La France a été condamnée à deux reprises par la justice administrative pour inaction climatique. Voilà qui aurait dû alerter et réveiller les consciences. En novembre dernier, le chef de l’Etat bottait en touche expliquant sur Facebook que « ce n’était pas pour [sa] pomme » puisque cela remontait à la période 2015-2018. Dont acte. Mais pour autant, n’était-il pas temps de se pencher sérieusement sur la question de savoir si la France respecte l’Accord de Paris ? Sans doute et c’est ce qu’on justement fait les députés Laurence Heydel-Grillere (RE, Ardèche) et Antoine Vermorel-Marques (LR, Loire), tous deux membres de la commission du développement durable avec cette mission flash qui a rendu son rapport le 12 avril dernier.
La signature en décembre 2015 de l’Accord de Paris lors de la 21ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique a marqué un tournant dans l’engagement des Etats à lutter contre le changement climatique. Les 196 Etats parties à l’Accord, dont l’Union européenne, se sont notamment engagés à limiter le réchauffement de la planète bien en deçà de 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle. « Au-delà des inventaires annuels des émissions de gaz à effet de serre réalisés par chaque Etat partie auprès du secrétariat de la CCNUCC, l’Accord de Paris implique de nouvelles obligations. Sa mise en oeuvre repose notamment sur la capacité de tous les Etats parties à mesurer correctement leurs émissions et à adopter des politiques ambitieuses pour les réduire » expliquent les deux élus qui se sont alors intéressés à la façon dont la France participait à l’effort de reporting et d’évaluation des progrès réalisés. Or, si la France mesure bien ses émissions de gaz à effet de serre et évalue le respect de ses objectifs climatiques, les rapporteurs jugent toutefois que « la France connaît un retard dans sa trajectoire de réduction d’émissions », et dont le rattrapage impliquera une accélération du rythme de baisse des émissions par rapport aux trajectoires initiales : « le rythme annuel de réduction doit doubler pour atteindre -4,7° par an en moyenne entre 2023 et 2030 ». « En 2022, les émissions de gaz à effet de serre ont bien diminué de 2,5 % mais si on veut respecter l’Accord de Paris, nos émissions doivent baisser de 5 % par an d’ici à 2030 insiste Antoine Vermorel-Marques. On est à peine à la moitié du chemin pour respecter cet accord qui a été ratifié par le Parlement ». « En 2022, nous avons atteint nos objectifs, nous allons dans le bon sens, même s’il faut aller encore plus vite » tempère Laurence Heydel-Grillere moins sévère que son collègue. Reste que ces « bons » chiffres sont aussi à mettre au crédit « de facteurs conjoncturels », notamment un hiver doux et des prix élevés de l’énergie. « Il ne s’agit pas d’une baisse structurelle. Si on regarde le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède qui respectent l’accord de Paris, ils ont en commun d’avoir des pouvoirs de contrôle très forts » constate Antoine Vermorel-Marques.
Pour faire des progrès encore faut-il savoir où les faire. Le rapport dresse justement un inventaire des secteurs économiques et de leurs trajectoires en matière de réduction des GES. Ainsi entre 1990 et 2020, les secteurs de l’industrie et de la production d’énergie ont réduit de moitié leurs émissions de GES ; les émissions du secteur du bâtiment ont baissé de 23 %, celles de l’agriculture de 12 %. « En revanche, poursuivent les élus, les émissions du secteur des transports ont augmenté entre 1990 et 2019 (+9,5 %) avant de connaître un niveau exceptionnellement bas en 2020 lié à la crise de la covid-19 ». Et Antoine Vermorel-Marques d’enfoncer le clou : « La France doit mettre les bouchées doubles sur le ferroviaire ». Les députés déplorent également que les émissions des transports aériens et maritimes internationaux de la France ne soient pas prises en compte dans l’objectif de neutralité carbone.
