Plus d’une quinzaine de chefs d’Etat et de gouvernement, des dizaines de scientifiques, d’explorateurs, de climatologues se sont retrouvés au Muséum national d’histoire naturelle à Paris du 8 au 10 novembre derniers pour parler des glaces au sens large : à la fois les pôles, la banquise sur les mers, les glaciers de nos montagnes et le pergélisol - les sols en permanence gelés -. Cette nouvelle édition du One Planet Summit mis en place par Emmanuel Macron sur l’environnement intervient après celle sur le thème de la forêt en mars dernier organisée au Gabon. Pour les spécialistes de la recherche polaire, il était plus que temps de s’intéresser au sujet face au réchauffement climatique qui impose son calendrier et fait sa loi. Les chiffres sont en effet éloquents et ont de quoi alarmer. En 2019, la glace de mer Arctique a par exemple atteint son étendue minimale annuelle avec 4,15 millions de km2, soit un déficit de 33 % par rapport à la moyenne 1981-2010. Elle s’est accompagnée d’une perte de plus de 10 millions de km2 entre mars et octobre, considérée comme la quatrième plus importante depuis 1981. Le recul des glaciers (hors les grandes calottes de glace de l’Antarctique et du Groenland) a également atteint un niveau inédit depuis 2000 ans. Depuis l’année 2000, les glaciers perdent en moyenne 267 milliards de tonnes de glace par an, cette perte s’accélérant chaque année. La perte d’épaisseur cumulée des glaciers de montagne depuis les années 1970 s’élève en moyenne à près de 30 mètres. La calotte du Groenland a perdu 4890 milliards de tonnes (Gt) de glace depuis 1990, augmentant de 13.5 mm le niveau global de la mer. Partout les glaces fondent accentuant l’élévation du niveau des eaux mettant « des centaines de millions de vies en risque » souligne l’Elysée. On estime qu’à l’horizon 2100, la hausse du niveau des mers sera au minimum de 1 mètre. D’ici 2050, les scientifiques estiment que la plupart des îles Maldives auront déjà disparu. À ce stade, environ un milliard de personnes vivant dans les régions côtières de basse altitude seront exposées aux conséquences de la montée du niveau des mers et des océans. Enfin, si la totalité de la glace venait à disparaître au cours des dizaines de millénaires à venir, « la montée du niveau de la mer pourrait atteindre 58 mètres ».
Il faudra aussi prendre en compte « la fonte du pergélisol qui va entraîner des risques majeurs de libération de CO2 et de potentielles nouvelles menaces pandémiques ». « Il aiguise les appétits de certains pour les richesses minières du sous-sol » a aussi prévenu le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu.
Face à ces menaces protéiformes et pour bien en comprendre les enjeux, « la recherche polaire a besoin de moyens » a expliqué Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France pour les pôles et l’océan qui les trouve aujourd’hui « très insuffisants ». « Il faut vraiment faire prendre conscience à tous les leaders que c’est un espace fragile » a-t-il ajouté.
Et ici l’enjeu climatique se double d’un enjeu diplomatique. Hasard du calendrier (ou pas), le sommet sur les pôles se tenait en même temps que le Forum de Paris sur la paix. Alors que l’objectif du « One polar summit » était de faire en sorte que scientifiques et chercheurs du monde entier puissent travailler ensemble, la guerre à la fois en Ukraine et au Proche Orient s’est invitée à ces rencontres. Avec la crainte de voir resurgir des antagonismes politiques chez les scientifiques. Interrogé par RFI, Sébastien Treyer directeur de l’Institut du Développement durable et des Relations internationales (IDDRI) s’est pourtant voulu rassurant. « Dans des temps de guerre froide extrêmement durs, on a eu des accords transfrontaliers entre l’Est et l’Ouest qui ont été marqués notamment par le fait que la coopération scientifique avait continué. Je fais référence à la question des pluies acides en Europe qui était une question est-ouest sur la réduction des pollutions d’origine soufrées dans l’industrie des deux côtés du rideau de fer ». Pour lui, il ne fait guère de doute que les scientifiques continueront de dialoguer, laissant de côté, sans les oublier, les querelles internationales. Les pôles et la cryosphère « sont affectés » par les tensions géopolitiques qui « représentent les nouvelles frontières du multilatéralisme » a tenu à souligner Ángel Gurría, président du Forum de Paris sur la paix, présent au premier jour du sommet polaire. Or, paradoxalement et en dépit des discours comme celui de l’Elysée de « préparer la coopération internationale pour éviter les crises de demain », comment ne pas s’étonner que la Russie, acteur incontournable du monde polaire avec son gigantesque territoire arctique, était absente. Une inquiétude balayée d’un revers de main par l’Elysée qui a assuré que « Beaucoup de choses peuvent être faites sans elle ».
