Quatre missions flash, des parlementaires de tous horizons pour un même diagnostic : « il faut agir et c’est urgent d’agir » comme l’a si justement indiqué Jeanine Dubié (LT, Hautes-Pyrénées) le 9 mars dernier lors d’une conférence de presse. Un constat largement partagé par Didier Martin (LREM, Côte d’Or), Corapporteur de la mission flash consacrée aux conditions de travail et à la gestion des ressources humaines dans les Ehpad qui pointe d’emblée que dans ces établissements, « nous manquons d’effectifs ». Une situation difficile qui dure depuis plusieurs années et dont les causes sont multiples : « l’attractivité des métiers, le parcours professionnel, la faiblesse des rémunérations, la sinistralité engendrent un turnover important » reconnaît l’élu, « ce qui dégrade les conditions de travail et donc la qualité de prise en charge des résidents ». Mais au-delà c’est aussi le profil des résidents qui impacte très directement la charge de travail des personnels. Toujours plus dépendants, les résidents sont en effet de plus en plus nombreux à souffrir de troubles cognitifs ou neurodégénératifs nécessitant du temps et de l’attention (2,5 millions de personnes seront atteintes de la maladie d’Alzheimer en 2050 et la génération du « baby-boom » atteindra 85 ans en 2030). Ce que n’ont pas les personnels en sous-effectif et victimes de « la pression de la pendule ». De l’avis unanime des acteurs en question, médecins coordonnateurs, infirmiers, aides-soignants, « c’est dans l’insuffisance des moyens humains pour répondre aux attentes, aux besoins, aux exigences légitimes des personnes âgées que réside la principale difficulté » conclut le rapport. Selon les données publiées par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, le taux d’encadrement médian en 2018 s’élevait à 63 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents, « trop faible pour garantir une prise en charge de qualité » poursuit le rapport. Personnels en sous-effectif, « rythmes harassants », « cadences intenables » finissent par engendrer stress et fatigue avec en bout de course une forme de « maltraitance institutionnelle » que tous déplorent. « À l’heure actuelle, faute de ressources humaines suffisantes, les personnels peuvent être maltraitants à leur corps défendant » reconnaissent les députées Véronique Hammerer (LREM, Gironde), Caroline Fiat (LFI, Meurthe-et-Moselle) et Isabelle Valentin (LR, Haute-Loire), corapporteures d’une des missions flash sur l’Ehpad de demain.
Un ratio de personnels par résident
Pour Didier Martin et Cyrille Isaac-Sibille (MoDem, Rhône), ces constats « qui ne sont pas nouveaux » exigent des « réponses fortes ». Plaidant pour sa paroisse, Cyrille Isaac-Sibille a d’abord tenu à rappeler que sous ce quinquennat, 10 000 postes de soignants dans les Ehpad ont été créés et que 10 000 postes supplémentaires ont été budgétés d’ici 2024. Le député de la majorité présidentielle s’est également félicité du Ségur de la santé et de la création de la Cinquième Branche de la Sécurité sociale qui participent de cette prise de conscience. Mais cela n’est pas suffisant. « Cet effort en faveur des créations de postes doit être poursuivi dans les années à venir » insiste la mission flash relative aux conditions de travail et aux ressources humaines. Ils suggèrent la création d’un ratio minimal opposable de personnels (exprimé en ETP) « au chevet » (infirmiers et aides-soignants) par résident. « Pour l’EHPAD de demain, un ratio de personnels par résident s’impose et doit concerner l’encadrement « au chevet » du résident, c’est-à-dire les aides-soignants et infirmiers » confirme Isabelle Valentin. Cette recommandation déjà faite à de nombreuses reprises, varie de 0,6 ETP « au chevet » soit 0,93 ETP par résident à 0,75, ce qui laisserait « une heure trente » par résident. C’est pour les élus une condition sine qua non à l’amélioration de leur prise en charge de jour comme de nuit et dans tous les Ehpad. Et parce qu’il y a des moments importants dans la journée d’un résident, (lever, toilettes, repas, coucher), le personnel doit être en nombre pour pratiquer correctement l’ensemble de ces gestes, « le faire bien, non pas comme un geste technique minuté mais avec toute la précaution et le temps nécessaires » insiste Didier Martin.
Le rôle et la place du directeur repensés
Pour renforcer l’attractivité des métiers du « grand âge », la mission met également l’accent sur la rémunération en souhaitant faire bénéficier les personnels des Ehpad d’une revalorisation spécifique au « grand âge » dans le prolongement des actions engagées depuis 2020 (création de la prime « grand âge », revalorisation inscrite dans le Ségur de la santé). Au-delà, le rapport propose que les personnels puissent bénéficier des mesures d’aides au logement (attribution facilitée de logements sociaux à proximité du lieu de travail, augmentation des indemnités de résidence). La formation, la validation des acquis de l’expérience, la valorisation des métiers et carrières comme le fait de favoriser les passerelles entre formations doivent aussi être encouragés. Cette gestion repensée des ressources humaines doit aussi concerner le haut de l’échelle. Le rôle et la place des directeurs des établissements doivent évoluer en intégrant notamment un volet médico-social obligatoire à leur formation pour les sortir d’une vision « trop gestionnaire et managériale » de leur fonction. Il faut aussi leur donner plus d’autonomie dans la négociation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), « le directeur, chef d’orchestre de son établissement, doit avoir une responsabilité fonctionnelle » estime Cyrille Isaac-Sibille. Autre nécessité selon le rapport, le rôle du médecin coordonnateur qui doit être renforcé. « Lors de l’admission de nouveaux résidents, leur avis doit être rendu contraignant ». Désabusés, les élus précisent en outre que 30 % des établissements déclarent ne disposer d’aucun médecin coordinateur contrevenant ainsi à la loi et alors même que leur fonction est structurante dans un Ehpad. « Recrutement, prévention des maladies professionnelles, formation, rémunération…. Il faut redoubler d’efforts si l’on veut fidéliser ces personnels dans le temps. Et ne l’oublions pas, leur assurer une meilleure qualité de travail est synonyme de qualité de vie des résidents » conclut plein d’espoir Didier Martin.
Les « zones grises » du financement
Une deuxième mission flash s’est intéressée à la gestion financière des Ehpad et à leurs circuits de financement « relativement complexes ». « L’idée, précise Caroline Janvier (LREM, Loiret), est d’éviter que l’argent public qui provient des ARS et des départements ne soit employé à autres choses qu’au bon accompagnement des résidents ». Pas si simple aux dires des élus qui souhaitent au travers de leurs recommandations « simplifier » ces circuits de financement et obtenir plus de transparence. Certains élus, dans cette mission comme dans celle sur les Ehpad de demain souhaitent même « interdire l’or gris » comme l’a exprimé la députée Insoumise Caroline Fiat. « On peut commencer par interdire aux groupes d’être cotés en bourse » propose radicalement Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) qui cosigne la mission sur le rôle des proches aidants en Ehpad.
