Les sanctions imposées par l’Europe à la Russie exigent de revoir la politique européenne d’importation d’hydrocarbures russes dont l’Europe est pourtant très dépendante. Des choix vont devoir être faits, dans l’urgence. « L’utilisation par la Russie de ses ressources en gaz naturel comme arme économique et politique montre que l’Europe doit agir rapidement pour être prête à faire face à une incertitude considérable sur l’approvisionnement en gaz russe l’hiver prochain » a déclaré Fatih Birol, directeur de l’AIE lors d’un point presse. Or justement pour agir, l’Agence internationale de l’Energie ne manque pas d’idées ; des idées qualifiées d’« intéressantes » par Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique – la France assure actuellement la présidence tournante de l’Union européenne -. Des mesures qui plus est seraient respectueuses du Green Deal européen.
Alors que l’Union européenne est largement dépendante du gaz russe - l’UE a importé 155 milliards de mètres cubes de gaz naturel de Russie. Soit environ 45 % des importations de gaz de l’UE et près de 40 % de sa consommation totale de gaz -, le plan de dix mesures proposées par l’AIE pourrait ainsi permettre de réduire de plus d’un tiers les approvisionnements russes.
Après avoir mis fin à ses contrats avec l’industrie gazière russe Gazprom, comme le suggère l’Agence internationale de l’Energie, l’Europe va donc devoir diversifier ses sources d’approvisionnement. Elle pourrait alors faire appel à des pipelines d’Azerbaïdjan et de Norvège, ce qui permettrait une économie d’environ 30 milliards de m3 de gaz russe. Mais cela ne suffirait évidemment pas. L’AIE incite également l’Europe à accélérer dans le développement de l’énergie nucléaire et renouvelable. Mais cela demande « un effort politique ». Pour augmenter la production d’électricité, l’Agence invite l’UE à mettre l’accent sur l’éolien et le photovoltaïque en poussant les projets déjà en cours. Mais, l’AIE veut aussi que l’on s’attaque « aux retards liées à l’obtention des permis ». Ces efforts devraient permettre de réduire la consommation de gaz russe de 6 milliards de mètres cubes. Et le nucléaire ? « L’énergie nucléaire est la plus grande source d’électricité à faibles émissions dans l’UE » souligne l’AIE. Pour augmenter les capacités de production, il sera nécessaire de suspendre les fermetures des réacteurs prévues pour fin 2022 et 2023 et réactiver les centrales mises hors de service pour des raisons de sécurité. Ces mesures pourraient « réduire la demande de gaz de l’UE de près de 1 milliard de mètres cubes par mois ».
« Il n’y a aucun risque sur la fourniture du gaz, mais nous devons renforcer notre résilience et réduire drastiquement notre dépendance au gaz russe » a insisté lors de cette même conférence de presse Barbara Pompili bien consciente des risques de la flambée des prix avec la hausse de la demande de gaz les hivers prochains. C’est la raison pour laquelle, selon l’Agence, il devrait être prévues des obligations minimales en matière de stockage de gaz pour les opérateurs commerciaux. « Notre analyse suggère que des niveaux de remplissage d’au moins 90 % de la capacité de stockage de travail d’ici le 1er octobre soient nécessaires pour fournir un tampon adéquat au marché européen du gaz pendant la saison de chauffage » indique l’AIE. Au-delà de ces mesures, l’Agence propose également de baisser d’un degré le chauffage, ce qui permettrait de réduire la demande de gaz d’environ 10 milliards de mètres cubes par an mais aussi en misant sur la rénovation des bâtiments et l’installation de pompes à chaleur plutôt que des chaudières à gaz.
Même combat pour réduire la dépendance européenne au pétrole russe (premier exportateur mondial). Les 10 mesures de l’AIE permettraient de réduire la consommation de pétrole de 2,7 millions de barils par jour en quatre mois, soit l’équivalent de la consommation de toutes les voitures en Chine. Comme pour le gaz, l’Europe doit diversifier ses sources d’approvisionnement en se tournant notamment vers l’Arabie saoudite qui devra produire plus mais il faut aussi agir sur la demande. Et l’Agence pense surtout au secteur du transport avec une série de mesures facilement applicables jugent les experts de l’AIE qui décidément ne manquent pas d’imagination : baisser d’au moins 10 km/h la vitesse autorisée sur autoroute, inciter au télétravail, organiser des dimanches sans voiture dans les villes ou encore baisser le prix des transports publics et encourager la marche et le recours au vélo, utiliser le train plutôt que l’avion et enfin miser sur les voitures électriques... Voilà qui devrait permettre de faire face à ce « choc » pétrolier. ■
Trois questions à David Habib, Vice-président de l’Assemblée nationale, Député de la 3ème circonscription des Pyrénées-Atlantiques
Comme député du Béarn, vous avez sur votre territoire, le bassin de Lacq : quelle est son histoire ? Est-il toujours en activité ?
