“Pas grand monde n’aurait parié que ce texte, certes modifié, soit adopté, y compris avec une mesure de régularisation. Je m’en félicite” a souligné avec satisfaction, Gérald Darmanin à l’issue du vote. On ne donnait pourtant pas cher de l’adoption du projet de loi immigration par le Sénat à majorité de droite - « moins de 40 sénateurs » soutiennent l’action du gouvernement a justement tenu à rappeler le ministre de l’Intérieur -, et finalement, il a été largement adopté en première lecture par 210 voix pour contre 115.
Tout au long de la discussion, l’art du compromis a joué au Sénat entre le gouvernement, la droite et le centre. Sur plusieurs points et articles, le gouvernement a fait le choix d’un « avis de sagesse » tandis que la droite durcissait le texte un peu plus à chaque mesure (instauration de quotas migratoires, facilitation de l’expulsion des délinquants étrangers, resserrement du regroupement familial, rétablissement du délit de séjour irrégulier…). L’accord le plus inattendu a sans doute été celui qui a concerné le fameux article 3 sur la régularisation des travailleurs sans papiers et le renforcement de la circulaire Valls. Mais le débat a été particulièrement vif lorsqu’il s’est agi de supprimer l’aide médicale d’Etat (AME) et de la remplacer par l’aide médicale d’urgence (AMU). Sur cette question plus précisément mais d’autres également, le président du groupe RDPI (majorité présidentielle), Olivier Bitz s’est dit « heurté » qualifiant cette adoption « d’erreur grave en matière de santé publique ». Un avis tranché qui n’a pas empêché, le sénateur et son groupe d’avoir largement voté ce texte « fruit d’un compromis qui doit nous permettre d’avancer » tout en laissant finalement le soin aux députés de revenir sur plusieurs mesures. Si l’Assemblée est à la manœuvre, l’exécutif pourrait aussi s’appuyer sur le Conseil constitutionnel qui devrait, selon le ministre de l’intérieur « censurer » la mesure de suppression de l’AME.
« Le Sénat a redonné une cohérence au projet en le durcissant et en rejetant le +en même temps+ de la version gouvernementale » s’est félicité le président des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau. « L’immigration régulière se choisit : notre choix est celui d’une immigration économique qualitative, et d’une intégration de qualité. Et sur l’immigration irrégulière, c’est tolérance zéro. Il faut que les choses soient claires » a déclaré François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois lors de l’explication de vote en séance. Ainsi si la droite s’est réjouie d’avoir largement « musclé » le texte du gouvernement, sur les bancs de la gauche, les critiques ont été nombreuses et cinglantes. Pour le communiste Ian Brossat ce texte réécrit par la droite est « dur, cruel ». « C’est une honte absolue » s’est-il emporté. « Ce texte est indigne, il est le signe d’une dérive » a, à son tour, vivement critiqué l’écologiste Guy Benarroche. Colère aussi de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie qui déplore que « l’intégration a totalement disparu du texte (...) Avec ce texte, l’étranger n’est vu que comme une menace, un fraudeur ».
Le texte adopté, il lui reste maintenant à franchir l’obstacle de l’Assemblée où les députés macronistes entendent bien rééquilibrer le texte. « Nous reviendrons sur la suppression de l’AME ou encore sur le travail pour les demandeurs d’asile. Pour autant, ce qu’a fait le Sénat n’est pas de nature à compromettre un accord sur le texte » a déclaré le député du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre, un proche de Gérald Darmanin. A l’aile gauche de la majorité présidentielle, les propos ne sont pas les mêmes. On se veut plus combattifs comme l’a laissé entendre le président de la commission des lois, le député Renaissance Sacha Houllié bien décider à en découdre et qui a promis de revenir au « texte initial ». « Il faut rester dans l’esprit du texte initial. A insisté à son tour la députée du Maine-et-Loire Stella Dupont, donc toutes les mesures qui s’apparentent à un catalogue d’extrême droite doivent disparaître ».
Malgré toutes ces incertitudes, le gouvernement « va avec l’envie de discuter, l’envie de compromis, à l’Assemblée nationale » a assuré Gérald Darmanin. ■
Article 3, le Sénat remporte la mise… pour combien de temps ?
L’article 3 du projet de loi immigration qui prévoyait la régularisation des travailleurs clandestins dans les métiers dits « en tension » a été supprimé. Retour sur une séance houleuse au Sénat.
La majorité de droite du sénat n’en voulait pas ; elle a obtenu gain de cause après un accord obtenu difficilement avec les centristes, plutôt favorables à cet article 3. Ce fameux article du projet de loi immigration qui actait la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers dits « en tension » a été finalement supprimé par les sénateurs le 8 novembre dernier après l’adoption - 191 pour et 138 contre - d’un amendement de suppression présenté par la rapporteure LR du texte, Muriel Jourda. Les sénateurs LR voyaient dans cet article un risque de régularisation « massive » de sans-papiers. Si le gouvernement par la voie de son ministre de l’intérieur a trouvé « évidemment acceptable » l’amendement de suppression et a « entendu le compromis » trouvé au sein de la majorité sénatoriale, Gérald Darmanin n’a pas manqué de rappeler la volonté du gouvernement de « régulariser les personnes qui sont dans l’irrégularité et qui travaillent, même si leur employeur ne souhaite pas le faire ». Gérald Darmanin en a profité pour tacler Bruno Retailleau, en déclarant que finalement le chef de file des sénateurs LR « régularise plus de monde que nous l’aurions fait ». « L’article 3 était juste un article sur 48. Il ne méritait ni les bravos ni les hennissements » a-t-il ironisé. Une pique qui n’a pas plu à Bruno Retailleau qui a vivement réagi. « Monsieur le ministre, vous ne manquez pas d’air ! Vous voulez faire croire que le dispositif est l’équivalent de celui que vous proposiez. L’article 3 était un droit automatique et on le remplace par un durcissement de la circulaire. Votre dispositif, c’était des dizaines de milliers de régularisations. Le nôtre est tenable » a -t-il répliqué.
A gauche évidemment on a déploré la suppression de cet article qui « permettait au moins de commencer à sortir d’une forme d’hypocrisie qui fait que des milliers de personnes qui travaillent en France le font sans papiers et donc sans droit » a résumé le communiste Ian Brossat. « Ce projet de loi marchait sur deux jambes, celle des horreurs et celle des douceurs. Il est désormais amputé de cette jambe. La véritable nouvelle, c’est que vous préférez perdre l’honneur pour garder une loi que de perdre un vote et garder la face » s’est emportée l’écologiste Mélanie Vogel dépitée.
C’est donc un article 4 bis qui est venu remplacer l’article 3 supprimé. Il prévoit de durcir les critères prévus par la circulaire Valls entrée en vigueur en 2022 qui autorisait la demande de titre de séjour aux étrangers en situation irrégulière qui vivent en France depuis au moins cinq ans, qui ont travaillé au moins huit mois dans les deux dernières années et disposent d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche. L’article 4 bis inscrit dans la loi en la durcissant cette circulaire. Désormais c’est à « titre exceptionnel » et non plus « de plein droit » qu’un travailleur clandestin pourra prétendre à la régularisation. Il devra pour cela avoir travaillé pendant au moins douze mois sur les deux dernières années dans des « métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement ». Et pour se voir délivrer une carte de séjour de « travailleur temporaire » ou de « salarié » d’un an, il devra justifier d’au moins trois ans de résidence ininterrompue en France.