Message bien reçu. Le premier mérite de cette rencontre a sans aucun doute été d’exposer la situation et d’écrire noir sur blanc une série de recommandations pour une meilleur protection des régions glaciaires et polaires.
Le sommet s’est ainsi conclu par « l’appel de Paris pour les glaciers et les pôles » annoncé par le chef de l’Etat avec des propositions fortes. « D’ici à 2030, nous investirons 1 milliard d’euros dans la recherche polaire » a indiqué le président Macron qui a évoqué sans fard l’urgence de la situation. « Nous ne parlons pas d’une menace pour demain mais qui est déjà bien présente et s’accélère » a insisté le président. Après avoir rappelé que la France n’a jamais cessé d’investir dans la recherche polaire par l’entremise notamment de France 2030 qui a permis deux initiatives d’importance : Polar Pod avec Jean-Louis Etienne dans l’océan Austral et la station Arctique portée par la Fondation Tara, Emmanuel Macron a confirmé la volonté de la France « d’avancer » : « nous reconstruirons la station Dumont d’Urville et rénoverons la station Concordia en tenant compte des meilleurs standards environnementaux ». « Et ce sera fait dans ce mandat » a-t-il assuré. « Pour accompagner ces recherches et ces aventures polaires, la France va construire un navire à capacité glace qui se partagera entre le Pacifique ouest et l’Antarctique est » a par ailleurs annoncé le président. Une mesure qui était très attendue par les scientifiques contraints d’emprunter des navires étrangers pour rejoindre les bases polaires. Ce navire « portera le nom de Michel Rocard » a précisé le président, du nom de l’ancien premier ministre, décédé en 2016, qui « a été le premier ambassadeur français des pôles arctique et antarctique en 2009 ».
L’appel de Paris acte également la création d’une coalition « Ocean Rise & Resilience » qui sera présidée par le maire de Nice, Christian Estrosi (voir ci-dessous). Cette coalition rassemblera une quarantaine d’États insulaires ou nations composées de villes ou régions côtières et glacières hébergeant plus d’un milliard de personnes sur tous les continents, menacés par la montée des eaux. L’objectif est de structurer leur action. Elle sera présente au Sommet des villes littorales et régions côtières du monde qui se tiendra en marge de la 3ème Conférence des Nations-Unies sur l’Océan, UNOC, à Nice en juin 2025. A cette occasion, le souhait du président est de pouvoir annoncer la création d’une « aire marine de grande ampleur pour la haute mer en Arctique » puis en Antarctique, avec en ligne de mire un moratoire sur l’exploitation des fonds marins.
Emmanuel Macron a enfin souhaité que sur tous ces sujets, « les parlementaires continuent d’être mobilisés encore davantage ». ■
Sources : United States Geological Survey
30 % des réserves de gaz et 20 % des réserves de pétrole non encore découvertes dans le monde seraient localisées en Arctique. Le Groenland recèlerait 25 % des réserves mondiales de « terres rares ».
