signifiant par là qu’il faut réduire le pouvoir et l’influence du chef de l’État, quitte à supprimer son élection au suffrage universel direct, d’autres au contraire proposent d’installer un véritable régime présidentiel, en supprimant la fonction de Premier ministre, ainsi que le droit de dissolution et la responsabilité du Gouvernement.
Le discours consistant à soutenir que la Vème République serait « à bout de souffle » et qu’il faudrait donc en changer, en instaurant par exemple une VIème République, n’est pas fondé.
D’abord, la notion de « VIème République » recouvre des réalités très diverses, pour ne pas dire antagonistes, entre les partisans d’un nouveau régime parlementaire, ceux d’un nouveau régime présidentiel, ou ceux d’un régime dont on réfléchit encore au nom. Si bien que cette notion ne sert qu’à fédérer les oppositions et les critiques à la Vème République, sans porter une argumentation précise. Or il se trouvera toujours des voix pour critiquer le régime en place, même si, demain, une nouvelle République est instaurée : avant même que la VIème République ne voie le jour, on en appellera déjà à la VIIème !
Ensuite, quoi qu’on en dise, en plus de soixante ans d’existence, les institutions de la Vème République ont trouvé leur équilibre. Le Conseil constitutionnel a su s’affirmer comme gardien de la Constitution, grâce aux droits et libertés constitutionnels qu’il préserve, à l’opposition parlementaire qui peut le saisir, à la question prioritaire de constitutionnalité que tout justiciable peut lui soumettre. Le Sénat fait œuvre d’opposition constructive, quoique parfois perçue comme abusive par ceux auxquels il oppose une résistance ; mais c’est là précisément son rôle et il suscite un compréhensible agacement. L’Assemblée nationale connaît la rationalisation, qui se confond certes parfois avec la soumission, mais qui lui permet de soutenir et infléchir un programme choisi par les électeurs et non plus de peser sur toute politique de façon intempestive et opportuniste : là encore, les élections de 2022 l’illustrent pleinement. Le Gouvernement connaît la stabilité dont il a besoin pour gouverner, c’est-à-dire diriger. Le Premier ministre a rencontré une légitimité variable, mais toujours effective, qu’elle soit directe, lors des cohabitations, pseudo-directe, en début de mandat présidentiel (lorsque, accompagnant le Président dans sa victoire, il s’impose à lui) ou indirect, en cours de mandat présidentiel (car il est choisi par le Président qui l’impose aux autres). Le Président de la République, enfin, s’est imposé comme le chef politique de l’État, répondant par là à la volonté des électeurs, sans cesse renouvelée et confirmée.
Enfin, un régime présidentiel suppose, pour fonctionner efficacement, une véritable culture du compromis et une capacité à dépasser les clivages partisans : c’est ainsi qu’il fonctionne auxEtats-Unis et c’est sans doute pour cela qu’il ne fonctionne qu’auxEtats-Unis. En tout état de cause, la culture politique française, marquée par le clivage gauche/droite, ne paraît pas réceptive à une telle évolution. De surcroît, on reste également convaincu que la Vème République a toujours été et n’est rien d’autre qu’un régime parlementaire, pour la double raison que, d’une part, le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement (article 20 de la Constitution) et, d’autre part et surtout, seules les élections législatives attribuent véritablement le pouvoir (retirons au Président sa majorité à l’Assemblée nationale et il est dépourvu de tout pouvoir, sans pour autant que les institutions soient entravées). Les élections législatives de 2022 le confirment une nouvelle fois : ne disposant que d’une majorité relative, le Président de la République et le Gouvernement sont affaiblis, car la majorité est plus faible. Ils ne sont pas pour autant entravés ou empêchés, car la majorité existe, à la condition toutefois de savoir tant ménager les forces de la coalition pour en conserver la cohésion, que s’arroger le soutien de certaines oppositions, a minima par l’abstention. La chose n’est pas aisée, mais nullement impossible et n’oublions pas que la Constitution de la Vème République a été écrite et pensée précisément pour surmonter ce type de situation, avant que n’apparaissent le fait majoritaire en 1962. Pour autant, un rééquilibrage est bien nécessaire.
