Chacun de nous a pu mesurer, dans la réalité du quotidien, la difficulté à trouver un médecin ou à obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Cette situation s’est installée progressivement comme une réalité tangible au sein de nos territoires ruraux, comme de nos villes. Aujourd’hui, 11 % de la population est sans médecin traitant, la fracture territoriale s’élargie et l’évolution démographique de nos professionnels de santé est loin d’être optimiste. Malgré la suppression du numérus clausus, on ne retrouvera pas le nombre de médecin en exercice en 2020 avant 2032.
La situation d’urgence à laquelle nous sommes confrontés, aggravée par la crise sanitaire, appelle à un sursaut général. C’est bien notre modèle de santé, tel que nous le connaissons, qui est menacé. L’heure n’est plus aux analyses et aux diagnostics mais aux mesures fortes, profondes et durables.
Agir vite et juste à travers un véritable plan d’action : Rééquilibrer l’offre et la demande de soins, améliorer l’attractivité des métiers et repenser le financement de notre système de santé sont les trois chantiers prioritaires à mener sans attendre.
Dès cet été, le Gouvernement a mis en place une série de mesures indispensables. Il nous faut aller vite et plus loin afin d’adapter ces dispositifs d’urgence et trouver des solutions pérennes.
Relever le défi des déserts médicaux par une meilleure coopération entre les acteurs.
L’enjeu de l’accès aux soins est un long chemin, l’horizon de plusieurs générations. Il faut néanmoins prendre les mesures qui s’imposent pour garantir dans tous les territoires la permanence et la continuité des soins. Cela passe notamment par une plus grande coopération entre l’ensemble des acteurs dans tous les territoires.
1. Depuis 2003, la permanence des soins ambulatoires (PDSA) des médecins libéraux est devenue facultative et connait de plus en plus de difficultés. La réinstauration d’une obligation de participation des médecins libéraux à la permanence des soins (PDS) semble quasi obligatoire pour répondre aux besoins de santé de la population et faire partager cette mission d’intérêt général.
2. La proposition de mettre fin à la possibilité, pour les médecins, de s’installer en « secteur 2 » dans les zones dites surdenses doit être aussi mise sur la table. Les inégalités de répartition de médecins spécialistes, variables selon les spécialités, sont parfois extrêmement importantes. Une mesure comme celle-ci ne pourrait évidemment être réalisée sans étude fine et concertation avec les professionnels au préalable.
3. Renforcer la coopération sur les territoires de l’ensemble des acteurs doit également passer par l’élaboration de projets territoriaux de santé (PTS). Ces outils permettent aux acteurs sanitaires, médico-sociaux, aux usagers et élus de bâtir ensemble des filières de soins, se connaître et dialoguer. La construction d’un maillage obligatoire en communautés professionnelles territoriales de Santé (CPTS) et l’implantation de maisons de santé pluridisciplinaires sont, en ce sens, des priorités. L’accélération des délégations de tâches aux personnels para-médicaux (aides-soignants, infirmiers, etc.) est également une voie à explorer.
4. La généralisation du service d’accès aux soins sur les territoires permettrait aussi une meilleure organisation et une plus grande coopération entre les acteurs. Ce dispositif garantit une orientation de la population en facilitant l’accès à distance à un professionnel de santé, par l’intermédiaire d’un numéro de téléphone dédié.
5. L’utilisation d’outils numériques est aussi l’une des solutions. Cela pourrait passer, par exemple, par la mise en place d’un quota d’heures de télémédecine réalisées par les professionnels des zones sur denses dédiées à la couverture des besoins de santé publique prioritaires. Néanmoins, le numérique est avant tout un outil et ne peut constituer en aucun cas une solution miracle. L’objectif partagé reste de remettre de l’humain au cœur de notre système de santé.
Renforcer le recrutement de nos personnels de santé et l’attractivité des métiers.
Renforcer l’accès aux soins ne pourra pas se faire sans améliorer les conditions de vie et de travail de nos soignants et sans repenser les politiques de recrutement de la santé. En plus des investissements massifs, il nous faut reconstituer des viviers stratégiques.
6. Améliorer les conditions de vie et de travail doit nous amener à repenser les rémunérations pour tenir compte de la technicité des métiers, du poids des responsabilités managériales et des contraintes qui pèsent sur les hospitaliers (gardes et astreintes, temps de travail additionnel, indemnités de nuit, week-end et jours fériés, alignement de la grille indiciaire pour tous les praticiens hospitaliers).
7. Repenser les rémunérations implique également plus d’équité et de transparence. Le rapport sur les écarts de rémunération entre les carrières médicales des secteurs public et privé lucratif au regard de leurs missions et conditions d’exercice, prévu à l’article 44 de la loi Rist du 26 avril 2021, est de ce fait très attendu. Il est indispensable de faire la lumière sur les écarts entre les différents secteurs.
8. Les tensions actuelles attestent également des difficultés de recrutement des établissements de Santé et cachent d’importantes disparités entre spécialités et entre territoires. Pour mettre un terme aux postes vacants, nous devons nous fixer plusieurs objectifs très concrets de formation afin d’augmenter considérablement le nombre de professionnels formés. Cela doit passer par la réévaluation régulière des quotas de formation et un véritable suivi de leur bon déploiement chaque année.
Un effort particulier doit être porté sur le secteur du grand âge. Le vieillissement de la population exige un redimensionnement de l’offre pour augmenter la présence des professionnels auprès des personnes âgées.
9. Pour se préparer aux prochaines crises, enfin, un objectif qualitatif (spécialités, métiers, compétences) et quantitatif de professionnels de santé « mobilisables » doit être établi sous l’égide de la Direction générale de la santé en concertation avec les fédérations hospitalières, les ordres professionnels et les conseils nationaux des spécialités médicales.
Repenser les discussions autour du financement de notre système de santé.
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale doit être l’occasion d’un débat renouvelé sur la manière de financer notre système de santé. Des changements d’ampleurs ne pourront être réalisés qu’à travers un cadre pluriannuel pour la santé, qui déploie les chantiers urgents et sécurise les financements.
10. Une loi de programmation permettrait de répondre à cet enjeu et de rénover le cadre du débat annuel sur l’Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM). Ce cadre pluriannuel existe déjà en partie, pour ce qui concerne les ressources des établissements de santé. Comme l’indiquait les conclusions du Ségur de la santé, il doit être généralisé pour l’ensemble de l’ONDAM. Consacrer la pluriannualité permettrait, en outre, de procéder à une meilleure évaluation de nos politiques de santé.
Tous ces chantiers doivent s’inscrire au sein d’une large concertation rassemblant les représentants des patients, des professionnels et des établissements afin de co-construire les solutions, à l’écoute de tous les acteurs.
Coordonner tous les acteurs afin qu’ils puissent répondre aux besoins d’accès aux soins de façon très pragmatique nécessite de se doter d’outils suffisamment performants pour penser l’avenir de notre modèle et d’en relever les nombreux défis. C’est précisément l’objectif que nous devons nous fixer dans le cadre de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. ■