Le calme après la tempête. Dans les travées de l’hémicycle, le brouha et le chahut qui ont accompagné l’adoption du texte sur les retraites par la voie du 49-3 et le rejet de la motion de censure se sont estompés, même si les cicatrices restent encore ouvertes. Aussi sans perdre un instant, l’exécutif a enchaîné – le calendrier législatif est chargé - avec le projet de loi présenté par Agnès Pannier-Runacher sur l’accélération du nucléaire. Le texte a été adopté par l’Assemblée avec 402 voix « pour » et 130 « contre ». Un répit pour le gouvernement. La ministre de la transition énergétique s’est félicitée du vote des « majorités de projet » trouvées sur ce texte après avoir reconnu l’esprit de co-construction des députés.
Au démarrage de la présentation du projet de loi, nombreux ont été ceux à s’interroger sur la « logique » du calendrier et sur l’ordre de présentation au Parlement des textes « énergie » - renouvelables d’abord, nucléaire ensuite et enfin discussion sur la loi de programmation des énergies -. Pourtant, pour Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine et rapporteure du projet de loi reçue par l’Association des Journalistes Parlementaires (AJP) le 15 mars dernier, commencer par la loi de programmation qui nécessite de longues discussions et de multiples consultations n’aurait fait arriver le texte en discussion qu’en milieu d’année, soit pour elle « trop tard », ce qui aurait forcément retardé les prises de décisions. « Si on avait fait cela, le texte nucléaire n’aurait pu être débattu qu’en fin d’année prochaine, ce qui nous aurait fait perdre un an pour la construction d’un nouveau parc ». Intenable face à l’urgence climatique assure-t-elle.
Le texte a été d’abord présenté comme technique, en visant à donner les outils pour l’accélération du nucléaire comme le veut Emmanuel Macron. Le projet de loi vise à faciliter les prises de décision en allégeant les procédures administratives et les délais pour permettre la construction de six nouveaux réacteurs EPR à l’horizon 2035 et lancer des recherches pour huit autres. « Avec ce projet de loi, ce n’est ni plus ni moins que le fil de la plus grande aventure industrielle française depuis les années 1970 que nous renouons » avait rappelé au premier jour de la discussion Agnès Pannier-Runacher. « Il est temps de ne pas avoir le nucléaire honteux » insistait à son tour Maud Bregeon. Un changement de paradigme sur le nucléaire qui trouve notamment une explication dans le changement des Français qui en trois ans sont passés de 30 à 60 % environ d’opinion favorable au nucléaire. Pourquoi ce tournant ? « Parce que tout le monde a compris que la souveraineté énergétique ce n’était pas seulement un concept mais du concret comme lorsque les Russes arrêtent de nous livrer du gaz ou quand il y a des défaillances sur le réseau » a expliqué à l’AJP, Maud Bregeon. Au-delà de l’opinion publique, l’urgence climatique s’impose aussi naturellement. Avec le nucléaire, ajoute l’ancienne ingénieure nucléaire chez EDF, « nous avons là un moyen de production en capacité de produire beaucoup sans émettre de CO2 et avec des coûts de production qui sont bien moins importants que dans d’autres secteurs ».
Un texte technique mais qui s’est peu à peu politisé comme lorsque l’objectif de réduction à 50 % de la part d’énergie nucléaire dans le mix énergétique d’ici à 2035, mesure adoptée sous le quinquennat de François Hollande a été supprimé, ainsi que la limite de 63 gigawatts de puissance pour le parc nucléaire. « Face à l’urgence climatique, on ne trouve aucun sens à se mettre des limites, pour le renouvelable comme pour le nucléaire. Si limites, il doit y avoir, il faut que cela soit fait pour les énergies fossiles. Ce serait, certes compliqué mais cohérent d’un point de vue climatique » commentait devant l’AJP Maud Bregeon. A l’inverse, pour les oppositions au projet de loi, cette surpression s’apparente du coup à une préemption du débat à venir sur la loi d’orientation énergétique. La loi « est supposée être une loi technique d’accélération, pas une loi de programmation sur le mix énergétique » a protesté l’ancienne ministre Barbara Pompili, pourtant députée Renaissance.
Un petit accroc est ensuite venu perturber le déroulé passible (ou presque) de l’adoption du texte. Après des débats agités dans l’hémicycle, la proposition visant à fusionner l’Autorité de Sûreté nucléaire (ASN) avec l’Institut de Radioprotection et de Sûreté (IRSN) a été finalement retirée. De nombreux parlementaires avaient en effet fait part de leurs inquiétudes quant aux conséquences de ce rapprochement en matière de sûreté et d’indépendance, ce que contestait la rapporteure du texte. Avec la fusion, « on aurait plus qu’une seule autorité indépendante » assurait-elle avant de poursuivre : Avec la prolongation du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs, « on a besoin d’un niveau de fluidité le plus avancé possible » comme cela existe aux Etats-Unis. Pas « défavorable à l’idée d’adapter nos outils à la nouvelle ère du nucléaire » qui s’annonce, Raphaël Schellenberger (LR, Haut-Rhin), Président de la commission d’enquête sur la situation énergétique de la France a toutefois regretté que « cette idée soit venue de façon aussi brutale sur la table, qu’on ait pas pris le temps de la discussion. Je le regrette d’autant plus que les véhicules législatifs pour le faire passer dans les prochains temps, il n’y en a pas tant que ça ». L’article a finalement été réécrit et évoque maintenant une « organisation duale » en matière de sûreté.
Plusieurs autres mesures ont été également adoptées comme la « raison impérative d’intérêt public majeur » qui s’appliquerait à la construction des nouveaux réacteurs, sous certaines conditions de puissance. Une disposition qui accélérera plus encore les procédures et restreindra certains recours en justice. Un article introduit par les sénateurs LR visant à sanctionner plus sévèrement les intrusions à l’intérieur des locaux, des terrains et des installations abritant des matières nucléaires a été adopté sous les hués des députés de gauche.
Aux regrets prévisibles des députés écologistes de ne pas avoir vu adopter plusieurs de leurs amendements, Maud Bregeon avait finalement répondu par avance lors de la conférence de presse de l’Association des journalistes parlementaires. Sûreté, traitement des déchets, gestion de l’eau… « toutes ces interrogations, légitimes, sont prises en compte depuis longtemps. Personne n’a prétendu que l’énergie nucléaire était une énergie parfaite mais enfin quand on regarde ce qui s’est passé dans les pays qui ont fait le choix de sortir du nucléaire en utilisant du gaz ou du charbon, à un moment donné il est utile de se poser la question des risques et des opportunités, des avantages et des inconvénients. Dans cet équilibre, l’énergie nucléaire l’emporte sur l’énergie fossile » concluait-elle alors. ■