Le commandement de l’espace a été créé en 2019. Pourquoi ce commandement distinct au sein des armées ?
Face à l’accélération des évolutions impactant le domaine spatial, le Président de la République fait de l’espace un enjeu de sécurité nationale le 13 juillet 2018 et demande au ministère des Armées la rédaction d’une nouvelle stratégie spatiale de défense (SSD). Cette dernière est rendue publique un an plus tard déclinant une feuille de route préconisant notamment de rassembler l’expertise au sein d’une nouvelle entité au service de la cohérence, de l’efficacité opérationnelle, de la visibilité et de la simplicité de l’organisation spatiale militaire. Mis en œuvre par du personnel des trois armées, civils comme militaires, le commandement de l’espace (CDE) est ainsi créé en septembre 2019, au sein de l’armée de l’Air qui devient à cette occasion « armée de l’Air et de l’Espace ».
L’un des principaux enjeux du CDE réside dans la montée en puissance des opérations spatiales militaires. Aujourd’hui mises en œuvre depuis Paris, ces opérations devront l’être dès 2025 depuis Toulouse, dans un bâtiment dédié, avec de nouveaux moyens et par du personnel formé et entraîné à de nouvelles missions. Ces missions concernent non seulement l’appui spatial aux opérations militaires mais également la protection de nos intérêts spatiaux. Face aux menaces émergentes, il est d’ailleurs nécessaire de se préparer à protéger aussi les moyens à usage dual, au travers de ce que la SSD qualifie de « défense active ». C’est l’enjeu de la montée en puissance du CDE, commandement concentrant l’expertise du spatial militaire français au service des opérations menées pour ce nouveau domaine de conflictualité qui réclame de nouveaux savoir-faire.
Est-ce la fin de l’espace comme « univers de paix » ? Va-t-on vers une arsenalisation de l’espace ? De quelles menaces parle-t-on ?
La SSD est claire à ce sujet, l’objectif n’est pas de tendre vers une arsenalisation de l’espace (traduction du terme Weaponization) mais au contraire de l’éviter. La France promeut l’usage pacifique de ce « bien commun » de l’humanité, sans naïveté face aux agissements des compétiteurs. Ainsi, la protection de nos intérêts spatiaux par des moyens militaires s’inscrit dans le respect du droit international et le développement de la coopération opérationnelle dans le domaine spatial. En parallèle, la France et ses alliés encouragent l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de normes de comportement responsable qui permettraient d’améliorer la transparence des actions menées dans l’espace et d’éviter tout risque d’escalade.
Le milieu spatial est en effet une « zone grise » où l’attribution d’une action est délicate, à l’instar du Cyber. Cette zone grise facilite la mise en œuvre de stratégies hybrides, sous le seuil de conflictualité, rendant la compréhension de l’environnement spatial particulièrement exigeante en termes de moyens et de compétences. De nouvelles menaces émergent dans cette zone grise. Classées de plus à moins réversible dans leurs effets, elles comprennent le brouillage des communications entre le satellite et sa station-sol, la menace Cyber, les lasers opérés depuis le sol (aveuglant voire neutralisant), les menaces co-orbitales (capables de s’arrimer à un satellite-cible), les missiles anti-satellites, etc. Nos compétiteurs avancent dans ce domaine et le temps joue contre nous. Le jalon 2025 revêt dès lors une importance toute particulière : la prise en compte de ces menaces réclame une doctrine pouvant aller jusqu’à l’usage de la force, les moyens correspondants, des compétences, une infrastructure dédiée et un soutien adapté.
Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste aujourd’hui la stratégie française de défense spatiale ? Comment s’intègre-t-elle à la stratégie européenne annoncée très récemment ?
La stratégie spatiale de défense française est fondée sur une analyse renouvelée de l’environnement spatial, de ses risques, de ses menaces et de ses opportunités. Elle reconnait l’espace extra-atmosphérique comme un milieu à part entière avec ses enjeux propres mais également comme un domaine de rivalité et de possible confrontation. Elle définit deux objectifs principaux : le renforcement de l’autonomie stratégique et la garantie d’accès et d’action dans l’espace. Cette stratégie s’inscrit, comme voulu par le Président de la République, dans une forte dimension européenne. Ainsi, le périmètre des intérêts que la stratégie spatiale de défense vise à protéger et à défendre n’est pas limité « aux satellites militaires français, mais peu[t] inclure [… ] les satellites de l’Union européenne ».
