Le rapport rendu le 21 juin par les sénateurs intervient alors même que l’exploitation des fonds marins fait l’objet de nombreuses discussions. Une semaine après a eu lieu en effet la deuxième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc), à Lisbonne, dans laquelle Emmanuel Macron a appelé à interrompre toute exploitation des fonds marins. « Nous devons mettre en place un cadre réglementaire pour mettre un terme à l’exploitation minière en haute mer et interdire toute nouvelle activité dangereuse pour les écosystèmes océaniques » a-t-il appelé de ses vœux. Une prise de position qui a semble-t-il légèrement évolué. Jusque-là en effet, le Président de la République avait plutôt entretenu une position ambigüe sur le sujet.
Prudence
Le rapport du Sénat, rédigé par le sénateur breton Michel Canévet et celui de Polynésie, Teva Rohfritsch est réservé à l’égard de l’exploitation en eaux profondes dans les océans : « la mission estime prématurée de se prononcer sur la prospection et l’exploitation des ressources minières » disent-ils. En cause, la connaissance « lacunaire » de leur « biodiversité [...], [de] leur fonctionnement, des interactions entre écosystèmes, et du rôle des grands fonds dans le système océanique et climatique de la planète ». En comparaison, douze hommes se sont déjà rendus sur la lune, mais seulement 7 ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur tiennent-ils à rappeler.
Etudier les besoins
Toujours selon les Sénateurs, il s’agit avant tout de comprendre les véritables besoins de l’homme auxquels l’exploitation des océans répondrait et de voir si l’on ne pourrait pas d’abord les combler par des ressources disponibles dans les sols. « L’échéance et la nature des besoins demeurent floues compte tenu des réserves terrestres existantes, des possibilités de recyclage et de l’évolution des technologies et des besoins en minéraux associés ». Des constats qui sont à l’opposé de la volonté politique française traditionnelle. Jusqu’à présent, l’Etat s’est plutôt attelé à mettre en œuvre sa Stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins depuis janvier 2021 et à s’abstenir de voter, neuf mois plus tard, un moratoire sur l’exploitation minière à l’Assemblée des membres de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Ne pas rester immobiles
Le rapport, apparemment défavorable à toute forme d’exploitation à brève échéance encourage toutefois le développement des recherches dans ce domaine. « Ces incertitudes ne doivent pas paralyser l’action publique » affirme le sénateur Teva Rohfritsch. Il constate en effet que la « description des grands fonds marins a progressé au cours des dernières décennies, mais l’inventaire de sa biodiversité ne fait que commencer. Nous découvrons de nombreuses espèces à chaque plongée, confie-t-il encore à actu-environnement.com. La compréhension des interactions entre les écosystèmes et sur le rôle de ces grands fonds sur les systèmes océaniques et climatiques de la planète tout entière débute aussi ». Selon la Fondation de la Mer, ces espaces absorberaient 43 % de l’excès de chaleur produit par l’effet de serre.
Revoir la gouvernance et les moyens
Les sénateurs appellent surtout le gouvernement à prendre les moyens pour développer la recherche dans les fonds marins à une échelle plus grande et à y associer plus étroitement les Outre-mer. Et pour plus d’efficacité dans cette entreprise, le sénateur préconisait « la reconstitution d’un ministère de la mer de plein exercice ». Au lendemain de la formation du gouvernement, il n’en est rien. Pour l’instant, il n’existe qu’un secrétaire d’Etat chargé de la Mer, en la personne d’Hervé Derville, qui est rattaché auprès de la Première ministre. Les sénateurs souhaiteraient aussi que soit nommé « un délégué interministériel, placé auprès du Premier ministre, [...] associant le Parlement et les Outre-mer qui représentent 97 % de la zone économique exclusive française ».
D’autre part, les auteurs voudraient que soit constitué « un conseil scientifique sur les fonds marins pour éclairer les choix politiques ». Une nouvelle gouvernance qui aurait pour visée de mieux tirer profit des ressources maritimes considérables que possède la France, dont la ZEE est la première au monde, avec 10,9 millions de km2, devant les Etats-Unis et l’Australie. Une ZEE aussi large qui s’étend sur tous les océans mondiaux.
Une hausse des moyens
Pour entreprendre les nouvelles recherches, le rapport appelle bien-sûr à ce que des moyens suffisants y soient alloués. Les sénateurs souhaitent donc la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021, à laquelle le plan France 2030 ne se substitue pas. « L’ensemble des moyens annoncés c’est-à-dire 600 millions d’euros (hors défense) doivent donc être alloués » insistent-ils. Enfin, la mission appelle à renforcer les moyens humains et financiers de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer), de l’Office français de la biodiversité ou encore de la Flotte océanographique française. L’objectif en effet est de ne pas se faire dépasser par les voisins européens, qui n’hésitent pas à lancer de nombreux projets de recherche dans les océans, tels la Norvège, l’Allemagne. Et si ceux-là sont soucieux d’une exploitation respectueuse de l’environnement, c’est certainement moins le cas d’autres acteurs mondiaux majeurs, la Chine en particulier, qui est aujourd’hui en première position en matière d’exploration de métaux (nickel, cobalt, manganèse).
Alors-même que les « continents de plastique » présents dans les océans sont régulièrement pointés du doigt par les ONG, la question de l’extraction en eaux profondes dans les eaux françaises s’annonce particulièrement sensible pour les années à venir. François Chartier, chargé de campagne océans pour Greenpeace France a d’ores-et-déjà prévenu : « la France ne peut plus rester aux abonnés absents concernant cet enjeu », et a appelé Emmanuel Macron à défendre résolument le moratoire contre l’exploitation des océans dans les prochaines années. ■
Chiffres clés
71 % C’est la surface de Terre couverte par l’océan
2 % de la batymétrie des fonds marins connus avec une résolution d’1 mètre.
5 % de la biodiversité de l’océan profond connue seulement.
20 % connus avec une résolution « raisonnable », dépendant de la profondeur – de 100 mètres à 800 mètres.
97 % des fonds marins accessibles avec des moyens d’intervention à 6 000 mètres.
75 % des fonds marins sont situés à plus de 3 000 mètres de profondeur.
3 800 mètres Profondeur moyenne de l’océan.
11 millions de km2 C’est la superficie de la ZEE française, dont 97 % sont situés Outre-Mer. La zone internationale couvre elle 54 % des océans.
30 % C’est l’avancement du programme nationale d’hydrographie. La progression est de moins d’1 % par an. Il faudrait 60 ans pour cartographier les fonds de la métropole.
98 % des données numériques transitent par les fonds marins.