Le temps de l’espace « environnement pacifique, sûr, stable et durable, à l’abri d’une course aux armements et de conflits » est bel et bien révolu semble-t-il. Le 10 mars dernier, le commissaire européen Thierry Breton et le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la sécurité Josef Borel ont rendu un document d’une vingtaine de pages présentant les grandes lignes de ce que sera la stratégie spatiale pour la sécurité et la défense de l’UE. Une première étape pour déjà tenter de rattraper le retard pris par l’Europe sur le sujet qui arrive loin derrière des pays comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine qui ont depuis longtemps déjà intégré ce principe dans leurs politiques. Rappelons toutefois que sur le sujet, la France n’était pas la dernière (pour une fois) : elle a créé en 2019 un commandement de l’air et de l’espace et a présenté sa propre Stratégie spatiale de la défense la même année. Et sous l’impulsion du président Macron, l’espace a été élevé au rang de priorité de la présidence française de l’Union européenne en 2022. « Sans maîtrise de l’espace, il n’y a pas de souveraineté technologique, industrielle ou économique, pas de connaissance fine des grands enjeux environnementaux, pas de puissance capable de maîtriser son destin » assenait à l’époque Emmanuel Macron. L’espace est ainsi devenu en peu de temps, et par la force des choses, un lieu d’affrontements possibles dans lequel l’Europe ne pouvait se tenir éloignée plus longtemps. Présente avec des programmes civils ambitieux comme Gallileo, Copernicus ou la future constellation Iris2, l’Europe qui a toujours défendu une vision civile de l’espace a revu sa position en déclarant vouloir assurer la protection et la tranquillité d’usage de ses satellites. Sans citer expressément de pays, la commission dans son document justifie ce revirement de doctrine par l’existence d’armes anti-satellites détenues par certains Etats (En 2021, la Russie a détruit l’un de ses propres satellites pour montrer ses capacités). Destruction mais aussi espionnage, neutralisation, présence accrue, éjection d’une orbite comme la Chine a démontré savoir le faire sont désormais le quotidien d’un espace devenu « un domaine de plus en plus contesté ».
Selon la Stratégie spatiale européenne, la défense spatiale qui va être mise en œuvre par l’UE doit être maintenant en capacité de répondre aussi bien à des « risques pour la sécurité » qui peuvent être des « hasards naturels » (accidents, incidents techniques) qu’à des « menaces spatiales » qui sont des « activités intentionnellement hostiles ». Le document de la commission liste ces « capacités de neutralisation spatiale » qui « peuvent prendre de nombreuses formes différentes » (attaques directe sur le satellite, sur les infrastructures au sol, brouillage électronique, laser, infiltration des réseaux de communication de l’engin spatial, cyberattaques, etc.). Chaque année, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité présentera une analyse classifiée des menaces spatiales. Conscient que la communication entre les états membres et l’échange d’informations sont bien la clé de l’efficacité de cette stratégie, l’Europe prévoit de créer d’ici la fin de l’année un Centre de partage d’information et d’analyse, en collaboration avec l’ESA. Pour faciliter encore un peu plus les échanges d’information, Bruxelles entend présenter aussi vite que possible une loi européenne sur l’espace (EU Space Law).
Dépassant le cadre civil, l’UE prévoit que ses programmes spatiaux seront désormais développés de façon duale, sous un angle civilo-militaire. « Tout en respectant la nature civile des programmes spatiaux de l’UE, des règles spécifiques et adaptées pour la fourniture de services, d’applications et de données sensibles du point de vue de la sécurité seront établies afin d’assurer le niveau de confiance approprié pour les utilisateurs des secteurs de la sécurité et de la défense (par exemple des droits prioritaires et le contrôle d’accès - y compris dans le contexte des opérations militaires, l’anonymisation des demandes, la restriction de la politique de diffusion) » détaille le document de la commission. À l’horizon 2035, la Commission prendra également en compte les besoins militaires pour les « services de défense basés sur l’espace ». ■