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L’hydroélectricité menacée de sécheresse ?

En 2022 avec la sécheresse, les barrages ont produit 20 % d’électricité en moins.

La France a connu une longue période sans précipitation, 32 jours sans pluie entre janvier et février, « du jamais vu durant un hiver » soulignait alors avec inquiétude Météo France début mars. Le communiqué ajoutait : « cette situation se traduit par un assèchement des sols, déjà affaiblis par la sécheresse de l’été 2022 ». « L’hiver 2023 figurera parmi les 10 hivers les moins arrosés depuis 1959 » complétait enfin l’institut météorologique.

Au-delà de ce que cette sécheresse hivernale a d’inquiétant, cette situation n’est pas non plus sans conséquences pour la production énergétique, notamment hydroélectrique. Partout les clignotants sont au rouge. « La production hydraulique a atteint son plus bas niveau (49,7 TWh) depuis 1976 en raison de conditions climatiques exceptionnellement chaudes et sèches » a reconnu le gestionnaire du réseau électrique français RTE dans un bilan publié le 16 février. Les barrages ont ainsi produit 20 % d’électricité en moins. Dans les montagnes, les ouvrages hydrauliques accusent même une perte de 35 % de leur production en raison de la faible quantité de manteau neigeux. La fonte des glaces qui sera moindre cette année et les cours d’eau pas à leur meilleur niveau ne permettront pas non plus de recharger les barrages poursuivent les experts. Avec le réchauffement climatique, ces épisodes de sécheresse estivale et aussi hivernale pourraient à l’avenir se répéter alertent les climatologues.

Première des énergies renouvelables en France et dans le monde, l’hydroélectricité est exploitée depuis la fin du XIXème siècle. En France, EDF exploite 427 centrales hydrauliques et plus de 600 barrages. D’autres acteurs sont également présents comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR), deuxième plus gros acteur du secteur après EDF avec 25 % de l’hydroélectricité française produite (19 barrages et 49 centrales hydroélectriques), ou la SHEM filiale d’Engie qui gère 56 usines et 12 barrages dans le sud-ouest. En 2021, les centrales hydroélectriques françaises ont produit 62,5 TWh, soit 12 % de la production métropolitaine, un volume qui peut monter à 20 % en période de pointe de consommation. L’hydroélectricité représente ainsi plus de la moitié (53 %) de la production d’électricité renouvelable en France. La puissance installée de l’hydroélectricité en France métropolitaine est de 25,7 GW. Elle représente 18,4 % du parc de production d’électricité et 43 % du parc renouvelable et est exploité à près de 80 % par EDF, soit 20,1 GW.

Dans un contexte de course aux énergies renouvelables, face à l’éolien ou au solaire, des énergies intermittentes, non stockables et souvent difficiles à mettre en oeuvre, l’hydroélectricité apparaît comme une énergie décarbonée stockable (retenue derrière les barrages et disponible à la demande), largement tolérée parce qu’installée dans les paysages depuis longtemps et rentable. « L’avantage de l’hydroélectricité, c’est qu’elle est beaucoup plus facilement pilotable que d’autres énergies, et les ouvrages hydroélectriques peuvent pour certains, faire office de stockage d’énergie » complète Frédéric Tuillé, responsable des études à Observ’Er, un consortium spécialisé dans le suivi du développement des énergies renouvelables dans l’Union européenne.

Si avec le nucléaire, la « houille blanche » occupe une place non négligeable dans le mix énergétique français avec un rôle d’équilibrage du réseau surtout en période de forte consommation, l’hydraulique a un rôle tout aussi important dans le partage de la ressource. N’oublions pas que l’eau des barrages sert aussi à l’irrigation, au refroidissement des centrales nucléaires, aux industries, au tourisme et à l’alimentation en eau potable. Auditionné par le Sénat le 15 février dernier, Bruno de Chergé, directeur des relations institutionnelles, régulations et coordination de l’eau d’EDF Hydro rappelait combien « concilier les deux dimensions – l’eau et l’énergie - n’était pas chose aisée ». Chacune ayant ses contraintes qui se révèlent parfois antagonistes. Il a notamment expliqué aux sénateurs que lors de la sécheresse estivale EDF avait dû procéder à plusieurs lâchés d’eau à partir de ses barrages pour un total de 800 m3, « soit 60 % de plus que la moyenne entre 2015 et 2021. Plusieurs retenues ont été totalement vidées, à la limite de la vidange ». « Deux tiers de nos concessions hydroélectriques ont servi à d’autres usages que la production d’électricité » a-t-il complété en donnant l’exemple de la gestion des ouvrages sur la Durance : « Dès la fin février 2022, nous avons arrêté de produire de l’électricité pour reconstituer la retenue de Serre-Ponçon, notamment pour des usages agricoles. Le principe est de retenir l’eau quand elle est abondante et de la relâcher lors des périodes de manque d’eau, dans une logique d’atténuation du changement climatique » a précisé Bruno de Chergé. Mais il faut rester vigilant alerte-t-il : « Dans de nombreux endroits le rôle qu’ont joué les barrages pour servir à d’autres usages a masqué le besoin d’adaptation au changement climatique de ceux qui en ont bénéficié ». Rien n’est donc acquis. D’autant plus que 2022 n’est qu’un début et que 2023 s’annonce compliquée compte tenu de l’état des nappes d’eau et des prévisions d’étiages. 