Les propositions consistant à restreindre les prérogatives du Président de la République paraissent vaines, pour au moins deux raisons.
D’abord, les électeurs sont attachés non seulement à l’élection directe de leur Président, mais aussi à la désignation d’un chef politique, non d’un chef symbolique. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’à chaque élection présidentielle, les candidats proposant de réduire le pouvoir du chef de l’État ne se qualifient jamais pour le second tour. Au contraire, ce sont souvent ceux qui prônent la verticalité ou qui s’engagent à diriger politiquement le pays qui sont élus. Ni le Général de Gaulle, ni aucun de ses successeurs n’ont prétendu exercer le pouvoir différemment qu’en chef politique.
Ensuite, cette ascendance du Président de la République résulte davantage d’un fonctionnement institutionnel que du texte constitutionnel lui-même. Non qu’il y ait là une violation de la Constitution, mais simplement une interprétation qui permet au Président élu d’asseoir son autorité sur le Premier ministre nommé, grâce à la majorité à l’Assemblée nationale qui soutient davantage le premier que le second. Il est dès lors délicat de modifier un fonctionnement institutionnel, résultant d’une pratique voulue et en œuvre depuis le début de la Vème République (sauf à changer de République, mais on en revient alors au point précédent : jusqu’à preuve du contraire, les électeurs ne le souhaitent pas).
Par conséquent, plutôt que de réduire les pouvoirs du Président, il convient de renforcer ceux du Parlement.
Une mesure simple y contribuerait grandement : supprimer purement et simplement (ou presque) le droit d’amendement de l’Exécutif dans la procédure législative.
Le pouvoir exécutif dispose déjà de l’initiative législative, qu’il partage avec les membres du Parlement. Il faut la lui laisser car ce droit d’initiative est la transcription juridique de son action politique. Surtout, le Gouvernement dispose de moyens qui, à ce jour, font défaut au Parlement pour élaborer les projets de loi, en s’appuyant notamment sur les administrations qu’il dirige.
En revanche, une fois que la loi arrive au Parlement, c’est à ce dernier d’exercer la plénitude de son pouvoir, en l’examinant, en l’amendant, en la discutant et en l’adoptant. Le Gouvernement peut intervenir, pour tenter d’orienter ou d’infléchir, en exprimant son point de vue dans le prolongement de la politique qu’il conduit, mais non en déposant des amendements. D’autant plus que les amendements gouvernementaux sont souvent techniques, voire s’apparentent à de véritables projets de loi bis. Il s’en sert allègrement tout au long de la procédure législative pour compléter un projet de loi qu’il s’était (trop) empressé d’élaborer, voire pour contourner les obligations d’élaboration d’une étude d’impact et de transmission au Conseil d’État.
Seuls les parlementaires seront en droit de modifier un texte déposé, exerçant ici la plénitude de leur pouvoir législatif. À charge pour le Gouvernement, d’abord, de bien préparer ses projets de loi et, ensuite, s’il juge nécessaire de les compléter, de demander à sa majorité de reprendre un amendement qu’il aurait préparé et, d’abord, au rapporteur. Détournement de procédure diront certains ? Nullement : c’est l’application de la collaboration entre Exécutif et Législatif, le premier cherchant auprès du second le soutien dont il a besoin. La conséquence en est que le rôle du Parlement est renforcé. La majorité doit pleinement assumer l’ensemble des amendements, même ceux suggérés par l’Exécutif : elle est ainsi amenée à se montrer exigeante et le Gouvernement est contraint de l’écouter. Surtout, la collaboration entre Gouvernement et Parlement en ressort renforcée.
Une exception est toutefois nécessaire, en matière financière. En effet, il ne s’agit pas de revenir sur l’interdiction de l’article 40 permettant d’éviter que les parlementaires ne soient dispendieux, à de seules fins électoralistes, d’autant plus que la matière budgétaire peut connaître une technicité particulièrement élevée, supposant que l’administration de Bercy s’implique dans la rédaction des amendements éventuels.
Par cette mesure simple, claire et efficace, on contribuerait grandement au renforcement du pouvoir parlementaire, donc au rééquilibrage des pouvoirs dans notre régime. ■
*auteur du blog La Constitution décodée