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Retrouver des ressources pour financer les soins à l’hôpital et en ville

Par Brigitte Dormont, économiste, professeure à l’Université Paris Dauphine-PSL

Les comptes de la santé présentés au mois de septembre éclairent l’actuel projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ces comptes permettent d’analyser les résultats pour 2022 au regard des tendances longues à l’œuvre jusqu’en 2019 avant la crise de la Covid-19.

En 2022, la consommation de soins et de biens médicaux a augmenté de 3,9 % en valeur, une croissance plus dynamique qu’avant la crise sanitaire. Le cas des soins hospitaliers attire l’attention : ils sont en 2022 le premier contributeur à la croissance des dépenses, mais leur croissance recouvre en fait une baisse des volumes de soins, accompagnée d’une forte augmentation des prix. Cette augmentation reflète les mesures adoptées pour restaurer l’attractivité de l’hôpital public : revalorisation du point d’indice et des rémunérations des gardes et des astreintes. Ces revalorisations semblent porter quelques fruits, puisque les directeurs d’hôpitaux parlent d’une légère diminution du nombre de postes vacants. Mais on est loin du compte, et la diminution des volumes de soins délivrés à l’hôpital public signale vraisemblablement des pénuries créées par la fermeture de lits, faute de personnel soignant. Depuis des années, les observateurs du système de soins voyaient venir cette crise provoquée par une austérité budgétaire continue imposée à l’hôpital public.

Pourquoi l’Ondam a-t-il créé une telle pénurie ? De fait, les économies demandées pour les dépenses publiques de santé prises dans leur ensemble furent modérées en France, mais à l’intérieur des dépenses de santé, les efforts demandés à l’hôpital ont été importants. L’étranglement budgétaire de l’hôpital est une conséquence indirecte de l’incapacité du système de soins français à maitriser la dépense en ville. Dans notre système, en effet, les soins en ville sont payés à l’acte et couverts par des remboursements réalisés a posteriori sur la base de tarifs fixés. Aucun mécanisme n’est là pour maîtriser la dépense. En pratique, il y a souvent un dépassement de l’Ondam de ville. Pendant des années, ce dépassement a été apuré en puisant dans le budget de l’hôpital. Concrètement, à partir de 2010, le respect de l’Ondam fut obtenu par une amputation sous la forme de réserves de l’enveloppe votée pour l’hôpital, réserves utilisées ultérieurement pour financer les dépenses non prévues en médecine de ville. Ces vases communicants budgétaires ont constitué une facilité à la fois technique et politique, qui permettait d’éviter les sujets qui fâchent du côté de la médecine de ville.

Au cours des années 2010, la menace s’est précisée avec des budgets de plus en plus serrés car, en plus de l’amputation de l’Ondam hospitalier par les réserves, l’enveloppe proposée par les différents PLFSS était toujours inférieure aux dépenses prévues, des restrictions justifiées par l’hypothèse que des gains d’efficience sont toujours possibles. En plus de la baisse du pouvoir d’achat de leurs rémunérations, commune à tous les agents publics, les personnels hospitaliers ont vu leurs conditions de travail se dégrader du fait de la diminution des moyens. Un seuil a été franchi à l’automne 2019, lorsque des difficultés à recruter ont été observées. Au-delà des réductions de capacités planifiées, des lits ont été fermés à cause de l’impossibilité de recruter aux salaires proposés. Un cas emblématique était celui de la pédiatrie en Île-de-France, dont un quart des lits ont été fermés.

Les responsables politiques ont désormais pris conscience de la crise d’attractivité de l’hôpital. Les mesures du Ségur et celles prises sur les rémunérations en 2022 furent suivies d’autres revalorisations en 2023, confirmées pour 2024. Les montants ne sont pas négligeables : 2,8 Mde en année pleine, dont déjà 1,9 Mds e en 2023, même si les revalorisations sont érodées par l’inflation.

Mais les problèmes de l’hôpital ne portent pas que sur les salaires. Plusieurs collectifs de soignants réclament une norme de qualité liée à un ratio minimal de soignants par patient. Ils soulignent que l’enjeu est la qualité des soins et la motivation à travailler dans des conditions permettant d’éviter le risque d’accidents thérapeutiques, une proposition reprise par un vote du Sénat en février dernier. Après des années de restrictions budgétaires, on peut penser que les gains d’efficience sur les fonctions support ont trouvé leur limite. Les seules baisses de coût possibles porteraient encore sur la réduction du nombre de soignants par patient, ce qui ne pourrait que dégrader la qualité du service rendu et décourager davantage les soignants.