Visions polaires parlementaires
Dumont d’Urville, Charcot et Paul-Émile Victor ont écrit les plus belles pages de l’histoire polaire française permettant à la France d’être un acteur majeur des mers et terres polaires au sein des instances internationales. Aventuriers et scientifiques français ont, aux côtés de leurs homologues européens et internationaux, oeuvré également à la conclusion du Traité sur l’Antarctique et installé la présence française en Terre Adélie. Ils ont aussi nourri les travaux de Michel Rocard, Premier Ministre, initiateur du Protocole de Madrid qui fait de l’Antarctique une réserve naturelle dédiée à la science et à la paix. « La voix de la France, grande nation polaire, a donc porté et porte encore grâce à la science qu’elle déploie dans ces régions du bout du monde » notent avec fierté les députés Jimmy Pahun (MoDem) et Clémence Guetté (LFI) à l’origine d’une proposition de loi « de programmation polaire pour les années 2024 à 2030 ». Ce texte qui était soutenu par plus de 250 députés de 9 groupes parlementaires a été déposée en juillet dernier « mais ne sera pas discutée ». « Les annonces faites par le président au sommet polaire reprennent les demandes de la PPL mais ça ne passera pas par ce véhicule législatif » nous explique l’entourage du député Pahun. « Le suivi se fera autrement par les coprésidents du groupe d’études. Le prochain rdv sera le 20 mars, réunion du groupe d’études avec la communauté polaire à l’assemblée nationale ».
Depuis la grande époque, la politique polaire française peine à faire entendre sa voix, à tenir son rang et manque de perspectives à long terme. Comme avec la base antarctique Dumont d’Urville dont l’état pose souci tant pour la sécurité du personnel que pour son impact environnemental. « Depuis trop longtemps les investissements manquent et le retard accumulé rend indispensable une action immédiate et résolue des pouvoirs publics » jugent les deux élus qui se sont rendus sur place au cours de l’été austral, en janvier 2024. Un constat déjà partagé par plusieurs travaux parlementaires récents. « Il y a une histoire de la recherche française en Antarctique qu’il faut développer, réorganiser » insiste Jimmy Pahun aux micros de France Bleue Armorique. Si, à l’initiative de l’Assemblée nationale, la loi de finances pour 2022 a permis d’augmenter le plafond d’emplois de l’Institut polaire français de 7 ETP (équivalents temps plein), et que la ministre de la Recherche décidait de dédier un financement de 7 millions d’euros sur 3 ans à la rénovation de la station Dumont d’Urville, cela n’est pas aujourd’hui suffisant regrettent les élus qui ont pu constater que la loi de finances 2024 n’abondait pas suffisamment le budget dédié à la recherche polaire en dépit de quelques saupoudrages ici et là (Institut Polaire Paul-Emile Victor, Polar Pod, le bateau antarctique de l’explorateur Jean-Louis Étienne, Tara Polar Station, de la fondation Tara Océan).
Selon leur proposition de loi qui prévoyait « de donner une traduction budgétaire à la stratégie polaire française », la reconstruction de la base Dumont d’Urville, le développement de moyens nautiques pour conduire des campagnes océanographiques, l’accroissement des moyens humains et financiers de l’Institut polaire français, et l’augmentation des financements dédiés à la réalisation de projets de recherche polaire représentent « un effort financier total de près de 449,4 millions d’euros d’ici 2030 ».
L’Arctique a chaud
Selon le rapport annuel publié par l’Agence atmosphérique et océanique américaine (NOAA), l’été 2023 a été le plus chaud jamais enregistré dans l’Arctique. Plus de 80 experts de 13 pays ont contribué à ce rapport, publié chaque année depuis 18 ans. « Le message primordial du rapport cette année est qu’il est temps d’agir » a clairement énoncé Rick Spinrad, le chef de l’Agence. « En tant que nation et communauté mondiale, nous devons considérablement réduire les émissions de gaz à effet de serre qui sont à l’origine de ces changements » a-t-il insisté alors que se tenait à Dubaï la COP28. Selon ce rapport, l’année passée (d’octobre 2022 à septembre 2023) a été la sixième plus chaude depuis 1900 dans l’Arctique avec un record pour l’été (juillet à septembre) avec une température moyenne de 6,4°C. Le rapport a mis l’accent cette année sur l’Arctique qui est touchée par un phénomène appelé d’« amplification arctique », qui veut que cette région se réchauffe plus vite que les latitudes moyennes. Le rapport montre également que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland se poursuivit mais moins que d’autres années.