Les Sages de la rue Cambon dérangés par les flatulences et les déjections bovines. Dans un rapport sur les soutiens publics aux éleveurs de bovins entre 2015 et 2022, la Cour des comptes pointe le « bilan climatique défavorable » de l’élevage bovin et recommande au gouvernement de « définir et rendre publique une stratégie de réduction » de sa population bovine. Ce rapport a été rendu le 22 mai dernier, le même jour que l’annonce par la Première ministre Elisabeth Borne d’un plan d’action gouvernemental pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. « Face à l’ampleur de l’enjeu, chacun doit prendre sa part [… ] Personne ne doit se reposer sur les efforts des autres » a-t-elle expliqué en dévoilant des objectifs chiffrés pour chacun des grands secteurs de l’économie, dont bien évidemment l’agriculture qui serait responsable à elle-seule de 19 % du total des émissions de GES du pays.
Les chiffres collectés auprès de différentes sources et repris par la cour des comptes montrent que l’élevage bovin est responsable en France de 11,8 % des émissions d’équivalents CO2, « comparables à celles des bâtiments résidentiels du pays », principalement en raison du méthane produit lors de la digestion des animaux. Or, si l’on veut respecter nos engagements en matière de réduction des émissions de méthane (souscrits dans l’accord international Global Methane Pledge), les Sages en sont arrivés à la conclusion qu’il n’y a à priori d’autres solutions que de baisser de façon « importante » le cheptel français qui avoisine aujourd’hui près de 17 millions de têtes et fait de la France, le premier producteur de viande bovine et le deuxième troupeau laitier derrière l’Allemagne.
Pourtant, depuis plusieurs années déjà, l’on perçoit une baisse du cheptel bovin (-10 % en six ans). Mais cela n’est pas suffisant aux yeux de la Cour qui la trouve « limitée » et « subie » - elle ne permettra pas d’atteindre les objectifs climatiques du « Global Methane Pledge » signé par la France -, et surtout elle ne fait pas l’objet d’un réel pilotage par l’Etat. A l’invitation de la Cour, le ministère de l’agriculture a indiqué que le cheptel bovin « pourrait refluer à environ 15 millions de têtes en 2035 et 13,5 millions en 2050 ». « Nous sommes particulièrement agacés du procès qui est fait à l’élevage français » s’est emporté le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau après la lecture des recommandations énoncées dans le rapport. « Lire que votre activité doit cesser ou largement diminuer, c’est très compliqué pour des éleveurs » pour qui la mesure est « vécue comme une vraie blessure » a-t-il ajouté.
La prise de position de la Cour n’a pas été non plus du goût du ministre de l’agriculture. « Jamais, on ne peut avancer en stigmatisant et en donnant pour seule perspective à toute une profession, la vindicte populaire et la disparition. Et personne ne peut accepter cela » a tweeté Marc Fesneau.
Au-delà de cette volonté de diminution de la Cour qui a pu apparaître comme fracassante, brutale et teintée de parisianisme, le rapport cherche à aller plus en profondeur et dénonce aussi les incohérences de la politique d’élevage française qui a maintenu une capacité de production élevée en subventionnant largement le secteur. « À raison de 4,3 Mde d’aides publiques par an, l’élevage bovin demeure, de loin, l’activité agricole la plus subventionnée en France » explique la Cour qui précise que ce total prend en compte les aides perçues, uniquement pour cette activité, à la fois par les exploitations spécialisées en élevage bovin et par celles relevant d’autres spécialités et qui pratiquent également une activité d’élevage bovin. En moyenne, une exploitation d’élevage de bovins lait a perçu en 2020 un total de 36 000 e d’aides de la PAC et une exploitation d’élevage de bovins viande, 50 300 e (à comparer avec un montant moyen d’aides PAC aux exploitations agricoles de 33 600 e). Au-delà de la PAC, les éleveurs bénéficient d’aides à l’investissement, de plans d’urgence en cas de crise, ainsi que d’aides sociales et fiscales apprend-t-on à la lecture du rapport.
Reste que le modèle économique des exploitations d’élevage apparaît « fragile et sa viabilité reste dépendante du niveau élevé d’aides publiques » poursuit le rapport. Sans les aides, le ministère chargé de l’agriculture estime que 90 % des exploitations allaitantes et 40 % des exploitations laitières auraient un résultat courant avant impôt négatif en 2019. « Seules les subventions publiques permettent d’équilibrer les exploitations » insistent lourdement les magistrats de la Cour qui réclament une politique de soutien à l’élevage bovin « clarifiée ». « La logique d’attribution des aides devrait évoluer en croisant les axes de la performance économique et de la performance socio-environnementale. (...) Il s’agit de tendre vers un modèle d’exploitations à la fois économiquement performantes et produisant des externalités positives pour l’environnement ou l’économie des territoires ruraux juge la Cour ». « Les exploitations qui satisfont déjà à ces exigences seraient confortées [… ] Les exploitations en difficulté sur tous les plans pourraient être accompagnées dans une nécessaire reconversion » vers d’autres systèmes de production ou pourquoi pas en les aidant à « changer d’orientation professionnelle » suggère-t-elle (naïvement ?). Autre piste, autant pour diversifier les revenus que pour contribuer à la transition énergétique, « la production d’énergie (de biogaz par méthanisation, d’électricité dans le cadre de l’agrivoltaïsme) peut constituer une opportunité à saisir par les éleveurs français ».
Et pour les quelques esprits chagrins qui pourraient s’inquiéter de l’avenir de notre souveraineté alimentaire, la Cour se veut rassurante : la baisse du cheptel n’aura aucune incidence… à condition toutefois de manger moins de viande rouge. « Cette réduction peut être aisément conciliée avec les besoins en nutrition des Français, un tiers d’entre eux consommant davantage que le plafond de 500 g par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé » juge la Cour devenue experte en santé nutritionnelle et vigie de ce que nous devrions acheter et manger.
Deux jours après la parution du rapport et face à la bronca soulevée, le premier président de la cour Pierre Moscovici a cherché à minimiser ses effets dévastateurs. A la lecture des recommandations des auditeurs, « j’ai un peu sursauté aussi, j’avoue » a feint Pierre Moscovici au micro de France Inter. « La Cour n’est pas un pouvoir [...] mais une institution indépendante qui alimente le débat public. Nous faisons des rapports experts que l’on peut discuter. Il faut prendre ce rapport comme une contribution au débat » a défendu son premier président tenant toutefois à rappeler que « le rapport souligne aussi le caractère indispensable de l’élevage bovin, bon pour les sols, bons pour la souveraineté, et bon pour l’emploi ». « Il n’y a aucune hostilité de la Cour à l’élevage bovin. Je veux dire aux agriculteurs que je comprends leurs émotions et que je la partage » a conclu Pierre Moscovici appelant la filière à venir le rencontrer. ■
L’élevage bovin représente une composante significative de l’agriculture française. En 2020, on dénombre 91 123 exploitations spécialisées en élevage de bovins (lait, viande et mixte) qui occupent 32,7 % de la surface agricole utile.