Ce rapport s’articule autour de trois axes : redonner du souffle à l’hôpital en lui laissant davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, lui attribuer des moyens proportionnés aux défis de santé actuels et redessiner sa place au sein du système de soins, mais aussi peut-être, au sein de la société tout entière, car on ne peut penser l’hôpital comme un isolat.
Nous avons été très critiques à l’égard du « Ségur », dont l’ampleur, considérable, n’a d’égal que les déceptions et frustrations qu’il a engendrées. Trop tardives au regard de l’ancienneté de la crise de l’hôpital, les mesures ont été perçues comme un rattrapage. Saupoudrées au fil des années 2020 à 2022, elles ont été étendues sans réflexion d’ensemble et par à-coups aux « oubliés du Ségur » générant une amertume qui ne tarit pas. Surtout, le Ségur a laissé de côté la compensation financière des sujétions inhérentes aux métiers hospitaliers : les heures supplémentaires et le temps de travail additionnel, la permanence des soins hospitaliers, le travail de nuit et le week-end…
Plus encore que les rémunérations, ce sont les conditions de travail dégradées qui génèrent une désaffection préoccupante à l’égard de l’hôpital et risquent de l’entraîner dans une spirale négative.
Vétusté des équipements, charge de travail excessive, mais surtout manque de temps médical et soignant auprès des patients sont autant de facteurs à l’origine d’un profond sentiment de perte de sens qui provoque des départs de personnels en cours de carrière.
Cette situation doit être inversée, dans l’immédiat, par une redynamisation de la politique de qualité de vie au travail, le développement d’outils numériques plus performants, le recours à des applications intelligentes et la délégation de tâches (prise de comptes rendus, codage des actes médicaux…) pour libérer médecins et soignants de tâches chronophages et leur permettre de se concentrer sur le soin.
Les effectifs d’infirmiers et d’aides-soignants doivent être significativement renforcés afin d’améliorer les ratios « patients par soignant ». Des seuils critiques ajustés sur les activités des établissements devraient être définis et un mécanisme d’alerte mis en place lorsqu’ils sont atteints.
Si le nombre de postes vacants et le taux de rotation des personnels augmentent, c’est aussi en raison du manque de perspectives de carrière dans les hôpitaux, auquel il faut remédier, notamment grâce à la formation.
En termes d’organisation, la bonne marche de l’hôpital repose sur un pilotage « médico-administratif » équilibré.
Il est indispensable de renforcer l’interaction entre les instances décisionnelles dans lesquelles siègent des acteurs médicaux – directoire et CME – et les services de soins et de donner un rôle accru à la commission des soins infirmiers.
Les hôpitaux publics doivent pleinement tirer parti de la liberté d’organisation ouverte par la loi d’avril 2021. La constitution des pôles n’étant plus systématique, elle doit répondre à une réelle pertinence et ne pas faire écran aux relations entre services et instances dirigeantes. La réhabilitation du rôle du service est un facteur déterminant de mobilisation collective. Elle doit surtout s’accompagner d’un pouvoir renforcé des équipes de soins sur les choix qui les concernent, en assurant une meilleure prise en compte de leurs projets et en accordant à celles qui le souhaitent une réelle marge d’autonomie. Le rôle du cadre de santé doit être renforcé ainsi que le binôme qu’il forme avec le chef de service.
Il est également nécessaire de débureaucratiser les relations entre les établissements et leurs tutelles, en allégeant et automatisant les processus de remontée d’information et en repositionnant les ARS sur un rôle d’accompagnement, et de simplifier les procédures de certification et d’accréditation.
Sur le financement, la bascule vers la tarification à l’activité (T2A), nécessaire au début des années 2000, n’est plus adaptée à la situation de l’hôpital ou aux défis de prises en charge plus complexes.
Les tarifs n’ont pas suivi l’évolution réelle des coûts pour les établissements et se sont réduits à un mécanisme de « point flottant » destiné à une régulation prix-volume. Si un lien entre financement et activité réelle de l’établissement doit demeurer, il faut assortir cet étage de financement de deux autres : l’un, prenant la forme d’une « dotation populationnelle » liée aux besoins de santé identifiés pour le territoire et sa population ; l’autre, renforçant le financement à la qualité encore marginal.
La commission d’enquête souligne que c’est bien la construction de l’Ondam comme son découpage qui sont dysfonctionnels. En particulier, l’Ondam hospitalier doit pouvoir être arbitré, notamment sur les volets de dotations, et les mesures de régulation attendues mieux éclairées.
Sortir l’hôpital des tensions continues, c’est aussi lui donner un outil pérenne de financement de ses investissements structurants, par une ressource budgétaire dédiée.
Sur la structuration du système de soins, la saturation des services des urgences tient en partie aux difficultés de la médecine de ville à faire face à l’augmentation des besoins de santé de la population. De 2015 à 2018, la part de la population vivant dans des zones sous-dotées en médecins généralistes est passée de 3,8 à 5,7 %. Les effets de la suppression du numerus clausus, ne se feront sentir au mieux qu’à partir du début de la décennie 2030, sans garantie de répartition équitable sur le territoire.
Dans ce contexte, il est nécessaire de diversifier les efforts pour renforcer l’offre de soins primaires dans les zones sous-dotées, notamment par la mise en place d’une quatrième année d’internat qui s’y déroulerait en priorité, et de libérer du temps médical en ville. À cette fin, les modalités d’exercice infirmier en pratique avancée doivent être repensées et le recours aux assistants médicaux facilité, notamment par l’allègement des exigences de formation.
La prise en charge des soins non programmés par la médecine de ville doit être renforcée. Le service d’accès aux soins ne saurait constituer une réponse unique aux difficultés des soins non programmés. Il est ainsi prioritaire de revaloriser les tarifs de la permanence des soins ambulatoires de manière ciblée, ainsi que les tarifs de la visite à domicile.
Tout indique que la pression sur l’hôpital va demeurer forte : le nombre de passages aux urgences est passé de 10,1 millions en 1992 à 21,2 millions en 2019.
Le développement des maisons médicales de garde à proximité des services d’urgence et l’expérimentation de consultations par un cabinet médical au sein même de ces services, en lien avec les CPTS, sont à conforter. L’aval des urgences doit également être pris en compte : les cellules de gestion des lits apparaissent une solution efficace. Les cellules de coordination ville-hôpital ont aussi un rôle important à jouer, en organisant des filières d’admission directe des patients sans passage par les urgences et en préparant leur sortie d’hospitalisation en lien avec le médecin traitant : la commission d’enquête recommande ainsi leur systématisation. Enfin, les alternatives à l’hospitalisation doivent encore être développées : le recours à l’hospitalisation à domicile doit être amplifié.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) n’ont pas encore produit de résultats probants en termes d’amélioration de l’organisation territoriale des soins hospitaliers. Leur bilan est contrasté : ceux qui sont parvenus à une vraie cohérence sont souvent ceux qui ont été le plus loin dans leur rapprochement. Alors que le GHT a permis de structurer l’offre publique, il peine encore à pleinement associer les établissements privés.Enfin, véritable opportunité de lien entre la ville et l’hôpital et de structuration du maillage local de l’offre hospitalière, les hôpitaux de proximité et leurs plateaux techniques doivent être confortés comme structures hospitalières de premier recours. ■