“Un texte court, équilibré et ambitieux”. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, les deux ministres en charge du dossier ont défendu en Conseil des ministres le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » dont on connaissait déjà les grands principes dévoilés en fin d’année. Lorsqu’elle avait évoqué une première fois ce projet de loi devant les députés, la Première ministre avait alors parlé d’un projet de loi « équilibré » alliant « humanité et fermeté ». Sur ce texte majeur du quinquennat, l’exécutif joue gros tant il traite d’un sujet sensible, avec des oppositions bien décidées à en découdre.
Plusieurs mesures promettent des débats animés, et les discussions préalables entre l’exécutif, la droite et la gauche n’ont pas vraiment réussi à apaiser les esprits. Le doute quant à l’issue de ce texte domine. Certains vont même jusqu’à prédire l’utilisation par le gouvernement du 49-3, avec pourquoi pas comme riposte le dépôt par les LR d’une motion de censure qui serait votée par l’ensemble des oppositions. Eric Ciotti a toutefois déjà laissé entendre que les LR n’iraient pas jusqu’à faire tomber le gouvernement. D’autres vont jusqu’à évoquer une dissolution même si aucun député n’y est prêt. « Si vous me demandez qui votera ce texte, ça se passera au mois de juin, donc on va faire texte après texte » a botté en touche la Première ministre lors de ses vœux à la presse le 23 janvier dernier.
Au nombre des mesures en débat, la proposition du gouvernement de créer un titre de séjour pour « les métiers en tension ». Une mesure qui a immédiatement suscité une levée de boucliers à droite. Visant à « favoriser le travail comme facteur d’intégration », d’une durée d’un an, ce titre de séjour permettrait à un étranger en situation irrégulière mais exerçant « depuis au moins huit mois sur les vingt-quatre derniers mois » une activité professionnelle reconnue comme en tension, et dument listée (en cours d’actualisation) d’en bénéficier à condition également qu’il vive en France depuis au moins trois ans. Pour la droite cet article 3 est perçu comme « un appel d’air » inacceptable en l’état, les LR reprochant ici au gouvernement une forme de résignation face à une immigration plus subie que choisie. Le gouvernement qui a besoin des voix des Républicains sur ce texte comme sur d’autres pourrait alors accepter d’en durcir les critères d’obtention, voire même instaurer des quotas. « On va créer une nouvelle filière de régularisation massive » a rapidement réagi le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. « Ce texte est une escroquerie a pourtant jugé l’ex-député et vice-président de LR, Julien Aubert. On peut faire semblant d’être ferme d’un côté, mais si on envoie le message au monde qu’on a besoin de travailleurs, ça ne sert strictement à rien. On a des besoins dans la restauration, mais on a aussi des millions de chômeurs alors il vaut mieux se concentrer sur la formation ou l’orientation ». « La logique de ce qui est porté par ce texte, ce n’est pas d’augmenter le nombre d’immigrés qui participent à la vie économique » a insisté Elisabeth Borne. La mesure « expérimentale » s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2026.
Dans la même veine d’une immigration choisie, le projet de loi propose aussi une carte de séjour « talent » d’une durée maximale de quatre ans. La mesure vise à « répondre au besoin de recrutement de personnels qualifiés de santé ». « Quelle que soit leur spécialité », médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens étrangers pourraient en bénéficier et concernerait les familles aussi « dès lors qu’ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif. Le titre serait lié à un système d’évaluation des connaissances » précisait en décembre Olivier Dussopt interrogé par Le Figaro. Invitée par l’Association des Journalistes Parlementaires le 11 janvier dernier, Marine Le Pen voit dans cette immigration choisie « un marché de dupes ». « Il n’y a rien de moins humaniste que d’aller empêcher les Africains de pouvoir être soignés par des médecins africains. C’est cela qui va se passer. En allant attirer des médecins africains pour travailler dans des hôpitaux français, si possible dans des zones désertifiées et si possible payés moins chers, on empêche les Africains de la capacité d’avoir des soins de bonne qualité. On crée la désertification chez les autres » a-t-elle vivement dénoncé. « Je crois que c’est vraiment une vision de l’Homme qui est contraire à celle que nous défendons ».
Pour pouvoir bénéficier d’une carte de séjour pluriannuelle, le demandeur devra maîtriser un niveau minimal de français (à déterminer par décret). Aujourd’hui il suffit de suivre des cours de français sans obligation de résultat. L’objectif affiché est d’« inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français », afin de « favoriser leur intégration en France ».
La « fermeté » du gouvernement évoquée par Elisabeth Borne se décline à travers plusieurs mesures notamment celle concernant l’expulsion des étrangers « ne respectant pas les valeurs de la République et commettant des infractions sur le territoire national ». Pour répondre aux polémiques concernant les obligations de quitter le territoire (OQTF) rarement appliquées (actuellement moins de 10 %), l’exécutif a intégré à son texte une mesure visant « à réduire le champ des protections contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français lorsque l’étranger a commis des faits constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sureté de l’Etat ». Pour le ministre de l’Intérieur, il s’agit tout simplement là du retour « de la double-peine », à condition toutefois que son pays d’origine accepte son retour et sous réserve de l’appréciation des circonstances relatives à la vie privée et familiale des intéressés. Fermeté affichée encore avec l’obligation faite à l’étranger demandeur d’une carte de séjour de « s’engager à respecter les principes de la République ». La loi telle que présentée permettrait à l’autorité compétente « de rendre possible le refus, le retrait, où le non-renouvellement de certains titres de séjour pour de nouveaux motifs liés à son comportement » (respect de l’égalité hommes/femmes, de la liberté d’orientation sexuelle, des symboles républicains).
La lutte contre les passeurs est un autre objectif affiché dans le projet de loi. L’article 14 prévoit de « criminaliser la facilitation en bande organisée, de l’entrée et du séjour d’étrangers en situation irrégulière ». Les sanctions pourront aller jusqu’à 20 ans de prison et 1,5 million d’euros. Autre mesure : autoriser le « recours à la coercition pour le relevé d’empreintes digitales et la prise de photographie des étrangers en séjour irrégulier » interpellés à la frontière. Les gardes-frontières pourront également « inspecter visuellement des véhicules particuliers en « zone frontière » », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Un visa pourra être refusé à un étranger ayant fait l’objet d’une OQTF au cours des cinq années précédant la demande (article 18). Le gouvernement entend aussi faciliter le traitement de dossiers notamment après la polémique de l’accueil des migrants de l’Ocean Viking qui se sont volatilisés peu de temps après leur arrivée, en portant « à 48 heures [contre 24 heures aujourd’hui] le délai de jugement du juge des libertés et de la détention en zone d’attente, en cas de placement simultané d’un nombre important d’étrangers ».
En vue de réformer structurellement le système de l’asile, l’article 19 du projet de loi prévoit la création de pôles territoriaux « France asile » sur l’ensemble du territoire pour des questions de proximité. Ils auront pour mission d’accueillir les demandeurs d’asile (130 000 en 2022), d’enregistrer leur démarche et de les transmettre à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sera amélioré avec la création de « chambres territoriales » et en instaurant des audiences « à juge unique », les formations collégiales étant réservées à des cas plus complexes. Ces modifications des procédures doivent permettre de réduire à six mois l’examen des demandes (contre un an) et d’assurer qu’une OQTF soit immédiatement notifiée à un individu qui a vu celle-ci être rejetée.
Au l’issue du Conseil des ministres, Gérald Darmanin s’est dit « certain » que son texte serait adopté, « en écoutant évidemment les oppositions, et singulièrement les oppositions de droite ». Il y aura un « compromis sans dénaturer le texte ». ■