La Commission européenne l’a bien compris en présentant le 10 mars dernier la Stratégie Spatiale de l’Union Européenne pour la Sécurité et la Défense. Cette nouvelle stratégie, dont on peut regretter qu’elle soit passée inaperçue des médias nationaux, constitue pourtant un évènement fondamental pour la convergence stratégique des Etats membres mais également pour la politique de défense et de sécurité européenne, ou pour l’ambition spatiale de l’UE. La Commission entend s’assurer que les 27 Etats membres partagent une compréhension commune des opportunités et des menaces spatiales, comme elle l’a fait avec le numérique, et agissent en conséquence face aux puissances concurrentes, étatiques ou privées.
Parmi les pistes avancées, la Commission envisage d’abord une législation européenne pour renforcer le niveau de sécurité et de résilience des opérations et services spatiaux dans l’UE. Elle soumettra également une feuille de route visant à réduire les dépendances stratégiques à l’égard des technologies essentielles pour les projets spatiaux en cours et futurs. Des actions sont aussi attendues pour assurer à l’UE et à ses Etats membres un accès autonome durable à l’espace. L’intégration de l’Espace dans la définition des outils de défense et de sécurité européens devrait être systématisée. Enfin, la Commission promeut le dialogue et l’adoption de règles de comportement responsables au niveau international.
On ne peut que saluer l’ambition et les efforts déployés par le Haut Représentant Josep Borrel et le commissaire Thierry Breton dans l’élaboration de cette stratégie. Les objectifs sont à la hauteur des enjeux. Mais il faut désormais joindre les actes à la parole. De quoi l’UE a-t-elle besoin pour arriver à ses fins ?
Tout d’abord de financements ambitieux et de dispositifs de financement agiles pour soutenir l’innovation et favoriser le développement d’acteurs privés en soutien des politiques publiques. Le dire est une évidence, mais c’est une évidence toujours utile. C’est une des conditions essentielles du maintien de l’Europe dans le peloton de tête des puissance spatiales. Ce sera l’objet des négociations du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE.
D’une gouvernance plus efficace ensuite. La complexité est encore de mise entre trop d’acteurs. Même si des progrès ont été réalisés avec la signature en 2021, sous l’égide de Thierry Breton et de Josef Aschbacher1, du Financial Framework Partnership Agreement qui régit les relations entre l’UE et l’ESA, il est nécessaire de continuer à réfléchir à l’articulation des compétences et des pouvoirs entre l’UE et l’ESA, mais également avec les Etats membres et leurs agences nationales. La duplication ou la dispersion des efforts serait néfaste. Entre intégration et dispersion, il y a sans doute un chemin à trouver.
Pour réussir, la Stratégie spatiale européenne doit aussi mobiliser l’ensemble des acteurs européens du secteur, notamment privés. Tous les grands chantiers politiques européens (RGPD, quotas carbone, travailleurs détachés, Digital Markets Act et Digital Services Act, etc.) ont abouti grâce à l’adhésion des entreprises européennes. L’Espace n’échappera pas à la règle : pour asseoir sa souveraineté dans le domaine spatial, l’UE doit emmener avec elles les acteurs européens du secteur.
Les défis sont nombreux mais l’UE et les Etats membres ont affiché leur volonté politique. Comme le déclara le président Kennedy dans son discours sur l’ambition spatiale des Etats-Unis à une session conjointe du Congrès le 25 mai 1961 : « Si nous ne faisons que la moitié du chemin, ou si nous réduisons nos ambitions face aux difficultés, je pense qu’il vaudrait mieux ne pas y aller du tout ».
Michel Friedling, ancien général et premier Commandant de l’Espace de 2019 à 2022, cofondateur et dirigeant de la spacetech Look Up Space. ■