Le bassin de Lacq est une exception française. C’est le seul gisement de gaz et de pétrole conventionnel sur le territoire hexagonal.
Lacq est une prouesse technologique, une réussite économique et une formidable aventure humaine. Quand on regarde l’histoire de Lacq, on ne peut qu’être progressiste, adversaire du malthusianisme, opposé à toutes les théories de décroissance.
Découvert à la fin des années 30, mais exploité à compter de 1951, le bassin de Lacq a donné à la France 150 milliards de m3 de gaz. En 1982, année de sa pleine puissance, c’est l’équivalent en gaz de 200 000 barils/jours qui sont produits. Lacq avait une vocation commerciale. Le gaz qui était produit circulait dans les tuyaux pour être distribué partout sur le territoire national. A partir des années 2000, à l’initiative des organisations syndicales, mais aussi de la direction de Total, le gaz a été exploité pour permettre l’alimentation des unités industrielles installés sur le bassin, et notamment Arkema. Aujourd’hui, une faible quantité de gaz continue d’être extraite pour alimenter nos unités chimiques.
En 2017, le gouvernement d’Edouard Philippe et son ministre de l’environnement, Nicolas Hulot, ont eu une très mauvaise idée : interdire toute extraction de gaz et de pétrole en France à compter de 2040. Cette législation est inepte, car il est bien évident qu’après 2040, on continuera à importer le gaz et le pétrole dont nous avons besoin. Mais notre pays est champion en matière de législation ridicule.
Je n’ai pas voté la loi Hulot, contrairement à l’immense majorité des parlementaires qui aujourd’hui se demandent si le gaz russe est plus « propre » que le gaz français. J’avais obtenu toutefois une dérogation historique pour le gaz et le pétrole béarnais : les gisements de Lacq et du Vic-Bilh ne sont pas concernés par la loi Hulot.
Lacq, ce n’est que du gaz ?
Dès le début des années 80, a été élaboré une stratégie de diversification. Après la « chimie de l’extraction », nous avons développé des plateformes industrielles autour de la « chimie de l’intelligence » (chimie de la molécule, cosmétique, pharmacie, …) ; mais aussi la « chimie de l’énergie » (biocarburant) et la « chimie des matériaux » (fibre de carbone avec le groupe Toray).
Lacq, ce sont des dizaines d’entreprises qui ont investi dans l’intelligence, croient dans la formation et sont convaincus qu’il peut y avoir une industrie propre, respectueuse de l’environnement, protectrice de ses salariés. Dernière implantation : celle décidée par le groupe Pfizer qui, au sein de l’usine Novasep, va produire le principe actif du traitement anti-Covid.
Avec les appels au boycott du gaz et du pétrole russes, le besoin en énergie fossile va se faire durement sentir. Qu’en est-il aujourd’hui de l’extraction de gaz et de pétrole en France ? Ne faudrait-il pas revenir aussi sur la loi Hulot ?
La France bénéficie encore à 20 % des importations de gaz russe, quand tous les pays européens font aujourd’hui le constat qu’il faut sortir de cette dépendance. Plusieurs alternatives sont déjà à l’étude, comme la mise en place de nouveaux partenariats avec l’Algérie ou le Nigéria. Mais ce serait une erreur d’occulter nos ressources nationales.
Je suis favorable à une modification de la loi Hulot, ou même sa suppression. Cette loi conduit à un paradoxe : nous n’avons pas le droit d’extraire en France des énergies fossiles que nous importons par ailleurs. Pourtant, ces richesses existent dans notre Hexagone et en Outre-Mer. Le gisement du Vic-Bilh représente par exemple l’équivalent des besoins de l’armée française en pétrole !
Nous savons qu’en Lorraine, en Alsace, en région parisienne, dans le Golfe de Gascogne, et peut être même sous le gisement de gaz de Lacq, dans ce qu’on appelle « Lacq profond », il y a des poches d’hydrocarbure susceptibles de répondre à nos besoins. Mais, je me répète, c’est le paradoxe vert : on préfère importer du gaz et du pétrole, y compris de schiste, plutôt que de produire nous-mêmes des hydrocarbures conventionnels dont on aurait besoin.
Nous avons la chance d’avoir une formidable entreprise en France, Total. Nous avons à Pau le centre de recherche en matière de géoscience le plus important d’Europe ; le deuxième du monde. Et par idéologie, on y renonce.