Sommes-nous pour autant condamnés à jouer le rôle de fournisseur d’innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles, nous revenant sous forme d’importations néfastes à notre balance commerciale ? La crise énergétique pourrait aggraver le phénomène, puisqu’elle rend plus difficile la réimpatriation des chaînes de production.
Pour sortir de cette impasse, le groupe Les Indépendants a lancé en décembre 2021 une mission d’information sur le sujet, dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité le 8 juin dernier.
« Excellence de la recherche et innovation, pénurie de nouveaux champions industriels : cherchez l’erreur française ». La formulation retenue pour le titre était volontairement provocatrice. Mais parmi les 125 personnes auditionnées, rares ont été celles qui l’ont jugée impertinente. Car je crois que nous comprenons tous, chacun avec sa sensibilité politique, le drame industriel qui se joue actuellement en France.
Nos travaux nous ont tout d’abord conduits à constater un paradoxe : notre pays investit massivement en faveur de l’innovation pour des performances industrielles mitigées. Pourtant, il n’y a pas de fatalité : la France dispose des atouts nécessaires pour être une économie de rupture technologique, créatrice d’emplois dans les territoires.
Il s’agit donc de tenir compte des « erreurs françaises » qui ont jusqu’à présent empêché de transformer l’essai de l’innovation industrielle. Il s’agit de prendre les mesures nécessaires pour que la France redevienne une nation industrielle innovante et souveraine.
Deux principes ont guidé l’élaboration de nos recommandations : d’une part, l’efficacité de la dépense publique ; d’autre part, le caractère opérationnel des mesures proposées. Le soutien de la croissance et du développement des industries innovantes est l’affaire de tous, et seule une action coordonnée du Parlement, du Gouvernement et des acteurs privés permettra de relever les défis auxquels notre pays fait face.
Le parlement a un rôle essentiel à jouer. 2/3 des dépenses de soutien à l’innovation sont des incitations fiscales, notamment avec le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) qui représente une dépense annuelle de 6,6 milliards d’euros. Or son efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises : véritable incitation à l’innovation pour les PME, il est trop souvent, pour les grands groupes, une forme d’aubaine fiscale.
C’est ce que montre une étude de 2019 de la commission nationale d’évaluation des politiques publiques. En effet, 1 e de CIR versé aux PME entraîne 1,4 e de dépenses de R&D, alors que le même euro versé aux grandes entreprises ne provoque que 0,4 e de dépenses en R&D. Or le CIR est très majoritairement accaparé par les grandes entreprises : 10 % des bénéficiaires les plus importants en perçoivent 77 % du montant total ! Pire encore : les 100 plus gros bénéficiaires touchent 33 % de son volume !
Au moment de l’adoption du rapport, l’ensemble des membres de la mission d’information, et ce quel que soit leur bord politique, ont reconnu que cette situation de rente n’était plus tenable. Après le « quoiqu’il en coûte » et le « combien ça coûte », il est temps d’opter pour le « mieux qu’il en coûte ». C’est pourquoi nous proposons, sans remettre en cause la stabilité fiscale du dispositif, ni alourdir la dépense fiscale liée au CIR, de renforcer son efficacité par plusieurs modifications.
D’abord, nous souhaitons supprimer le CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond. D’après les calculs de l’économiste Xavier Jaravel entendu par la mission d’information, cette mesure entraînerait une économie de 750 millions d’euros, ce qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses de recherche des PME.
Ensuite, nous envisageons de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. Nombre d’entreprises consolident leurs résultats pour déterminer leur bénéfice global, en compensant les pertes de certaines filiales avec les résultats positifs des autres en vue de diminuer leur impôt sur les sociétés.
Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé au niveau de chaque filiale. L’équité fiscale exige qu’en cas d’intégration fiscale, le crédit d’impôt soit également calculé au niveau de la holding et non dans chaque filiale. Selon les calculs du comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de plus de 500 millions par an, qui pourrait profiter aux PME innovantes.
Nous proposons aussi de doubler le plafond du crédit impôt innovation pour le porter à 800 000 euros et d’instituer un « coupon recherche innovation » de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros. L’objectif est d’élargir le vivier des bénéficiaires d’aides à l’innovation : en effet, trop de PME sont, à raison, rebutées par le formalisme bureaucratique très chronophage de ces dispositifs. Elles préfèrent faire du chiffre d’affaires plutôt que des demandes de subventions.
Mais le Parlement ne peut pas tout, et certains leviers d’accélération sont à la main du gouvernement.
Un principe, d’abord : préférer le chiffre d’affaires aux subventions, en mobilisant la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Les dirigeants ont été unanimes sur ce sujet : ils attendent moins des subventions que des opportunités pour faire croître leur chiffre d’affaires. Or, la commande publique représente 111 milliards d’euros. C’est un levier majeur de soutien aux entreprises innovantes dans de nombreux pays, encore trop peu utilisé en France.
Nous avons fait plusieurs propositions concrètes pour en faire un véritable outil au service des entreprises innovantes. J’en profite pour attirer votre attention sur une idée fausse, malheureusement très répandue, selon laquelle les règles européennes nous empêchent d’utiliser la commande publique pour soutenir nos entreprises.
En réalité, nous nous mettons nous mêmes des bâtons dans les roues à travers une conception rigide et timorée des règles des marchés publics. D’autres pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, savent non seulement utiliser toutes les souplesses du code du marché public, mais également assortir ce même code d’objectifs de nature économique, écologique ou sociale pour favoriser leurs entreprises nationales ;
Ensuite, une règle d’or : faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais. Nous sommes capables d’être aussi performants que nos concurrents, il suffit d’y mettre toute notre volonté politique. L’exemple du terminal méthanier flottant au Havre, dont la construction devrait commencer six mois à peine après que ce projet a été envisagé, montre que nous pouvons le faire ! Nous devons aligner temps administratif et temps économique.
Enfin, les acteurs privés doivent s’impliquer pour soutenir le développement des entreprises industrielles innovantes. Si je ne devais retenir qu’une seule mesure, ce serait l’impérieuse nécessité, pour les grands groupes, de s’impliquer davantage dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes. Pour les y inciter, nous proposons d’intégrer, au sein des critères de RSE, la collaboration entre les grands groupes d’une part, et les start-up et PME innovantes d’autre part.
En conclusion, je veux partager avec vous un espoir : la crise actuelle constitue une opportunité pour réindustrialiser nos territoires et optimiser l’efficacité des dépenses publiques. Reconquérir notre souveraineté industrielle, c’est recréer des emplois dans nos territoires ; c’est limiter nos importations de carbone et accélérer la transition écologique ; c’est surtout reprendre le contrôle de notre destin national. ■