Parce que la fraude « est un impôt caché sur les Français qui travaillent », le ministre délégué chargé des comptes publics a dévoilé les principales mesures d’un plan de lutte contre la fraude sociale qui coûterait « entre 6 et 8 milliards d’euros par an ». Ce plan intervient trois semaines après des annonces dans la lutte contre la fraude fiscale. Ainsi, le gouvernement a décidé d’accélérer estimant que la lutte contre les fraudes sociales est « un impératif d’équité autant qu’un enjeu financier pour les comptes sociaux », avec des objectifs ambitieux annoncés d’ici la fin du quinquennat.
En matière de redressement de cotisations et contributions sociales, l’objectif est notamment fixé à 5 Mde sur le quinquennat, « soit un doublement des résultats entre 2022 et 2027 (1,5 Mde en 2027, contre 0,8 Mde en 2022) » indique Gabriel Attal. En matière de prestations de santé, l’objectif de 500 Mde de préjudice détecté et évité devrait être atteint dès 2024, soit un doublement par rapport à la moyenne du précédent quinquennat. « Les contrôles ciblés seront renforcés sur les professionnels de santé présentant des niveaux de prescriptions hors norme » précise le ministre délégué qui rappelle que « dans 70 % des cas, la fraude est à l’initiative d’un professionnel de santé par surfacturation ou par facturation d’actes fictifs ». En matière de lutte contre la fraude, le gouvernement compte également s’appuyer sur la vigilance des Français. D’ici 2025, chaque Français pourra recevoir sur son smartphone via l’application Ameli, par un sms ou un email, une notification des frais de santé facturé en son nom, en commençant par les centres de santé dentaires et ophtalmologiques souvent pointés du doigt pour des dépassements injustifiés. Un programme national de contrôle des arrêts de travail sera lancé par l’assurance maladie dès la rentrée 2023. Il visera à mieux repérer les fausses déclarations d’accident du travail, notamment celles qui sont vendues sur des réseaux sociaux, ainsi que les prescripteurs atypiques. Dans le cadre des contrôles réalisés par l’assurance maladie notamment pour la prise en charge du « 100 % Santé », les coopérations avec les complémentaires santé seront renforcées.
En matière d’allocations sociales, Gabriel Attal fixe un objectif de 3 Mde de préjudice détecté et évité par les CAF et les caisses de retraite sur le quinquennat. La lutte contre la fraude à la résidence représentera notamment « un gain de 100 Me pour les CAF ». L’ensemble des dossiers de retraités de plus de 85 ans résidant dans un pays étranger sans échange d’état-civil avec la France feront l’objet d’un contrôle sur place d’ici la fin du quinquennat. « Ce programme permettra d’assurer qu’aucune pension de retraite ne continue d’être versée après le décès de son titulaire, hors réversion à bon droit ». En vue d’assurer un meilleur contrôle du versement des prestations sociales, le ministère mise sur un renforcement des croisements de données. Les caisses de sécurité sociale pourront notamment accéder aux données de voyage du fichier « Passenger Name Record (PNR) » pour contrôler la condition de résidence en France, mais aussi aux données bancaires du fichier FICOBA pour vérifier automatiquement l’identité bancaire des allocataires de prestations. Les caisses pourront aussi avoir accès aux données des préfectures pour interrompre le versement de prestations à des étrangers dont le titre de séjour aurait été retiré, notamment pour des motifs d’ordre public. Sur ces questions, la Cnil devrait être saisie. « En outre, précise le ministère délégué, la condition de résidence en France pour bénéficier des prestations familiales, des aides au logement et des minima sociaux sera harmonisée à 9 mois par an » contre six mois aujourd’hui pour les allocations familiales ou le minimum vieillesse et huit mois pour les APL. « Progressivement d’ici 2025, les formulaires de demandes de RSA (fraude estimée à 1,2 Mde) ou de prime d’activité seront automatiquement préremplis » indique même Gabriel Attal.