Craignant que la France soit à nouveau condamnée pour inaction climatique, les rapporteurs font plusieurs propositions pour tenter de l’éviter. Mais pour atteindre ses objectifs, il faut s’en donner les moyens. Les rapporteurs préconisent alors « d’améliorer la visibilité et les moyens d’action du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) ». Créé en mai 2022 et placé sous l’autorité de la Première ministre, le SGPE a pour mission de coordonner l’action des administrations de l’Etat et plus généralement de mobiliser toutes les parties prenantes en faveur de la planification écologique. « Il repose sur un effectif réduit de 15 postes et, s’il est prématuré d’évaluer l’efficacité de son action, le renforcement de ses moyens paraît d’ores et déjà nécessaire écrivent les élus ». Et selon eux, « aboutir à une réduction significative des émissions de GES nécessite la mise en place d’une stratégie de planification écologique qui permette de fixer des objectifs, de les actualiser et de déterminer les moyens nécessaires pour les atteindre ». Ils préconisent entre autres d’adopter une loi de planification écologique qui comporterait « une programmation pluriannuelle des financements » sur le modèle des autres lois de programmation pluriannuelles (Loi de programmation militaire, loi de programmation pour la recherche…). « Cela permettrait d’apporter de la lisibilité à l’action publique et de sécuriser les investissements » estiment-ils.
Les deux députés souhaitent ensuite voir le rôle du Parlement renforcé. Ils demandent par exemple une présentation par le Haut conseil pour le climat (HCC) de son rapport annuel devant les assemblées. Ils aimeraient aussi voir créer une instance de suivi dédiée au sein de l’Assemblée nationale, « dont la mission consisterait à suivre de manière régulière la mise en oeuvre des engagements pris par la France dans le cadre des négociations internationales sur le climat ». Il faudrait également élargir le champ de compétences de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire (dont les deux élus sont membres), en particulier aux domaines du climat, de l’énergie et de la forêt. Une proposition qui nécessiterait une révision du règlement de l’Assemblée nationale. Pourquoi ne pas renforcer la formation de tous les députés en matière d’écologie, notamment sur les COP s’interrogent à haute voix les rapporteurs qui souhaitent « qu’un véritable cycle de formation, avec des sessions régulières puisse être organisé pour l’ensemble des députés ».
Les rapporteurs ne manquent décidement pas d’idées comme celle de renforcer la partie environnementale des études d’impact des projets de loi et la prise en compte dans l’avis du Conseil d’Etat de cette problématique. Autre proposition : inciter les entreprises à réaliser leurs inventaires d’émissions qui ne sont pour l’instant établis que par moins de 40 % des entreprises assujetties. « Pour cela, les sanctions en cas de non-présentation du bilan pourraient être alourdies » ajoutent-ils. « Ce qui fonctionne bien au Royaume-Uni par exemple et qui explique en partie leurs bons résultats, c’est le principe du pollueur payeur » justifie le député de la Loire.
Les rapporteurs veulent aussi donner plus de moyens et de visibilité au HCC. « Son équivalent au Royaume-Uni a deux fois plus de salariés. Il tend à ressembler à un GIEC [le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] britannique plus qu’à un HCC encore méconnu » précise Antoine Vermorel-Marques qui entend miser sur la mise en place « d’un véritable dialogue environnemental » à l’instar du dialogue social (quand il existe). « Il permettrait de renforcer la participation citoyenne et les coopération entre les parties prenantes, préalables indispensable à l’acceptabilité sociale des mesures environnementales ».
Finalement, ce que veulent surtout les rapporteurs avec l’ensemble de leurs préconisation, c’est bien éviter un risque de « procrastination climatique ». ■
“Inaction climatique”
Saisi par la ville de Grande-Synthe et des associations (dont Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous), le Conseil d’Etat avait enjoint au Gouvernement de prendre, d’ici le 31 mars 2022, toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40 % en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, notamment afin de respecter l’Accord de Paris et les engagements européens repris par le législateur français. Un an après, le Conseil d’Etat est venu vérifier si les actions menées traduisent une correcte exécution de sa décision face aux accusations des associations « d’inaction climatique » de l’Etat. Or, si, « si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, le Conseil d’Etat estime qu’il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée ». C’est pourquoi il ordonne aujourd’hui au Gouvernement « de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de transmettre, dès le 31 décembre, un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité ».