Les 100 000 voyageurs qui empruntent quotidiennement les 320 trains Intercités (ou trains Corail) qui relient entre elles 335 villes de France, ont du souci à se faire. Le rapport rendu par la Commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire (TET) composée d’élus et d’experts et présidée par le député socialiste du Calvados Philippe Duron est un pavé dans la mare en proposant entre autres, de revoir à la baisse le nombre de lignes mais aussi de supprimer les trains de nuit. Des conclusions qui ne sont pas le fruit du hasard mais bien celles d’un constat accablant pour les Intercités. Avec « une qualité de l’offre continuellement dégradée, des temps de parcours sensiblement augmentés, une régularité dégradée » explique Philippe Duron, sans oublier les infrastructures et un matériel roulant d’un autre âge (31,5 ans de moyenne) et des pertes financières abyssales (340 millions en 2014, près de 450 millions en 2016, et probablement 500 millions en 2025), pour ce spécialiste des transports, il y a urgence. « Il faut revisiter complètement l’offre, dynamiser le réseau et offrir des solutions adaptées à la demande » tranche alors le président de la mission. Signalons aussi que ce diagnostic est partagé par la Cour des comptes, qui dans son rapport annuel de février (voir encadré) évoquait, pour sa part, la baisse de fréquentation sur ces lignes de presque 15% entre 2011 et 2013 et un taux de remplissage de 35% en moyenne. Enfin, dans un rapport remis à la Commission Duron, la SNCF prémâchait son travail, en proposant elle-même la suppression de plus de la moitié de ces lignes TET dont l’axe Caen-Le Mans-Tours et Bordeaux-Clermont-Ferrand-Lyon.
Revisiter l’offre, dynamiser le réseau, offrir des solutions adaptées à la demande
Il n’en reste pas moins que pour le député « le principal trait de ces trains, c’est leur hétérogénéité. Il est très difficile d’avoir une unité d’approche. Les 34 lignes TET, dont une douzaine de trains de nuit, rassemblent diverses lignes de grande banlieue du Bassin parisien, des radiales entre Paris et les régions, des transversales, comme le Lyon-Bordeaux ou le Quimper-Toulouse ou des “bouts de lignes résiduelles” interrégionales, comme le Toulouse- Hendaye… » Mais finalement, la mission qu’il préside en est arrivé à la conclusion qu’il fallait revoir de fond en comble le réseau des Intercités en adaptant certaines lignes, en en supprimant d’autres et en ouvrant, pourquoi pas le marché à la concurrence. Après six mois d’enquête, la commission en a donc conclu qu’il fallait mener « de manière détaillée » une analyse ligne par ligne, « pour les dessertes de nuit comme de jour » afin d’identifier « quelles dessertes devraient être maintenues, voire renforcées et quelles dessertes devraient être allégées ». Sur des lignes à fort potentiel comme Paris-Clermont ou Nantes-Lyon, la Commission propose le renforcement de l‘offre tout en investissant sur du matériel neuf tout autant pour des questions de sécurité que d’attractivité commerciale.
Un transfert vers la route
Quant aux autres lignes, moins fréquentées, le rapport prône soit leur maintien s’il y a des enjeux socio-économiques évidents, soit de réduire leur fréquence, de supprimer certains arrêts, voir même de les supprimer (en ligne de mire les tronçons Caen-Le Mans-Tours, Clermont-Ferrand-Béziers, Charleville- Metz, Toulouse-Hendaye) et « le cas échéant de transférer le service sur route », autrement dit par autocar ; une mesure opportunément facilitée par la loi Macron, ou bien de les transférer aux régions parce que certains de ces trains ne relèvent pas des TET, « font du cabotage » et devraient alors être remplacés par des TER. Pour Philippe Duron, il apparaît, en effet, nécessaire de « revisiter le périmètre » de ces Trains d’équilibre du territoire qui « doivent relier les grandes villes, avec une vitesse des temps de parcours acceptables ». « Quand vous voyez qu’un train Intercités pour faire Bordeaux- Lyon met plus de six heures, là où une compagnie aérienne low cost met une heure, ça n’a pas de pertinence » constate le député. Quant aux trains de nuit, leur sort semble scellé. Le rapport parle d’un modèle économique tout simplement « plus viable » tandis que la SNCF juge que « l’offre a perdu de son attractivité ». « Il y a dix ans, on vantait la nuit en valorisant le coût attractif du transport et de la nuit d'hôtel. Aujourd'hui, le développement des petits prix sur les offres ferroviaires de jour, les low cost aériens, le covoiturage et les low cost hôteliers (font que) le modèle du train de nuit ne permet pas d'entrer dans une politique de prix aussi agressive que cette nouvelle concurrence » écrit la SNCF dans une note adressée à la Commission.
La colère des élus
Mais voilà, avec de telles propositions, le rapport a été immédiatement dénoncé par les élus locaux qui s’étaient déjà mobilisés bien avant la remise du rapport, les syndicats de cheminots et une grande majorité d’usagers qui, tout en déplorant les dysfonctionnements, comptent sur « leurs » trains pour se déplacer. Ainsi, Villes de France et l’Association des Régions de France ont à plusieurs occasions dénoncé « le polycentrisme parisien » et rappelé que « la France ce n’était pas seulement les métropoles ». Les trains Intercités en permettant à de très nombreux habitants de rejoindre leur lieu de travail « ont aussi vocation à éviter la désertification de nos villes » insiste Caroline Cayeux, la sénatrice-maire de Beauvais et présidente de Villes de France. Mais quoiqu’il en soit et « préalablement à tout projet de démembrement », les élus estiment qu’un débat doit être ouvert devant la représentation nationale comme l’explique Caroline Cayeux : « La restructuration de l’offre ferroviaire en France ne doit pas être tranchée uniquement par Bercy et la SNCF ».
Vis-à-vis de l’abandon proposé du conventionnement par l’État pour le service des Trains Intercités, Villes de France juge qu’il faut aller jusqu’au bout du processus. Elle demande - au-delà du seul autocar – « une ouverture accélérée de l’offre d’exploitation à la concurrence de toutes les lignes concernées, dans des conditions de transparence renforcées ». Enfin, concernant le transfert massif aux nouvelles régions de lignes et de matériels en état de déliquescence, Caroline Cayeux réclame un audit indépendant pour évaluer « objectivement » le montant de la compensation qui sera dû aux régions par l’État en cas de substitution.
Le rapport ne fait pas que des malheureux ou des inquiets. Plusieurs opérateurs, concurrents de la SNCF sont … sur les rails comme Arriva, filiale de la Deutsche Bahn, Transdev, filiale de la Caisse des dépôts ou la compagnie franco-italienne Thello. A l’Association française du rail (Afra), on estime même que « la fermeture des lignes intercités n’est pas une fatalité ».
Bien au contraire, « de nombreuses lignes sous-exploitées par l’opérateur historique pourraient être développées par des entreprises alternatives ». Le rapport Duron qui plaide pour l’expérimentation de contrats en délégation de service public trouve que l’ouverture à la concurrence pour 2019 est trop tardive et qu’elle devrait être « anticipée » parce qu’elle constitue « une véritable chance pour redynamiser ce service public […] qui peine à recouvrer un modèle économique viable ». Tandis que la SNCF se dit prête à l’expérimentation, la CGT juge pour sa part que « la concurrence n’apporte pas de réponses aux causes des difficultés de l’offre du réseau intercités telles qu’identifiées par la commission Duron elle-même ».
La Fédération nationale des associations d’usagers des Transports (FNAUT) valide quant à elle l’idée de l’expérimentation de la délégation de service public estimant que la concurrence « donnera aux pouvoirs publics et aux utilisateurs des référence sur le vrai coût de la mobilité des biens et des personnes ». Le Gouvernement a maintenant les cartes en main.Il devrait présenter ses préconisations le 3 juillet prochain.
Déjà la Cour des comptes
Dans son rapport annuel de février dernier, la Cour consacrait un chapitre aux trains Intercités. Le constat des Sages était sans appel, reflet de ce qu’allait écrire quelques mois plus tard Philippe Duron. Premier signalement des magistrats, la grande hétérogénéité de ces Intercités (Corail, Corail Intercités, Téoz et Lunéa) sont venus s’intercaler entre les TER et les TGV. Tout cela formant un ensemble, « à l’identité peu affirmée et un peu désuète, qui se définit en creux par rapport à la grande vitesse et au transport régional » font remarquer les magistrats. La conséquence est un périmètre pour les Intercités qui n’a cessé de se réduire, à la mesure du développement des deux autres activités. L’hétérogénéité se voit aussi dans les différentes tarifications applicables et dans le fait que circulant à la fois sur le réseau grandes lignes et sur des portions du réseau ferré d’intérêt local, les Intercités doivent s’adapter à leurs disparités d’électrification obligeant la SNCF à utiliser du matériel diesel ou thermique plutôt qu’électrique, avec une répercussion sur la vitesse.
Autres constats, la fréquentation « globalement faible » des Intercités et un taux de remplissage moyen « assez faible », de l’ordre de 35% et un matériel roulant disparate et vieillissant. La Cour dénonce aussi un « enchevêtrement complexe » avec les TER ; les Intercités assurant des dessertes de cabotage, sans logique apparente et qui sont parfois dans « des situations de coexistence, voire de concurrence sur certains axes où des trains Intercités assurent exactement les mêmes trajets et desservent les mêmes gares ». Déjà déficitaires, les Intercités ont été relégués au second plan avec leur conventionnement, au point de devenir « une activité mineure » pour la SNCF. « Cette politique s’est traduite par une fermeture progressive, au fil des années, des lignes les plus déficitaires ».
La pérennisation du réseau Intercités supposera donc « une réduction de son déficit, une redéfinition de son périmètre et une clarification de son financement ». Dans ce rapport, la question du maintien des dessertes les plus déficitaires a aussi été très clairement abordée comme celle d’une ouverture à la concurrence. Et la Cour de conclure que « la préservation d’un réseau de trains « Intercités » est un enjeu majeur d’aménagement du territoire. Le retard mis à prendre les décisions permettant de l’assurer, contraint maintenant l’État, la SNCF, mais également les régions à devoir résoudre une équation particulièrement complexe à un moment où les marges de manoeuvre financière sont devenues très faibles. Un tel objectif suppose des mesures énergiques de réduction des coûts de gestion de ces trains, mais aussi des choix en ce qui concerne leur périmètre et leur financement ». Le rapport Duron n’a donc rien inventé. Il s’est même très largement inspiré de celui de la Cour des comptes.