“La reconquête de notre souveraineté énergétique passera par l’eau” - Tribune collective*
La discussion du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergie renouvelable a imposé dans le débat public une vision étriquée de ce que sont ces énergies renouvelables. Il s’agirait exclusivement du solaire et de l’éolien. Selon la vision dogmatique que l’écologie politique a progressivement imposée dans le débat public, pour être renouvelables, les énergies devraient donc être intermittentes, non stockables, diffuses et difficiles à mettre en œuvre, et le plus souvent maîtrisées par des industries étrangères. La rupture avec l’histoire énergétique de notre pays nous conduit forcément dans une impasse. Alors que l’acceptabilité de l’impact environnemental, paysager, tarifaire et en besoin de matières premières rares de l’énergie solaire ou éolienne peine à convaincre, elles sont érigées comme la définition exclusive du renouvelable.
Pourtant, la France a une grande histoire avec une énergie puissante, renouvelable, et souveraine : l’hydroélectricité. Totalement neutre en émission de gaz à effet de serre, stockable, pilotable, économe en matières rares, non délocalisable, gratuite, l’eau est de surcroît adaptée à notre réseau électrique existant et permet de grandes ambitions en optimisant les investissements. Le mix français, voulu dès la reconstruction gaulliste de l’après-guerre, c’est le nucléaire et l’hydraulique. Ce n’est pas le gaz russe et le charbon, combinés au vent de la mer du Nord, de nos voisins Allemands. Pourquoi vouloir absolument rompre avec nos points forts pour copier une politique germanique qui a démontré son échec cuisant ? C’est la maîtrise de l’énergie « eau » qui a sauvé notre électricité.
La simple rénovation de nos barrages existants, dans lesquels les investissements sont en attente faute d’accord au niveau européen, permettrait à cette énergie de gagner 5 % de production supplémentaire.
Alors que depuis dix ans l’éolien et le solaire captent toute l’attention des gouvernements successifs, sans faire la démonstration de leur capacité à répondre aux défis de sécurisation de notre approvisionnement, cet hiver, c’est l’énergie hydraulique qui a permis à la France de sauver son système, alors même que cette énergie est abandonnée depuis une décennie. L’incapacité des gouvernants socialistes et macronistes, et autres « stratèges » faussement verdis, à imposer une vision française de la production d’électricité à l’Union Européenne, nous a conduits à voir l’hydraulique comme honteux. Pourtant, des marges importantes de production d’énergie durable hydraulique existent.
La simple rénovation de nos barrages existants, dans lesquels les investissements sont en attente faute d’accord au niveau européen, permettrait à cette énergie de gagner 5 % de production supplémentaire (soit une demi-tranche nucléaire). C’est majeur. Le potentiel de développement de nouveaux ouvrages hydroélectriques est également très documenté. Il permettrait de gagner près de 15 % de capacité de production (soit près de 2 tranches nucléaires). C’est majeur, là encore. Enfin, certaines de nos installations pourraient être modernisées de façon conséquente en gagnant à la fois en productivité et en réduisant leur impact environnemental, à l’image du formidable chantier de Romanche-Gavet, en Isère, qui a permis un gain de productivité de 40 %.
La France doit refuser la moindre perspective de mise en concurrence de ses barrages hydroélectriques, comme les injonctions répétées de la Commission européenne voudraient l’imposer.
Un tel plan nécessite du courage politique. Celui d’affirmer que l’eau est une ressource essentielle pour la Nation. Que nous devons nous en occuper sérieusement. Qu’elle ne peut donc pas être dans le champ concurrentiel et qu’il n’y a aucune raison pour que nous soyons le seul pays européen à confier nos barrages à des entreprises étrangères. Car l’eau ne peut pas devenir un bien exclusif. Les enjeux environnementaux, d’aménagement du territoire, de sécurité d’approvisionnement pour les usages domestiques, agricoles, industriels et de navigation, en font un bien précieux. Nous avons besoin de reprendre la main sur cette ressource, conformément à notre histoire nationale, plutôt que de disserter sur des technologies que nous ne maîtrisons pas et que nous importons.
La France doit refuser fermement et définitivement la moindre perspective de mise en concurrence de ses barrages hydroélectriques, comme les injonctions répétées de la Commission européenne voudraient l’imposer. S’il y a bien un sujet sur lequel la parole de la France doit se faire entendre, c’est celui-ci. L’Union européenne doit abandonner cette perspective funeste et la Nation française doit protéger et développer son patrimoine énergétique d’avenir. Sortons du dogmatisme et de la mode pour revenir à nos atouts. Nous avons besoin de retrouver du pragmatisme et de l’ambition, celle du progrès et de la disponibilité permanente, pour notre énergie. L’eau est un formidable moyen d’y parvenir en relevant, simultanément, de nombreux défis qui nous sont imposés par le changement climatique. La France ne dispose ni de pétrole, ni de gaz sur son territoire. Tant mieux. Elle dispose de formidables paysages et d’un savoir-faire industriel d’innovation et de production majeur, qui nous offrent la puissance de l’hydroélectricité. Soyons-en fiers ! n
*Signataires : Aurélien Pradié, député du Lot. Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin. Jean-Yves Bony, député du Cantal. Vincent Descœur, député du Cantal. Francis Dubois, député de Corrèze. Virginie Duby-Muller, députée de la Haute-Savoie. Vincent Rolland, député de la Savoie. Emmanuel Maquet, député de la Somme