La stratégie spatiale de l’Union européenne pour la sécurité et la défense qui s’inscrit dans le cadre de la Boussole stratégique adoptée sous la présidence française du Conseil de l’UE était appelée de nos vœux : en tant qu’acteur spatial de premier plan, et opérateur de systèmes dont la criticité est croissante (Galileo, IRIS2), l’Union devait se doter dans ce domaine d’une vision commune de long terme, ambitieuse et concrète.
Avec la communication conjointe publiée le 10 mars dernier et les conclusions du Conseil qui suivront au second semestre 2023, l’Union européenne se dote d’une base de compréhension commune du domaine spatial de sécurité et de défense.
Fondée sur une analyse de la menace cohérente avec la vision française, la stratégie de l’Union propose les grands principes de son organisation dans ce domaine et prévoit :
• de confirmer la mise en place de nouvelles capacités pour renforcer son autonomie stratégique,
• de renforcer la résilience des systèmes spatiaux européens,
• d’organiser la réponse européenne face aux menaces spatiales,
• de développer les partenariats avec les acteurs hors UE.
Cette stratégie est également l’occasion d’un dialogue renforcé entre l’Union et les Etats membres, qui sont parties prenantes et contributeurs. La France, qui fait partie des grandes nations spatiales, entend pleinement contribuer à sa mise en œuvre, en pleine cohérence avec sa stratégie spatiale de défense nationale.
Dans ce contexte, quelles sont alors aujourd’hui les missions du commandement de l’espace ? Quelles sont ses prérogatives ?
Organisme à vocation interarmées, le commandement de l’espace est chargé de l’établissement et de la mise en œuvre des opérations spatiales militaires, de coopérations avec nos partenaires internationaux et de contribuer à l’amélioration des capacités de son domaine. Ce dernier point consiste à renouveler, en les améliorant, les équipements spatiaux d’appui aux opérations (télécommunications, télédétection, positionnement, navigation et référence temporelle et surveillance de l’espace), développer de nouvelles capacités (action dans l’espace) et intégrer les opérations spatiales aux opérations militaires grâce à de nouveaux moyens d’aide au commandement.
L’espace est un secteur hautement technique qui nécessite des compétences particulières. Comment voyez-vous la coopération entre tous les acteurs, institutions et industriels ?
L’espace est un milieu à part entière qui réclame des compétences évoluant au rythme soutenu de l’adaptation à ce milieu des percées technologiques issues du numérique. La France est une nation pouvant s’appuyer sur une expertise reconnue, concentrée dans la région toulousaine, principal pôle du spatial européen. C’est pour cette raison que le CDE s’est installé depuis 2021 (aujourd’hui dans des locaux temporaires, en 2025 dans un nouveau bâtiment) auprès de son premier partenaire : le Centre national d’études spatiales (CNES). Pour réussir sa montée en puissance, le CDE s’appuie sur le CNES pour gagner en compétences et être capable d’opérer à terme les satellites militaires, dont les moyens d’action dans l’espace.
Le domaine spatial est par nature dual et le CDE s’appuie également sur les acteurs industriels français qui constituent des partenaires de premier plan au service des opérations. Le CDE dispose ainsi de services spatiaux qui viennent compléter nos moyens patrimoniaux de surveillance spatiale. Certains industriels sélectionnés ont également vocation à contribuer aux opérations au sein d’une cellule dédiée, placée au plus près des opérateurs militaires.
L’articulation avec nos partenaires institutionnels et industriels fait l’objet d’un volet spécifique mis en œuvre lors de l’exercice spatial militaire AsterX dont la troisième édition s’est déroulée en février 2023 au Centre Spatial Toulousain. Cet exercice, qui reste unique en Europe, vise à entraîner le CDE aux opérations spatiales militaires, dans un environnement simulé mais réaliste. Il permet au CDE d’améliorer son interopérabilité, enjeu primordial pour le succès des opérations. ■