La production agricole dépend très fortement de l’eau, et l’agriculture se trouve de plus en plus souvent exposée à des risques liés à l’eau.
Ces risques s’amplifient d’année en année. Les situations extrêmes d’étiages et d’inondations se multiplient. Les probabilités de chaleurs précoces et de canicules augmentent, avec des durées de retour qui pourraient être de 2 à 3 ans en 2040 ce qui n’en feraient plus des phénomènes exceptionnels. La couverture neigeuse et les glaciers diminuent, avec de fortes incidences sur l’alimentation de nos cours d’eau, des nappes, des barrages. L’année 2022 se pose en exemple marquant : c’est une année hors norme avec de nombreux « records » dépassés [températures, déficits hydriques, épisodes caniculaires, sécheresses, etc].
En plus de ces changements, les agriculteurs auront à faire face à une concurrence accrue du fait d’une augmentation de la population et de la demande d’eau des secteurs de l’énergie et de l’industrie, mais aussi, et c’est un point très important, des besoins plus importants de nos milieux, base de la vie et de notre équilibre écosystémique, qui seront eux-aussi de plus en plus en déficit hydrique et en sécheresse.
Bien qu’elle pâtisse de ces changements, l’agriculture [et les activités associées par ailleurs, dont l’industrie agro-alimentaire] y contribue elle-même puisque qu’elle constitue l’activité la plus consommatrice d’eau en France, et que par ailleurs l’activité est en interaction très forte avec l’eau sous toutes ses formes, avec des conséquences qui peuvent être positives (aménagement de l’espace) mais aussi malheureusement négatives (pollution de l’eau de par le ruissellement des engrais, l’utilisation de pesticides, les effluents d’élevage, etc).
C’est pourquoi elle a un rôle central à jouer face à ces enjeux.
La tension monte : l’heure n’est pas aux dogmes mais à une prise de décisions responsable, éclairée et partagée sur les territoires
Les problèmes, et les tensions liées grandissantes comme nous l’ont montré les derniers évènements autour de la création de « bassines », sont à la fois extrêmement complexes et différents selon les territoires.
Il est de manière générale essentiel de privilégier les efforts qui visent à améliorer globalement l’utilisation de l’eau dans l’agriculture, à réduire l’impact du secteur sur les ressources en eau douce et à améliorer sa résilience face aux risques hydrologiques (renforcer et faire appliquer la réglementation, inciter à une meilleure utilisation de l’eau et à mieux gérer les intrants, supprimer les mesures qui encouragent l’utilisation excessive d’eau et les activités polluantes).
Mais ces mesures ne sont qu’une partie de la solution, et elles doivent s’inscrire dans une planification territoriale « en commun », associant tous les acteurs, et qui permet d’appréhender de manière globale les questions liées à l’eau d’une part, et de prendre en compte les spécificités locales tant en termes de caractéristiques hydrogéomorphologiques que d’enjeux environnementaux, sociaux et économiques d’autre part.
La « réussite » repose avant tout sur la compréhension des objectifs et le consentement à faire, tant en termes d’évolution des usages (évolution des types, des lieux et des modes de productions) que de développement d’un aménagement qui favorise une eau plus « efficace » (favoriser l’infiltration, les zones d’expansion de crue et de bon fonctionnement des cours d’eau, etc).
La question de l’eau doit aussi être au cœur des politiques d’aménagement du territoire et de développement économique. L’eau n’est pas qu’une ressource : c’est avant tout un élément indispensable à la vie ! Elle doit donc être une clé d’entrée dans les planifications sectorielles en termes d’urbanisme, d’énergie, de biodiversité, …, et bien entendu d’agriculture qui est une activités majeure tant les interactions sont fortes.
Les outils d’accompagnement des évolutions décidées « en commun », y compris financiers, doivent être améliorés et déployés (paiements pour services environnementaux, financements fléchés et conditionnalités/bonifications pour les Projet de territoire de gestion de l’eau (PTGE) et pour les Projets d’aménagement d’intérêt communs (PAIC), etc).