Renouvellement des concessions hydroélectriques : les leçons de la Cour des comptes
Dans un référé sur le renouvellement des concessions hydroélectriques, la Cour des comptes appelle l’exécutif à agir vite alors que 38 concessions sont échues à ce jour et n’ont pas été renouvelées.
La France dispose en métropole du plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne, principalement constitué d’environ 340 ouvrages exploités sous le régime de la concession de service public. Ces contrats de concession actuellement en vigueur sont pour la plupart anciens ; ils ont été passés par l’Etat au siècle dernier et viennent progressivement à échéance selon un calendrier qui s’étale entre 2003 et 2080. « Faute d’avoir choisi au début de cette période une modalité de renouvellement et de s’y être tenu, 38 concessions sont à ce jour échues et n’ont pas été renouvelées » regrettent les juges ; elles seront au nombre de 61 fin 2025 « et continueront d’augmenter rapidement ensuite ». Si la poursuite de l’exploitation des concessions arrivées à échéance est autorisée par la loi sous le régime dit des « délais glissants », cette solution provisoire présente toutefois « de nombreux inconvénients », notamment en ce qui concerne « les investissements nécessaires au bon fonctionnement ou à l’amélioration de ces ouvrages dont la programmation est perturbée et le financement rendu plus incertain ». Pour la cour, « il est nécessaire de sortir rapidement de cette situation afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu’il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique ».
Pour le renouvellement de la concession, deux options sont possibles : soit la mise en concurrence, soit en l’attribuant discrétionnairement à un opérateur public sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui sur propres services, dispositif dit de « quasi-régie ». Dans un contexte de renationalisation d’EDF, c’est cette dernière option qui semble privilégiée par l’Etat. Cependant la cour a constaté que ce choix reposait d’abord sur la recherche d’une solution juridique permettant d’éteindre les contentieux en cours au niveau européen, « sans que les conséquences économiques et financières de ce schéma ne soient clairement énoncées ». Reste que la quasi-régie permettrait une optimisation de la production hydroélectrique tant au niveau local qu’au niveau national et devrait également garantir la captation de la rente hydroélectrique en situation de prix élevés, « les excédents dégagés par l’exploitation des concessions aboutissant par différents canaux dans la caisse de l’Etat ou des collectivités locales concernées ». « Les conditions dans lesquelles pourrait fonctionner une quasi-régie ne sont toutefois pas précisées par l’administration » déplore la cour qui recommande aux ministères de la transition énergétique, de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de « prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières en sus des considérations juridiques, au moment d’opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions hydroélectriques échues, soit pour leur mise en concurrence, à l’unité ou par regroupements ». La cour recommande également à l’exécutif de proposer un modèle de rémunération propre aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP).

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