Depuis plusieurs jours, la tension montait doucement mais sûrement. Les députés Renaissance tentaient de se rassurer, jugeant que la motion de rejet ne serait finalement pas adoptée. Ils comptaient pour cela sur les députés LR qui jusqu’au dernier moment ont laissé planer le doute. Mais finalement, la motion de rejet présentée par les écologistes a su réunir dans un curieux ensemble hétéroclite et aux motivations bien diverses, l’ensemble des oppositions, des Insoumis au RN en passant par les socialistes et les LR qui ont fait basculer le vote. Il n’est pas loin de 18h00 lorsque le scrutin s’achève et que les résultats s’affichent sur les écrans : 270 voix pour la motion, 265 contre. Cinq voix de différence qui sont celles des cinq députés Renaissance qui ont manqué à l’appel (voir encadré). Sur les bancs de la Nupes et ceux du RN, en face, les députés se lèvent, applaudissent. Les LR se font plus discrets et affichent une joie contenue. Les députés Renaissances baissent la tête. Le ministre de l’Intérieur lève les bras au ciel. Pour Gérald Darmanin, l’échec est cuisant. Immédiatement, il quitte l’hémicycle pour se rendre à L’Elysée et remettre sa démission au président qui la refusera.
Au sein de la majorité présidentielle, la douche froide a du mal à passer tant ils ont du mal à réaliser ce qu’il vient de se passer. Ils partaient pourtant confiants surtout après la vote massif en commission des lois qui avait largement amendé le texte sénatorial. Jusqu’au dernier moment, ils n’ont pas douté. Ou si peu.
A l’ouverture des débats et des explications de vote, le ministre de l’Intérieur a fait face à un hémicycle des grands jours, plein. Gérald Darmanin a tenté de diviser et d’appeler les LR à faire preuve de discernement dénonçant « une alliance contre nature ». Le brouhaha est indescriptible. Le ministre hausse la voix : « La maîtrise des flux migratoires (…) est un débat que personne ne peut raisonnablement rejeter d’un revers de la main sans que l’Assemblée nationale ait pu en discuter au moins quelques instants ». « La discussion parlementaire (…) ne serait qu’un vaste marchandage visant à débaucher individuellement les nombreuses, très nombreuses voix qui vous manquent » lui répond le député écologiste Benjamin Lucas (Yvelines), qui portait la motion de rejet préalable. L’issue du combat est alors encore incertaine. On s’agite sur tous les bancs de l’hémicycle, on marchande, on quémande un vote. Yaël Braun-Pivet qui ne souhaitait pas voter au regard de sa position institutionnelle est finalement fortement invitée à prendre part au vote par un Gérald Darmanin fébrile.
Alors que la rapporteur général du texte, Florent Boudié prend la parole, les députés LR quittent l’hémicycle pour arrêter une position de vote commune. En dépit de discussions animées, elle sera relativement franche et en faveur de la motion de rejet. Sur 62 députés que compte le groupe LR, 53 étaient présents et 40 ont voté la motion de rejet, 11 se sont abstenus et 2 ont voté contre. Nombreux sont ceux chez les Républicains à avoir peu goûté aux manoeuvres du ministre de l’intérieur comme lorsqu’il a proposé de réformer l’AME courant 2024. Cela n’aura pas suffi. « Darmanin a berné le Sénat, s’agace Hubert Brigand, le député de Côte d’Or. Il a laissé l’aile gauche de sa majorité détricoter ce texte en commission. Il en paye le prix aujourd’hui ». « C’est un coup de semonce au gouvernement, qui a supprimé une immense partie du texte du Sénat » enchérit Annie Genevard. Et Olivier Marleix, chef de file des députés LR d’enfoncer le clou : « Ce vote est la conséquence du “en même temps” que tous les groupes ont dénoncé ».
Ces voix sont alors venues s’ajouter à celles des élus RN qui après avoir entretenu un certain suspense avaient déclaré une heure avant le vote qu’ils voteraient pour la motion de rejet. C’était pour eux « une circonstance rare où l’on avait la possibilité de trouver un point d’accord avec toute l’opposition, déclare au Monde Marine Le Pen. Dès lors qu’on avait la possibilité de tuer ce texte dans l’œuf, nous n’allions pas nous en priver ». Beaucoup dans son groupe ont aussi jugé l’attitude du ministre de l’intérieur en commission « hautaine ». Ce vote a alors aussi été pour eux l’occasion de « le faire redescendre sur terre » comme l’a déclaré le député RN de l’Eure, Kevin Mauvieux.
