Cette situation ne doit pourtant rien à la fatalité. La France étant un pays pauvre en ressources naturelles – nous n’avons pas de pétrole, peu de charbon et pas assez de gaz – toute la politique du Général de Gaulle a consisté à développer, au sortir de la guerre, l’énergie nucléaire et l’hydraulique. Notre parc nucléaire nous assurait ainsi une électricité décarbonée, fiable, abondante, bon marché et pilotable. Cette énergie garantissait notre souveraineté, nous protégeant ainsi des aléas géopolitiques.
La guerre en Ukraine nous rappelle brutalement ce que l’indépendance énergétique d’un pays signifie : la préservation de la croissance, la prospérité et la paix sociale. C’est l’assurance que l’économie et nos industries ne soient pas à l’arrêt, que chaque Français puisse se chauffer et se déplacer librement. En d’autres termes, c’est assurer nos besoins les plus élémentaires.
L’arrêt des importations en Europe du gaz russe – conséquence de la guerre en Ukraine – a permis de mettre en lumière les faiblesses des mix énergétiques des pays de la zone euro, ainsi que leurs dépendances aux importations, créant une flambée des prix qu’une majorité de la population ne peut désormais plus assumer. Néanmoins, sans en minimiser les impacts, je me garderais bien d’attribuer au conflit de l’Est de l’Europe la responsabilité de la crise énergétique française dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et qui va malheureusement perdurer dans les années à venir. Cela serait faux en plus d’être hypocrite.
En 2012 déjà, dans ses « 60 engagements pour la France », François Hollande promettait la réduction de la part du nucléaire de 75 % à 50 % à l’horizon 2025. Cet objectif avait d’ailleurs été inscrit dans la Loi de Transition énergétique. Pour mettre à exécution cette trajectoire purement idéologique – et dont l’absence de pragmatisme est à souligner –, François Hollande avait alors promis la fermeture du CNPE de Fessenheim et l’arrêt de ses deux réacteurs nucléaires, dans le cadre du sinistre accord politicien avec Europe Ecologie Les Verts. Toutefois et comme je l’ai rappelé dans ma Proposition de Loi visant à rendre à la France sa capacité à développer la filière nucléaire que j’ai déposée il y a quelques semaines : c’est l’actuel locataire de l’Elysée, Monsieur Emmanuel Macron, qui a définitivement acté l’arrêt de ces deux réacteurs. Le Décret de fermeture de centrale de Fessenheim a en effet été signé le 18 février 2020 par le Premier Ministre d’alors, Monsieur Edouard Philippe et la Ministre de la Transition Ecologique et solidaire, Madame Elisabeth Borne. Jusqu’à cette date, il était encore possible de faire marche arrière sur cette fermeture.
Si nous pouvons nous féliciter qu’en 2021, largement encouragé par l’opinion publique, le Président Macron a décidé de parier à nouveau sur le nucléaire pour garantir une meilleure indépendance énergétique à notre pays, les textes en vigueur (je pense ici la loi de Programmation Pluriannuelle de l’Energie de 2019) comportent toujours la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035. Le discours de Belfort promettant la construction de plusieurs nouveaux EPR n’a pour l’heure conduit à aucun texte législatif et donc, aucune obligation.
Cet hiver et pour la première fois depuis les années 1970, nous sommes vulnérables et dépendants d’autres pays. Le Gouvernement est en effet désormais contraint d’acheter l’électricité allemande (majoritairement produite par le charbon) et de rouvrir les centrales à charbon présentes sur le sol français. Cette politique de la rustine est économiquement absurde et écologiquement scandaleuse : 1 KWh produit par du charbon est 70 fois plus polluant que ce même KWh produit par l’énergie nucléaire. Mais nous n’avons pas le choix.
