Le programme de stabilité pour 2022-2027 prévoit une amélioration du solde public de -5 % du PIB en 2022 à -2,9 % en 2027. Cette trajectoire repose sur l’hypothèse d’une augmentation des dépenses publiques réelles contenue à 0,6 % par an entre 2024 et 2027. Cet objectif est à la fois ambitieux – la dépense publique n’aura jamais augmenté si peu s’il est réalisé – et raisonnable – les autres pays de l’Union européenne abandonnent bien plus tôt le soutien à leur économie. Cette majorité est celle de la responsabilité budgétaire, la première à avoir fait sortir la France de la procédure pour déficit excessif. Le resserrement de la politique monétaire, l’explosion de notre endettement avec la crise du Covid-19, nous imposent désormais de ne pas lâcher prise sur la rationalisation de nos dépenses.
Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2022, nous étions quelques parlementaires à proposer à Bruno Le Maire de réfléchir à la réduction des dépenses publiques. La démarche détonne dans l’univers parlementaire : si le processus d’examen fait en général gonfler l’enveloppe budgétaire de quelques milliards, rares sont les parlementaires prêts à prendre des coups en proposant la suppression d’une dépense publique inefficace. Généralement, le Gouvernement présente en octobre un projet de loi de finances (PLF) « ficelé » et la cadence infernale d’examen ne permet pas de reposer la question de la légitimité et de l’efficacité des dépenses qui sont reconduites, par défaut, d’année en année.
Bruno Le Maire offre aux parlementaires l’occasion unique de réfléchir aux choix de dépenses que nous voulons faire collectivement et au nom de priorités politiques partagées. Cette task force a vocation à associer tous les parlementaires des groupes constructifs. Représentants du peuple, ils ont la légitimé pour mener jusqu’au bout ce travail de réflexion sur nos dépenses qui, malgré la multiplication des organismes d’évaluation et comités ad hoc, des rapports et des recommandations, n’a jamais vraiment abouti à une réduction significative de nos dépenses publiques.
Dès lors, quelle démarche adopter pour répondre aux défis posés aux parlementaires ? A court terme, dans l’optique du PLF pour 2023, faisons l’inventaire des dépenses publiques dont l’évaluation a mainte fois conclu à leur inefficience, et ayons le courage politique de les supprimer.
A plus long terme, mettons les parlementaires dans la boucle budgétaire dès la conception du projet de loi de finances en organisant une revue des dépenses au Parlement.
A court terme, appliquer les conclusions des évaluations
Il ne s’agit pas de réinventer l’eau chaude : les organismes chargés de l’évaluation et de faire des propositions de réformes sont déjà nombreux, France Stratégie, la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances, etc.
Un Comité Action Publique (CAP 22) avait même été installé en 2017 avec pour feuille de route de réfléchir à la soutenabilité de nos finances publiques. La rédaction du rapport CAP 22 a mobilisé la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), les trois inspections générales, la Direction du Budget et France Stratégie, soit l’ensemble des organismes publics chargés de l’évaluation des politiques publiques en France. Ils sont parvenus à un consensus sur les propositions du comité.
Puisqu’il n’est pas question, en quelques semaines, de réévaluer l’efficacité de l’ensemble des politiques publiques de l’Etat, notre action, à court terme, doit être pragmatique et disruptive : appuyons-nous sur le portefeuille d’évaluations déjà menées par l’administration, examinons les recommandations faites par des personnalités compétentes, tirons-en les conclusions et assumons nos responsabilités politiques ! Il ne s’agit rien de moins, en amont du PLF, que de proposer la démarche, d’ouvrir le débat et de dégager un consensus et une volonté politique sur des politiques publiques que tous s’accordent à trouver mal menées.