Les oppositions exceptionnellement réunies, la messe était dite.
Reste que pour le ministre de l’intérieur, les oppositions en votant cette motion de rejet ont clairement « voulu faire un coup » et « ont joué contre la France, contre ses fonctionnaires ». « Je regrette profondément que nous perdions du temps pour protéger les Français » a poursuivi Gérald Darmanin. « Je pense que le rôle des députés est de débattre et de légiférer, ils n’ont pas voulu le faire » a-t-il fini par déplorer. ■
Motion de rejet : neuf députés de la majorité présidentielle absents lors du vote
La motion de rejet sur l’immigration n’a été votée qu’avec un très faible écart de voix : 270 voix pour et 265 contre. Cinq députés Renaissance, trois Modem et un Horizons étaient absents pour ce vote pourtant crucial pour le gouvernement et défendu par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Chez Renaissance, il s’agit des députés Jean-Philippe Ardouin (Charente-Maritime), Anne Genetet (Français de l’étranger), Monique Iborra (Haute-Garonne), Amélia Lakrafi (Français de l’étranger) et Michel Lauzzana (Lot-et-Garonne). Au MoDem, ils sont trois absents : Philippe Berta (Gard), Philippe Bolo (Maine-et-Loire), Mohamed Laqhila (Bouches-d-Rhône) et enfin une absente dans les rangs d’Horizons : Anne-Cécile Violland (Haute-Savoie).
Pour expliquer son absence, chacun y va de son excuse. Monique Iborra la justifie en indiquant qu’elle était à Toulouse avec le Chef de l’Etat venu présenter le bilan de deux années du plan d’investissement France 2030. « J’étais le seul représentant de Renaissance à être présent. Je devais y être. Bien évidemment, j’aurais voté contre cette motion de rejet parce que cette loi sur l’immigration, elle est essentielle, beaucoup de gens l’attendaient » a-t-elle expliqué à nos confrères de la Dépêche du Midi. D’autres étaient en voyage à l’étranger et d’autres encore ont connu des problèmes de transports.
Sur les 270 voix pour la motion, on compte 87 députés RN (un absent), 40 des 62 députés LR. Les 75 députés Insoumis ont voté la motion, 28 socialistes sur 31 et 21 députés écologistes sur 23. Dans les rangs communistes, 17 députés sur 22 ont voté pour, cinq étaient absents. Chez les non-inscrits, Véronique Besse (Vendée) et Nicolas Dupont-Aignan (Essonne) ont aussi voté la motion de rejet.
Chez les LR, deux députés ont voté contre la motion : Nicolas Forissier (Indre) et Alexandre Vincendet (Rhône). L’écologiste Delphine Batho (Deux-Sèvres) a également voté contre la motion déposée par son parti. Les députés LIOT ont majoritairement voté contre (19 voix et une abstention). Chez les non-inscrits, David Habib a voté contre.
Onze députés LR se sont abstenus. La majorité des abstentions se compte chez les députés Les Républicains, avec 11 abstentions. Emmanuelle Ménard (non-inscrite, Hérault) s’est également abstenue tout comme le député LIOT Charles de Courson (Marne).
Le choix de la CMP
Après le vote de la motion de rejet préalable, pour tenter de sauver son texte, trois solutions s’offraient au gouvernement : poursuivre la navette parlementaire du texte au Sénat qui débattrait à nouveau du texte qu’il avait adopté précédemment ; convoquer une CMP en urgence pour trouver un compromis sur le texte adopté en commission des lois à l’Assemblée ou retirer le texte comme le réclamait la gauche.
Dès le lendemain du vote de rejet, et après consultation de la Première ministre et des ministres Darmanin, Dussopt et Riester, le gouvernement a choisi de convoquer une commission mixte paritaire (CMP) le plus rapidement possible « toujours dans une démarche pour débattre et chercher un compromis » a expliqué le porte-parole du gouvernement Olivier Véran à la sortie du Conseil des ministres.