Pour éviter les black-out et donc une nouvelle phase de désindustrialisation – qui serait catastrophique pour le pays –, nous devons produire le plus d’énergie possible pour assurer nos besoins et ce, qu’importe la nature de production. Les gouvernements successifs, en sacrifiant le parc nucléaire français sur l’autel de la démagogie et autres accords politiciens, ont rogné sur nos marges de manœuvre sans n’avoir jamais anticipé la hausse de nos besoins en électricité. La doctrine énergétique a elle aussi changé : nous ne produisons plus en fonction de nos besoins réels mais selon le calendrier idéologique des anti-nucléaires.
En dépit de toutes les injonctions gouvernementales (chauffage à 19 degrés, recours au télétravail, création d’ambassadeurs de la sobriété…) RTE vient de tirer la sonnette d’alarme pour le mois de janvier où les tensions en approvisionnement seront grandes. Les cols roulés ne suffiront pas. Les risques de coupures sont réels et toucheraient en premier lieu les particuliers. Dans tous les cas, et même si nous vivons un hiver clément, les restrictions seront la règle et il faut bien dire que pour l’instant, l’exécutif ne sait pas comment réagir et est même étonné des prévisions établies par RTE.
Par faiblesse et irresponsabilité, les dirigeants ont eux-mêmes engendrer la fin de l’abondance, n’en déplaise à Emmanuel Macron.
La Commission d’enquête parlementaire dont je suis le Président vise à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Cette commission a pour objectif de mettre en lumière le long processus décisionnel ayant conduit la France à réduire son indépendance et sa souveraineté énergétique, ainsi que la déstabilisation de notre fleuron national qu’est l’industrie nucléaire.
De l’abandon des projets ambitieux à la fermeture de 13GW de capacité de production d’électricité depuis dix ans, en passant par l’influence grandissante des lobbys anti-nucléaires à l’intérieur même des cabinets ministériels depuis la fin des années 1990, cette commission aura pour but d’étudier toutes les pistes nous ayant amené à cette situation. Je n’occulterai donc pas la question des pertes de compétences ni celle des abandons comme le projet Superphénix (prototype de réacteur à neutrons rapides) ou encore du programme Astrid (prototype de réacteur de quatrième génération, plus sûr, plus économique et plus performant). Je demanderai également à auditionner les responsables du démantèlement d’EDF, fleuron français de production et de fourniture d’électricité que le monde entier nous enviait. Je n’oublierai pas non plus d’auditionner longuement les ONG et autres associations anti-nucléaires qui ont fait pénétrer leur idéologie dogmatique au sein de la population.
Les premières auditions ayant eu lieu à l’Assemblée nationale ont permis de poser les jalons du sujet : nous avons auditionné des experts en Histoire de l’énergie, en statistiques, en Défense… Toutes ces données brutes permettent d’avoir une vue d’ensemble du sujet et de comprendre la nécessité de le traiter.
En tant qu’initiateur et Président de cette Commission d’enquête, la question des responsables – au sens de décideurs politiques – est centrale. Les anciens ministres en charge des questions énergétiques, les membres de leur cabinet, doivent répondre des prises de décisions passées devant la représentation nationale. Je souhaite que la Commission d’enquête rende un rapport le plus complet possible afin de disposer de l’intégralité des faits ayant conduit à la crise énergétique que la France n’avait initialement pas à subir. En tant que Député de l’Opposition, je n’oublierai aucune question, aucune période, aucun responsable. Nous devons aux Français un travail sérieux, fiable et transparent.
Toutefois et comme je l’ai précisé à diverses reprises, établir les responsables et les responsabilités n’aidera aucun Français à mieux passer l’hiver. L’objectif final de cette Commission d’enquête parlementaire est de tracer une feuille de route solide pour bâtir la politique énergétique française du XXIème siècle.
La France a besoin de retrouver une industrie nucléaire performante. La France a besoin d’une production énergétique à la hauteur de ses besoins. Sans un engagement fort et urgent au regard de l’évolution des besoins en électricité et de l’ambition de la décarbonation de notre économie, la France succombera dans la décroissance forcée et socialement inacceptable. ■