Prenons un exemple parmi d’autres : le dispositif des exonérations fiscales et sociales adossées aux zonages territoriaux. Zones de revitalisation rurale (ZRR), zones de revitalisation des centres-villes (ZRCV), zones de revitalisation des commerces en centre-ville (ZorCoMir)... Chaque parlementaire a voulu son zonage pour répondre aux spécificités de son territoire, ce qui fait qu’aujourd’hui la moitié des communes de France entre dans au moins un dispositif de zonage. L’administration a évalué le dispositif des exonérations zonées et conclu à son absence d’effet sur le maintien des entreprises dans un territoire et l’emploi. Une politique globale, comme celle des programmes Action Cœur de Ville ou Petites Villes de Demain, redynamise un territoire de manière bien plus efficace que de simples exonérations. La révision d’ensemble de cette politique de zonage a été suggérée par le rapport d’évaluation de ce dispositif, une suppression des zones franches urbaines (ZFU) a été inscrite en projet de loi de finances pour 2022, mais a été abandonnée ensuite. Tous les dispositifs zonés ont été reconduits à l’identique en projet de loi de finances pour 2021, puis pour 2022, alors même que le diagnostic de leur inefficacité est établi. Ce sont 600 millions d’euros de dépense fiscale qui pourraient être revus, alors que de nouvelles politiques publiques zonées mieux pensées ont été déployées. De même, mettons-fin aux dépenses fiscales qui subventionnent les activités polluantes, c’est défaire d’une main ce que nous faisons de l’autre en termes d’action pour le climat.
A moyen terme, mettre le Parlement au cœur des revues de dépenses
Bruno Le Maire a dit souhaiter une méthode nouvelle de réduction des dépenses publiques, mais la France ne dispose en réalité d’aucune méthode de revue systématique des dépenses dans le cadre de l’élaboration du budget. Cette méthode nouvelle, elle est à inventer. Les autres pays européens conduisent tous sous une forme ou une autre des revues de dépenses. Le Royaume-Uni conduit des « comprehensive spending reviews » au début de la préparation des budgets triennaux qui fixent des plafonds à une partie des dépenses budgétaires. Les Pays-Bas effectuent une revue de dépenses tous les 4 ans depuis 2010.
Si les comités ad hoc peuvent conduire un travail de qualité et proposer des pistes nouvelles, l’exemple de CAP22 montre que leurs conclusions, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont pas systématiquement reprises. Une revue de dépenses doit être directement adossée au processus budgétaire pour assurer un portage politique fort. Dans cette optique, confier aux parlementaires le soin de faire des propositions et non à un énième comité prend tout son sens.
La loi de programmation des finances publiques de 2014-2019 avait introduit un dispositif de revue de dépenses. Entre 2015 et 2017, une quarantaine de revues de dépenses préparées par les corps d’inspection a été annexée aux PLF. Aujourd’hui, le processus de plus en plus riche et complet d’évaluation par les parlementaires est totalement décorrélé de l’élaboration du budget. Les commissaires aux finances rapporteurs spéciaux ont pourtant un regard fin sur la mission budgétaire dont ils ont la charge. Pour reprendre l’expression du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire installé en 1998, « quelque chose de vraiment nouveau » se produirait si les députés utilisaient la connaissance acquise de la performance d’une politique publique comme outil dans la discussion budgétaire.
C’est pourquoi, nous proposons que cette méthode nouvelle consiste à demander à chaque rapporteur spécial de conduire, à la suite du Printemps de l’Evaluation, une revue des dépenses de sa mission, pour proposer de réformer ou suspendre des politiques publiques inefficaces. Un chaînage vertueux doit associer le dispositif de performance prévu par la loi organique relative aux lois de finances au Printemps de l’Evaluation et à des revues de dépenses pilotées par les rapporteurs de chaque mission budgétaire.
Le point faible des processus d’amélioration de la performance en France se situe dans la traduction d’évaluations – nombreuses et de bonne qualité – en décisions concrètes, par manque de lien entre l’évaluation et la décision politique. Nous proposons de recréer ce lien et de redonner au Parlement la plénitude de ses fonctions d’évaluation et de contrôle de l’action publique. ■