Ce « plan eau » constitue « une modernisation sans précédent de notre politique de l’eau. Je veux pour cela fixer un cap à notre nation avec un objectif pour 2030 qui est de faire 10 % d’économies d’eau dans tous les secteurs (…). Ce plan eau, donc, avec sa cinquantaine de mesures, c’est avant tout un plan de sobriété et d’efficacité pour l’eau dans la durée » a affirmé le chef de l’Etat. Avec dans le dos, la lac de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes pris comme symbole de la sécheresse et quelques jours seulement après les violents incidents survenus autour de la méga-bassine de Sainte-Soline, Emmanuel Macron avait finalement choisi de dévoiler lui-même ce « Plan eau », attendu depuis plusieurs semaines déjà et qui, initialement, devait être présenté par la Première ministre.
Et sans aucun doute, l’urgence est là : D’ici 2050, le changement climatique pourrait nous priver de 30 à 40 % de l’eau disponible en France. Emmanuel Macron a entamé son propos en dressant un bref état des lieux avec une ressource en eau renouvelable qui a « fortement baissé » mais aussi les sécheresses qui seront « de plus en plus fréquentes » et le niveau « bas et très bas » de 80 % de nos nappes phréatiques. Aujourd’hui, ce sont déjà plus d’une quinzaine de départements qui sont en vigilance et une dizaine de départements en alerte renforcée, « ce qui entraîne des restrictions ». et 2000 communes ont connu des problèmes d’approvisionnement.« Nous devons donc inscrire la sobriété dans la durée » a conclu le président dans son propos liminaire en fixant comme objectif « de faire 10 % d’économie d’eau dans tous les secteurs » d’ici 2030. Pour l’atteindre, cinq grands axes de travail ont été déterminés : « accélérer la sobriété partout et dans la durée », « lutter contre les fuites », « investir dans la réutilisation d’eaux usées », « accompagner la transformation de notre modèle agricole » et « mettre en place partout une tarification de l’eau ».
Misant sur la responsabilité de tous les secteurs mais aussi sur « la responsabilité de chacun », le président de la République a annoncé la mise en place d’un « Ecowatt de l’eau » sur le modèle de l’Ecowatt pour l’énergie. Cet outil sera disponible dès le début de l’été « pour que chaque Français, chaque agriculteur, chaque maire, chaque chef d’entreprise puisse connaître les gestes adaptés de manière très transparente et l’évolution de la situation » de l’eau a précisé le chef de l’Etat.
Le budget des agences de l’eau sera également fortement augmenté a promis le président. Aujourd’hui de 2,2 milliards d’euros, une hausse de 500 millions d’euros par an a été annoncée par Emmanuel Macron. « C’est l’effort dont on a besoin pour déclencher au total environ 6 milliards de plus dans l’économie de l’eau chaque année ».
La responsabilisation de chacun passe aussi par la généralisation d’une « tarification progressive » de l’eau pour « les consommations de confort ». « Depuis 2017, nous avons lancé des expérimentations sur cette tarification de l’eau et nous souhaitons, en concertation avec les élus, que cette tarification progressive et responsable de l’eau soit généralisée en France. Ça ne veut pas dire que le prix de l’eau va augmenter » a rassuré Emmanuel Macron juste avant d’ajouter qu’« au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé, et c’est normal pour les consommations que j’appellerai de confort ». « Les premiers m3 sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant. Ça correspond à l’eau dont nous avons tous besoin. Au-delà d’un certain niveau, le prix du m3 sera plus élevé » mais c’est évidemment « pour inciter à la sobriété ».
Sujet souvent abordé mais peu traité, celui de la réutilisation des eaux usées. « On peut faire de très importantes économies d’eau » assure pourtant le chef de l’Etat au lac de Serre-Ponçon. « Aujourd’hui en France, moins de 1 % de l’eau usée est réutilisée. En cinq ans, on veut passer à 10 % » en cinq ans explique-t-il. « Pour ça, nous avons décidé de lancer 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau » et « in fine, nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques par commune (…) ou 3 500 bouteilles d’eau par Français et par an ». Pourtant la réutilisation des eaux usées suscite encore un certain nombre de questions comme le fait de ne pas réutiliser entièrement cette « ressource » issue des stations d’épuration pour ne pas empêcher le rejet dans la nature, donc d’infiltration qui recharge les nappes souterraines.
