A cette insuffisance s’ajoute un prix décuplé de l’électricité en raison du mécanisme du marché européen liant son prix à celui du gaz, dont le prix avait déjà explosé avant la guerre en Ukraine, qui a bien sûr aggravé la situation.
La France disposait au début du siècle d’une électricité fiable et bon marché qu’elle pouvait exporter. Aujourd’hui l’électricité manque, son prix est ravageur pour l’économie et les ménages, nous sommes devenus importateurs. C’est la conséquence d’un changement de politique énergétique avec un arrêt des investissements dans le parc nucléaire depuis 20 ans et la programmation de fermetures anticipées de 14 réacteurs d’abord à l’échéance 2025 puis 2035, objectif qui figure encore aujourd’hui dans la loi. Seuls deux réacteurs ont été fermés à Fessenheim en 2020, leur disponibilité fait cruellement défaut pour notre approvisionnement et notre politique climatique.
Cette crise était prévisible. La France a en effet fermé en 10 ans 12 GWe de capacité de production pilotable, fossiles et nucléaire, environ 12 % de nos capacités pilotables, c’est-à-dire mobilisables à tout moment pour assurer l’indispensable équilibre du réseau. L’installation de 27 GWe d’énergie renouvelables (ENR) ne peut les remplacer en raison de leur intermittence et de l’impossibilité de stocker massivement l’électricité. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) avait mis en garde, depuis 2008, en recommandant de disposer de réserves de capacités de production pilotable ; mais RTE, responsable de l’équilibre du réseau, et le ministère en charge de l’énergie sont restés sourds à ces alertes.
C’est dans un discours à Belfort, le 10 février 2022, que le Président de la République a annoncé que la France devait construire de nouveaux réacteurs : 3 paires d’EPR2 d’abord, puis 4 autres paires ensuite. Un retour au réalisme bienvenu puisque le nucléaire est, quoi qu’en disent ses puissants détracteurs, l’énergie la plus décarbonée, sûre et compétitive.
Face à cette situation et devant la gravité de la crise, il eut été logique de procéder en identifiant d’abord les causes de la crise, en révisant la Loi de Transition Ecologique pour une Croissance Verte (LTECV) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), totalement utopiques, élaborées selon une idéologie antinucléaire, sans étude d’impact sérieuse, c’est-à-dire sur des opinions et non sur des faits et des données scientifiquement établies.
Après ce préalable, les besoins étant connus et le mix sérieusement choisi, il aurait été plus logique de modifier les textes pour accélérer la mise en œuvre du programme élaboré sur ces bases solides et des perspectives rationnelles.
Tel n’a pas été le choix du gouvernement qui a d’abord présenté un texte d’accélération des ENR dont on sait, avec l’exemple allemand, qu’elles ne peuvent résoudre la crise ni décarboner notre électricité qui l’est déjà à plus de 90 % grâce au nucléaire et à l’hydraulique. Tout au plus, en attendant l’arrivée du nouveau nucléaire, les ENR permettront-elles de réduire nos importations, ce que ne disent ni le gouvernement ni l’exposé des motifs du projet de loi.
A l’heure où nous écrivons ces lignes le texte issu du Sénat n’a pas encore été examiné par l’Assemblée nationale. Tel qu’il est, le risque d’une inflation d’installation d’ENR est réel et le mécanisme de partage de la valeur des ENR qu’il contient apparait porteur de potentiels conflits d’intérêts.
C’est donc dans cette séquence que le Parlement va être prochainement appelé à débattre d’un projet de loi visant à accélérer le développement de l’énergie nucléaire.
Ce texte est d’une nécessité urgente puisque la France a besoin de centrales pilotables décarbonées, c’est-à-dire nucléaires, pour espérer retrouver une électricité fiable et bon marché, ce qui constituait notre plus gros atout de compétitivité, un précieux avantage aujourd’hui hélas perdu. C’est dire s’il est important.
De l’avis des ingénieurs et des techniciens le projet devra être amendé pour répondre à la situation de la filière nucléaire pour plusieurs raisons.
Globalement le projet sous-estime les besoins et l’urgence de la relance, quant aux espaces nécessaires pour l’ensemble de la filière qui ne se limitent pas aux réacteurs mais concernent aussi le cycle du combustible. Les exigences climatiques et les effets dévastateurs du manque et du prix de l’électricité ne permettent plus de tergiverser. Ainsi le projet de loi sous-estime globalement les besoins en espaces et limite ses effets à 15 ans, il se cantonne aux seules centrales et aux seuls EPR2, tel quel il ne répond pas aux besoins de l’ensemble de la filière qui ne sont pas dissociables. Seuls les espaces contigus aux centrales existantes sont concernés, les surfaces sont limitées à 100 ou 200 hectares ne prenant pas en compte les besoins de rénovation ou d’extension ni les installations liées au cycle du combustible. Le développement possible de petits réacteurs (SMR) est ignoré.
La loi doit également revenir sur un décret de 2016 qui a allongé de deux ans le temps nécessaire entre la décision de construire de nouveaux réacteurs et leur couplage au réseau, afin de pouvoir réaliser les travaux préparatoires de la totalité du chantier, y compris l’îlot nucléaire après autorisation environnementale mais, sans attendre l’aboutissement de très lourdes et très longues données d’autorisation de construire (DAC).
Les délais de validité prévus pour ces aménagements législatifs sont limités à 15 ans. C’est trop court compte tenu de la lourdeur des données et procédures administratives comme de la durée des chantiers. C’est également trop court au regard du couperet incompréhensible de 2045 imposé par la taxonomie européenne.
La loi doit également prévoir des aménagements pour apporter une visibilité à au moins 20 ans aux conditions d’exploitation des réacteurs, agréées par EdF et l’ASN.
Le texte va dans la bonne direction mais il est notoirement insuffisant pour la relance indispensable de l’ensemble de la filière nucléaire française.
Enfin s’il prétend rendre à la France ses chances de recoller au peloton des grands pays nucléaire, ce texte doit aussi prévoir la relance de la R&D sur la fermeture du cycle de l’uranium et les réacteurs surgénérateurs de génération 4, qui utilisent comme combustible les déchets des réacteurs des générations précédentes résolvant ainsi, de façon circulaire, la question des déchets et réalisant un nucléaire durable, au sens onusien du terme, un nucléaire pour lequel la France détient un stock stratégique de combustibles qui pourrait permettre de fournir de l’électricité durant plusieurs millénaires.
Faut-il rappeler qu’avec le surgénérateur Super Phénix la France disposait de 20 ans d’avance, mais qu’il a été sacrifié pour des raisons politiques et que le réacteur expérimental Astrid, qui maintenait la France dans cette perspective de 4 ème génération et de fermeture du cycle de l’uranium, a été arrêté sans aucun débat en 2019.
En matière d’énergie et de technique on ne peut tricher longtemps avec les réalités, la physique et les chiffres. C’est une leçon à retenir. La France sur le plan énergétique est à la croisée des chemins. Soit elle reprend la voie d’un système électrique fondé sur un socle nucléaire robuste tel qu’il lui a tant apporté, soit elle reste sous la dépendance des illusions idéologiques. Dans le premier cas elle a une dernière chance d’arrêter sa désindustrialisation et son appauvrissement, tout en restant exemplaire quant à son bilan carbone, dans le second cas elle sera durablement condamnée à une électricité chère et insuffisante pour couvrir à chaque instants ses besoins. Ce choix serait un terrible échec pour notre avenir industriel, économique et social, et un échec pour le climat. ■