Enfin, plus aucune prestation sociale soumise à condition de résidence sur le territoire français ne pourra être versée sur un compte étranger hors d’Europe à compter du 1er juillet prochain, conformément à la mesure votée en LFSS 2023. « À partir du 1er janvier 2024, les fraudeurs payeront 10 % de pénalité en plus, correspondant aux frais de dossier, car il est hors de question que les Français payent pour la fraude de ceux qui trichent » a indiqué le ministre délégué dans un entretien au Parisien qui note qu’un million de pensions sont versées à l’étranger, dont la moitié hors d’Europe, et 300 000 rien qu’en Algérie.
Gabriel Attal a encore annoncé une mission de préfiguration pour examiner la fusion entre la carte nationale d’identité et la carte vitale, « comme c’est le cas en Belgique, au Portugal, en Suède ». « On peut imaginer un modèle où, à compter d’une certaine date, quand vous refaites votre carte d’identité, cela devient automatiquement votre carte vitale » a précisé le ministre devant les journalistes avant d’enchaîner : « Depuis cinq ans, nous avons désactivé 2,3 millions de cartes Vitale en surnombre. L’enjeu, désormais, ce sont les cartes Vitale utilisées pour du tourisme médical illégal. Des personnes venant en France et utilisant la carte Vitale de quelqu’un d’autre pour des soins ». Et si le projet a suscité quelques doutes, un communiqué commun du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, du ministère de la Santé et de la Prévention et du ministère délégué aux Comptes publics est venu confirmer qu’une mission d’inspection commune (IGA, IGF, IGAS) « va être lancée très prochainement afin de travailler à la mise en œuvre technique et juridique de la fusion de la Carte Nationale d’Identité et de la Carte vitale ». L’idée d’une carte Vitale biométrique semble donc désormais abandonnée, sans doute pour des questions de coût.
Pour mener à bien ce vaste plan de lutte contre les fraudes, Gabriel Attal a annoncé que les effectifs des caisses de sécurité sociale dédiés à cette lutte seront renforcés de 1000 ETP qui seront recrutés d’ici 2027, « cela représentera une augmentation de 20 % de ces effectifs ». Ils viendront en complément des 450 cyber-enquêteurs dotés de prérogatives de police judiciaire. A tout cela s’ajoute un grand plan de modernisation des systèmes d’information des caisses de sécurité sociale de 1 Mde de crédits d’investissement sur le quinquennat.
« En 2027, nous aurons deux fois plus de résultats qu’en 2022. On approcherait des 3 milliards d’euros redressés » assure avec confiance Gabriel Attal. ■
Le ministre des affaires étrangères comorien soupçonné de fraude aux prestations sociales françaises
L’affaire ne date pas d’hier mais elle vient de connaitre un nouveau rebondissement avec l’ouverture d’une enquête préliminaire par la justice française.
En 2020, le journal de l’île de La Réunion révélait que Dhoihir Dhoulkamal, le ministre comorien des affaires étrangères et son épouse avait bénéficié de prestations sociales françaises comme la couverture médicale universelle (CMU), le revenu de solidarité active (RSA), les allocations familiales, l’allocation logement ou encore la prime de rentrée et la prime de Noël. L’enquête ouverte par le parquet de Saint-Denis à La Réunion a estimé le montant du préjudice à 251 500 euros. La fraude remonterait à 2015 et peut être même 2010. Pour pouvoir bénéficier de ces prestations, le ministre aurait caché ses salaires – député des Comores en 2015, il a occupé plusieurs fonctions jusqu’à devenir ministre d’Anjouan en 2020. « Les déclarations trimestrielles ainsi que les différentes demandes de prestations mentionnent une absence d’activité, ainsi que des revenus nuls » indique un rapport, consulté par Le Monde. « Des incohérences sur les états civils et les numéros de Sécurité sociale » de ses enfants sont également apparues au cours de l’enquête.
Le ministre comorien avait rencontré récemment son homologue Catherine Colonna mais également Gérald Darmanin pour négocier une sortie de crise après la vaste opération de lutte contre la délinquance et l’immigration clandestine à Mayotte lancée dernièrement par la France.