Toujours pointé du doigt et désigné comme gros consommateur, le monde agricole devra lui aussi passer par des mesures de sobriété. « Est-ce que les filières d’aujourd’hui sont encore adaptées au climat de demain ? Nous devons nous poser cette question » s’interroge à haute voix le président avant d’évoquer la nécessité de réfléchir à « d’autres schémas de culture ». « Il va falloir réinventer des modèles agricoles dans notre République ». Le président a annoncé une enveloppe de 30 millions d’euros pour aider le monde agricole à se transformer en investissant dans des « systèmes intelligents » d’utilisation d’eau, comme le « goutte-à-goutte ». Le plan veut encore inciter à développer le stockage de l’eau dans les sols avec « plus de haies et plus d’arbres, partout où on le peut ». La volonté du président est « de maximiser la capacité de notre principal outil de stockage de l’eau, qui sont nos sols, des sols en meilleure santé avec plus d’arbres, qui stockent mieux l’eau et qui favorisent la recharge des nappes ».
Est alors venu pour le président le temps d’aborder l’épineuse question de la construction de « nouveaux ouvrages » de stockage artificiel d’eau pour les agriculteurs. Rappelant qu’il n’est pas ici question « de privatiser l’eau », « les nouvelles retenues devront être inscrites dans des projets de territoire de gestion de l’eau (PTGE), et fondées sur des projections scientifiques » a bien insisté Emmanuel Macron qui veut « un cadre clair » en faisant allusion à l’épisode de la méga-bassine de Sainte-Soline. Il a également demandé que ces constructions payées à 70 % par l’argent public soient soumises à des « changements de pratiques significatifs » (économie d’eau et baisse de l’usage des pesticides).
Le plan veut aussi répondre à la polémique qui vise les centrales nucléaires, troisièmes consommatrices d’eau en France, « environ 12 % ». « Nous devons adapter nos centrales nucléaires au changement climatique en engageant un vaste programme d’investissement pour faire des économies d’eau et permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé » pour se refroidir a indiqué Emmanuel Macron qui a également annoncé une réunion prochaine des « 50 sites » industriels « qui ont le plus grand potentiel de baisse de consommation d’eau » pour « travailler avec eux sur un plan d’investissement pour faire des économies d’eau ». C’est notamment le cas de secteurs comme celui de la production de batterie et d’hydrogène qui auront « besoin de quantités importantes d’eau ». « Nous allons intégrer dans les stratégies d’investissement la sobriété en eau » a-t-il averti.
Les Outre-mer « qui ont une situation tout particulièrement difficile » ne sont pas oubliés. Un enveloppe de 35 millions d’euros supplémentaires par an pour l’eau en Outre-mer a été promise « pour accélérer justement le travail sur les réseaux ». ■
Les cinq grands axes du plan “eau” :
• Accélérer la sobriété partout et dans la durée
• Lutter contre les fuites et moderniser les réseaux
• Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées
• Mobiliser de nouvelles ressources, planifier les usages de l’eau sur les disponibilités futures de la ressource
• Accompagner les transformations de notre modèle agricole
La France au régime sec
Le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) dresse un état des lieux inquiétant du niveau des nappes phréatiques.
“Les niveaux des nappes phréatiques restent sous les normales avec 80 % des niveaux modérément bas à très bas. La situation s’est dégradée du fait de l’absence de précipitations efficaces en février” alerte le BRGM dans son bulletin de début mars. En effet, avec la dernière sécheresse mais aussi avec le manque de pluie de ces dernières semaines – le mois de février a été selon météo France, le 4ème le plus sec en France depuis 1959 avec notamment une série record de 32 jours sans précipitations entre le 21 janvier et le 21 février et un déficit global des précipitations dépassant les 75 % -, la situation des nappes « s’est dégradée et est peu satisfaisante » décrit avec inquiétude l’hydrogéologue du BRGM Violaine Bault, « les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes ».
Si tout le territoire français est touché, « ce qui est inédit », ce sont les zones du couloir rhodanien, du Limousin, des Causses et de la plaine du Roussillon qui connaissent les situations les plus délicates, avec des niveaux « rouge » et des nappes « très basses ».
Aussi, sans une pluviométrie conséquente et alors que la végétation reprend, « la vidange pourrait se poursuivre sur les nappes réactives et se généraliser sur les nappes inertielles s’inquiète le BRGM, l’état des nappes devrait alors continuer à se dégrader ». Toutefois, « des pluies abondantes et perdurant durant le printemps pourraient permettre de retrouver des niveaux satisfaisants » espère le BRGM même si « la reconstitution des stocks d’ici le printemps reste difficilement envisageable sur les nappes réactives affichant des niveaux très bas ». En résumé : sans pluies abondantes prochainement - et ce n’est pas vraiment ce qu’annonce Météo France - « on risque d’avoir toute la France concernée par des arrêtés de restriction d’eau » alerte Violaine Bault.