Notre jeunesse ne veut plus se mouler dans des emplois à vie : nous lui devons plus de souplesse et de changements dans les carrières. La pile des près de 350.000 articles législatifs et réglementaires auxquels doivent se conformer sur le terrain, citoyens, fonctionnaires et entreprises, explique en grande partie l’épuisement de l’engagement. Nos codes, nos contrôles et nos 1800 formulaires CERFA brisent trop souvent des existences entrepreneuriales, l’élan des élus locaux et l’enthousiasme des serviteurs du service public.
Parce qu’il n’y a pas de fatalité et que les comptes de la France ne peuvent plus attendre, nous en appelons à alléger une bonne fois pour toutes la charge bureaucratique accumulée dans le pays. Nous devons résolument reprendre le fil réformateur de la transformation de l’État. Surtout, ne plus le lâcher.
Existe-t-il une nouvelle recette à un problème souvent posé mais si structurellement ancré ? Les cuisines de la transformation administrative sont remplies de marmites vite refroidies.
L’époque n’est certes plus à la réduction simpliste et martiale du nombre de fonctionnaires. Elle n’est pas non plus au défaussement et à la procrastination. La méthode prometteuse d’Action publique 2022 lancée dans le quinquennat précédent s’est heurtée aux revendications des Gilets jaunes et à la pandémie. Ces crises ont pourtant souligné la nécessité d’une action publique plus efficace, qui va au-delà des logiques de guichets mutualisés – même si on peut citer le grand succès des maisons France services - ou des projets internes aux ministères.
Un État qui sait dire stop à l’engraissement administratif saura dire non à la fuite en avant de ses dépenses publiques. Une transformation en profondeur peut générer jusqu’à 15 milliards d’économies pour nos finances publiques si nous nous y attelons avec volonté et humilité. Nous proposons donc un contrat de méthode à débattre avec les forces politiques du Parlement. Dans une savoureuse satire de la bureaucratie, Balzac écrivait en 1838 : « La France allait se ruiner malgré de si beaux rapports et disserter au lieu d’agir ». Pour sauvegarder nos comptes et libérer les énergies, faisons de ces constats de véritables actions en commun !
Il n’y aura pas de baisse durable des dépenses publiques sans assumer un changement de culture de long terme. Il appartient à la Nation de faire fi des considérations partisanes, de construire un consensus et un volontarisme politique durables de la sobriété administrative. Partout dans la sphère publique, le principe de la confiance doit dominer la peur du contrôle.
Les mutations, les investissements à venir pour notre école, notre hôpital, la transition écologique ne se feront pas en augmentant les impôts. Il faut réinventer notre méthode pour faire croître les recettes de l’Etat.
Cette révolution peut commencer dès maintenant dans nos communes. Exemptons nos villes et villages du droit de regard systématique des Préfets pour les laisser vivre et les accompagner dans leurs projets, notamment d’urbanisme qui représentent 30 % de leurs décisions. Nous proposons des « territoires zéro contrôle » où les maires n’auraient plus d’épée de Damoclès permanente au-dessus d’eux, mais auront à répondre de leurs décisions au mitan de leur mandat. La logique de cette expérimentation pourrait aboutir à un vrai choc de décentralisation avec la suppression du contrôle de légalité des collectivités locales lors d’une révision de notre Constitution.
La simplification doit être portée dans le quotidien de l’action publique. Ainsi, chaque norme créée pour les besoins de l’époque doit entraîner la suppression de trois normes de contrainte équivalente. Oui, la location des passoires thermiques est un non-sens social et écologique. Mais dans ce cas, nous devrions pouvoir supprimer 3 des plus de 4000 normes qui freinent l’acte de construire en imposant des logements totalement uniformes ou en interdisant de bâtir son domicile dans son village familial.
Sur le modèle de ceux concernant la déontologie ou la laïcité, nous proposons que chaque service se dote d’un référent chargé de la simplification administrative, avec la cible d’une économie d’un milliard d’euros d’ici à 2027, ce qui est absolument réaliste lorsque l’on réfléchit à l’échelle de chaque ministère. Il reviendrait à ce référent d’être à l’écoute de ses collègues et des usagers pour, dans un rapport d’étonnement permanent, relever les errements organisationnels qui peuvent être corrigés à droit constant. Avec des marches à 250 puis 500 et 750 millions d’euros avant d’atteindre 1 milliard d’euros en 2027, peut être projetée une économie de 5,5 milliards d’euros d’ici à 2030.
Rappelons-nous aussi qu’en matière d’économies budgétaires, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Dès le prochain budget, commençons par passer en revue les 438 opérateurs de l’État qui concentrent plus de 400.000 emplois publics et dont les missions se recoupent parfois entre-elles. Passons en revue les 314 commissions et instances consultatives dont un bon tiers est en sommeil. Nous en calculons pour la première fois le coût total, à savoir 21,02 millions d’euros pour 2021, car jusqu’ici les annexes budgétaires retenaient une présentation sans aucun agrégat. Encore, ce montant est-il inférieur à la réalité, puisqu’il ne correspond qu’au défraiement des participants aux réunions et aux coûts afférents aux menues tâches comme la reprographie, mais il exclut le fait qu’une certaine quotité de travail est assurée par des agents publics pour leur secrétariat. Avec une hypothèse pédagogique, nous calculons que le coût de ces structures bondirait à 33,4 millions d’euros par an.
Une économie d’un tiers semble donc réalisable : par exemple, 37 de ces commissions ne se sont pas réunies en 2021 (comme le conseil consultatif de gestion du corps des administrateurs des postes et télécommunications, ou encore le comité d’histoire des ministères chargés de la jeunesse et des sports) et 86 ne l’ont pas fait depuis 2019. Cela correspond à un gain annuel de 11,1 millions d’euros, soit 77,7 millions d’euros d’ici à 2030.
Une seconde source de dépenses pouvant être rationalisée est celle des opérateurs de l’État. Cette catégorie regroupe 438 structures au statut très divers.
Là aussi, une rationalisation des missions, donc, répétons-le, un gain de temps et d’efficacité pour les agents et les usagers, doit être conduite et nous fixons l’ambition d’une économie de 3,89 milliards d’euros d’ici à 2030, avec des jalons à 140, 280, etc. millions d’euros Réduisons les 7 millions de mètres carrés de bureaux publics non utilisés à l’heure du télétravail et des locaux partagés.
Enfin, charité bien ordonnée commençant par nous-mêmes, généralisons un « simpliscore » des propositions de loi et d’amendements déposés par les parlementaires. Les parlementaires doivent aussi faire leur examen de conscience et se prémunir de toute schizophrénie bureaucratique.
Rappelons que l’effort pour passer d’un déficit public de 4,7 points de PIB à 3 points implique une économie de l’ordre de 45 milliards d’euros : notre rapport y contribue donc pour un tiers. Les deux derniers tiers pourraient être trouvés dans le double programme de lutte contre la fraude fiscale et sociale annoncé il y a quelques jours par le ministre Gabriel Attal que le Parlement aura tout le loisir d’enrichir, ainsi que par une nouvelle vague de décentralisation que nous appelons de nos vœux.
Loin de toute démagogie, nous avons souhaité formuler des propositions réalistes, opérationnelles et, nous y tenions, indolores pour nos concitoyens, à rebours des périodes d’austérité. ■
* Auteurs d’un rapport sur la rationalisation de l’administration comme source d’économies budgétaires présenté le 7 juin 2023