« La logique de privatisation et de marchandisation qui est à l’œuvre dans le secteur depuis un certain nombre d’années est couplée à un tarissement du service public de l’autonomie et de l’offre public en matière d’hébergement pour ces personnes » embraye Pierre Dharréville (GDR, Bouches-du-Rhône) qui rappelle que l’offre privée lucrative représente un peu plus de 20 % des Ehpad en France, avec une forte concentration autour de cinq groupes (Orpea, Korian, DomusVi, Colisée et Domidep) contre dix en 2011. Une concentration qui s’accompagne d’une « financiarisation croissante », comme en témoigne l’introduction en bourse d’Orpea et de Korian dans les années 2000. Au cours des auditions, les rapporteurs ont ainsi pu mettre en lumière l’existence de « zones grises » entre les trois forfaits du budget des Ehpad qui permettent à certains établissements de maximiser les dépenses prises en charge par les pouvoirs publics (forfaits soins et dépendance) afin de minimiser celles qui sont imputées sur le forfait hébergement et par conséquent d’accroître les bénéfices des EHPAD*. Cela suffit s’emportent les députés qui préconisent donc de fusionner les forfaits soins et dépendance. Ils veulent aussi rendre transparente la totalité des comptes de tous les Ehpad (publics, associatifs et commerciaux) et, le cas échéant, des groupes auxquels ils appartiennent, « sans que ceux-ci ne puissent faire valoir le secret des affaires » ajoute Jeanine Dubié. Encore faut-il pouvoir contrôler ces flux financiers. Les députés proposent donc de renforcer le contrôle des EHPAD par les départements et les ARS en leur donnant davantage de moyens et en développant notamment les collaborations avec les chambres régionales des comptes.
Autant de pistes de réflexion qui mériteraient d’être approfondies comme le reconnaît bien volontiers Pierre Dhareville mais qui note que le temps réduit laissé par la fin de la législature pour rendre le rapport n’a pas aidé. Il est vrai aussi que l’émotion suscitée par le livre « Les fossoyeurs » exigeait sans aucun doute une réponse rapide du Parlement. Jeanine Dubié aurait pour sa part aimé une mission d’enquête qui aurait permis d’aller point au fond de choses, notamment sur la question des financements. Ce sera pour la prochaine législature. ■
*Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés - Victor Castanet – Fayard – 400 pages.
Le 8 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, ont présenté leur plan de contrôles des Ehpad. L’objectif est de « regagner une confiance qui s’est érodée » après les révélations du livre « Les fossoyeurs ».
Ce « vaste plan de contrôle » acte l’inspection des 7500 établissements « d’ici deux ans » en ciblant prioritairement les Ehpad signalés. Une réponse aux critiques formulées par la Cour des comptes dans son rapport de fin février qui estimait les contrôles « insuffisants » : « Entre un et cinq par an, selon les départements, soit, statistiquement, un contrôle de chaque Ehpad tous les… vingt à trente ans » écrivaient les magistrats. Mais aujourd’hui les choses vont changer a assuré Brigitte Bourguignon : plus aucune alerte « ne sera laissée sans réponse ou sans suivi ». Pour faciliter et encourager les signalements, une plateforme d’écoute va être lancée « d’ici à 2023 » ; le numéro national de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes en situation de handicap (le 3977) également « renforcé ». A cet effet, une enveloppe budgétaire d’un million d’euros est annoncée.
Restaurer la confiance passera selon le gouvernement par une plus grande « transparence » et des familles mieux informées. Le site (pour-les-personnes-agees.gouv.fr) qui propose déjà un annuaire et un comparateur de prix des Ehpad sera complété par une dizaine d’indicateurs supplémentaires (taux d’encadrement, taux de rotation des personnels, taux d’absentéisme, profil des chambres, budget quotidien pour les repas par personne, présence d’une infirmière de nuit et d’un médecin coordonnateur, partenariats avec un réseau de santé, etc.). « Le but est que chacun puisse connaître le taux d’encadrement, le taux de rotation des personnels, la présence ou non d’un médecin coordonnateur, le budget quotidien pour les repas par personne pour prendre la décision la plus éclairée possible » explique le ministère de l’autonomie
Le plan prévoit également que chaque année, les établissements devront présenter une enquête de satisfaction réalisée selon un questionnaire élaboré d’après une méthodologie établie par la Haute Autorité de santé (HAS) d’ici le mois de mai. Pour éviter des coûts abusifs, il sera demandé un effort de transparence et de précision dans les contrats passés avec les résidents. Et un « contrôle financier accru » par la chambre régionale des comptes sera aussi mis en place