Une réelle décentralisation, via une organisation par bassin renforcée et déployée sur tout le territoire national, est LA solution
Pour déployer cette planification territoriale, il est important de revenir aux fondamentaux de notre politique de l’eau, et notamment à l’obligation d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau : au-delà des exigences prioritaires de santé, de salubrité publique, de sécurité civile et de l’alimentation en eau potable, les activités et usages doivent satisfaire ou concilier les exigences respectives de la vie biologique du récepteur (donc les milieux), de la conservation et du libre écoulement des eau, la protection des inondations et de l’agriculture et pêches. Cette gestion équilibrée et durable ne peut se concevoir que sur la base d’une connaissance fine des territoires, à l’échelle adaptée qu’est le bassin versant. Elle ne peut s’envisager que dans le consensus tant les évolutions qu’elle impose impactent chaque acteur du territoire, acteurs socio-économiques, Etat et collectivités, associations, citoyens, etc.
La France a été l’un des précurseurs en terme de gestion intégrée par bassin versant [lois sur l’eau de 1964 avec la création des Agences de l’eau, de 1992 avec les SDAGE et les SAGE, de 2003 avec les EPTB], dont les principes répondent à ceux de la gestion en bien commun. Cette organisation est fragilisée par des décisions de plus en plus sectorielles et bilatérales, et de court terme. Nous devons agir dès aujourd’hui et concrètement en faveur de cette planification opérationnelle par bassin, renforcée et déployée sur tout le territoire national, pour limiter les conflits sur nos territoires et les conséquences environnementales, sociales et économiques dramatiques.
La gestion intégrée, équilibrée et durable de l’eau demande du courage, car elle impose de travailler ensemble : avec tous les acteurs, Etat et collectivités, tous les niveaux de collectivités, de manière intersectorielle. L’ANEB fait des propositions concrètes pour que cette organisation en Commissions locales de l’eau (CLE) et en Etablissements Publics de Bassin se renforce et se déploie, par une décision collégiale de l’ensemble des élus et validée par les Comités de Bassin. Elles sont consignées dans « Le Livre BLEU L’eau en COMMUN » publié en octobre 2022 et en débat au plan national et en territoires. ■
PLAN EAU : Des avancées structurantes attendues en termes de gouvernance et de financements de la gestion opérationnelle par bassin
Par Frédéric Molossi, co-président de l’Association Nationale des Elus des Bassins (ANEB), 1er vice-président de l’EPTB Seine Grands Lacs.
A l’appel du gouvernement de mettre en œuvre une planification écologique transversale, dont le premier chantier cible l’eau, et faisant écho à une situation de sécheresse exceptionnelle à l’été 2022, aussi bien dans sa durée que dans son étendue géographique, Jean Launay, président du Comité National de l’Eau m’a confié la co-présidence du groupe de travail « Grand cycle de l’eau et Aménagement », aux côtés de Thierry Burlot, président du Cercle Français de l’Eau et et Georges Dantin de la Fédération Française de Canoë Kayak.
Les conclusions des groupes de travail ont été remises au gouvernement sous forme de propositions. Les annonces prévues initialement fin janvier ont été reportées à mars.
Il est particulièrement attendu que des mesures structurelles telles proposées par notre groupe, visant une planification décentralisée de l’eau par bassin versant, y compris avec son volet financier, soient annoncées, et puissent ainsi soutenir le renforcement sur le long terme de la dynamique portée actuellement par les Commissions Locales de l’Eau et les Etablissements Publics de Bassin.
Le Livre BLEU, L’eau en COMMUN : https://bassinversant.org/livre-bleu/
La contribution de l’ANEB au PLAN EAU : https://bassinversant.org/contribution-de-laneb-au-plan-eau-du-gouvernement/
La contribution de l’ANEB au RETEX sécheresse : https://bassinversant.org/contribution-de-laneb-a-la-mission-de-retour-dexperience-sur-la-gestion-de-la-secheresse-estivale-2022/