Dans ce contexte, le PLFSS prévoit-il une amélioration des budgets des hôpitaux pour 2024 ? Certes, la croissance de 3,2 % proposée pour l’Ondam hospitalier dépasse l’inflation anticipée (2,6 %). Mais une fois encore, cette croissance est inférieure aux évolutions prévues pour les dépenses. Des efforts sont demandés à l’hôpital à hauteur de 0,5 Mde pour « renforcer l’efficience ». La même logique est à l’œuvre depuis plus d’une décennie : l’Ondam propose une augmentation de budget inférieure aux prévisions d’évolution “spontanée” de l’enveloppe nécessaire pour les soins hospitaliers. Avec cette nouvelle restriction budgétaire, il est difficile d’envisager un retour à une organisation du travail soutenable pour les soignants qui pourrait restaurer véritablement l’attractivité de l’hôpital. Sans aller aussi loin dans leurs ambitions, les directeurs de CHU ont publié un communiqué déclarant que l’inflation et les revalorisations salariales n’étaient pas intégralement compensées dans les budgets, et que des déficits très importants étaient prévisibles. Sans adhérer automatiquement aux termes d’un communiqué qui vise à alerter les pouvoirs publics, on peut lire dans le PLFSS les « efforts » qui sont demandés à l’hôpital, constater la récurrence, année après année, des restrictions budgétaires, et conclure que cela ne puisse créer que du déficit.

La rigueur maintenue pour l’hôpital peut être interprétée au regard du plafond d’augmentation des dépenses publiques recommandé par la Commission Européenne. Mais des déficits accrus peuvent aussi mettre la France en difficulté par rapport aux dispositions du pacte de stabilité. Pour l’hôpital, force est de constater que des marges de manœuvre ont été perdues à cause des retards accumulés dans la prise de conscience des problèmes d’attractivité, des déficits et des défauts d’investissement. Maintenant la croissance des budgets est en partie absorbée par les revalorisations salariales ! Il faudrait au moins éviter de creuser de nouveaux déficits et donc trouver des ressources pour l’hôpital.

Une autre source d’inquiétude est la question de l’accès aux soins primaires, avec un défaut d’engagement d’une partie des médecins sur la permanence des soins. La situation actuelle conduit à des inégalités d’accès aux soins mais aussi à des dépenses inutiles, à cause de recours aux urgences qui pourraient être évités. Après l’échec de la dernière convention médicale, la prévision des dépenses de soins de ville utilisée pour le PLFSS ne reprend que les conclusions du règlement arbitral. Or, les syndicats de médecins réclament un tarif de la consultation supérieur aux 26,5 euros proposés, qui correspondent pourtant à une augmentation substantielle de 6 %. Comme les négociations vont reprendre, de nouvelles dépenses vont être décidées, ne serait-ce que pour augmenter les rémunérations des généralistes. De ce point de vue, il est impératif de ne plus toucher au tarif de la consultation, mais de jouer plutôt sur des forfaits qui permettraient de mieux maitriser la dépense en ville et de rémunérer plus efficacement le service rendu à la population.

Où trouver des ressources pour restaurer l’hôpital et relancer les missions de la médecine de ville ? Le gouvernement a fait circuler l’idée d’un doublement des franchises qui rapporterait, d’après les annonces, 800 millions d’euros. Le PLFSS ne reprend pas cette idée, tout en laissant la porte ouverte à une décision ultérieure dans ce sens. Une telle mesure dégraderait le pouvoir d’achat des Français modestes, déjà sérieusement entamé par l’inflation sur l’énergie et l’alimentation. En outre ce sont les plus malades qui devraient dépenser plus, ce qui contreviendrait à la solidarité entre les malades et les biens portants, principe fondateur de la Sécurité sociale.

Pour dégager des ressources, la meilleure solution est de revenir sur les exonérations de cotisations sociales sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic. Les réductions de cotisations employeur visaient à réduire le coût du travail pour encourager l’emploi et la compétitivité. L’appliquer aux salaires supérieurs à 2,5 Smic était discuté au départ par nombre d’économistes, car il n’y a pas de problème de chômage pour les salariés très qualifiés et leurs salaires n’influencent pas la compétitivité. Cette politique a été évaluée par le Conseil d’analyse économique1, qui conclut que ces exonérations de cotisations n’ont eu aucun effet sur le chômage et la compétitivité, une conclusion corroborée par France Stratégie. Rétablir ces cotisations ferait revenir 2 milliards d’euros de cotisations à la Sécurité sociale, de quoi restaurer la confiance à l’hôpital et mieux organiser la médecine de ville. Cette solution est la façon la plus logique et la plus fondée par des arguments économiques pour retrouver des financements pour les soins à l’hôpital et en ville. 

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