Quel est le principal moteur de vos recherches ?
Thierry Grosdidier : Le LabEx Damas a vocation à aider à développer des recherches fondamentales en métallurgie pour proposer de nouveaux alliages métalliques et de nouveaux procédés indispensables dans de très nombreuses applications, comme les transports ou l’énergie, du fait de leur résistance mécanique et de leurs performances à haute température. Nous apportons l’expertise métallurgique de haut niveau nécessaire à la conception d’alliages plus légers et plus résistants.
Nos thématiques de recherche ont aussi naturellement évolué pour relever de nouveaux défis sociétaux comme le développement durable et la transition énergétique, notamment l’utilisation de l’hydrogène pour une société décarbonée. L’intelligence artificielle et le numérique ainsi que les problématiques de souveraineté industrielle et de défense sont aussi au cœur de nos préoccupations.
Quel a été le rôle et l’objectif du Labex DAMAS ?
T.G. : Le LabEx DAMAS rassemble plus de 90 chercheurs permanents issus de plusieurs équipes des deux laboratoires et travaillant de façon complémentaire sur des projets de recherche fondamentale en métallurgie physique, chimique, mécanique et numérique. Le rapport sur la métallurgie en France paru dans l’Observatoire de la Métallurgie (en 2017) note que l’IJL et le LEM3, sont en première place pour leur excellence en métallurgie. L’émergence de cette cohésion forte a permis à l’Université de Lorraine d’arriver, en 2020, à la 43ème place mondiale en ingénierie métallurgique dans le classement de Shanghai des Universités. Les quelques 50 doctorants et 60 post-doctorants, qui ont suivi une formation poussée en métallurgie, ont ensuite trouvé des postes dans l’industrie ainsi que dans de très bonnes universités, tant au niveau national qu’à l’international. Cette expertise amont est ainsi mise au service d’une recherche appliquée, réalisée ensuite avec de nombreux partenaires industriels de la transformation (Arcelor …), de l’automobile (Stellantis, Renault, …) ou de l’aéronautique (Safran, …) par exemple.
Le Labex Damas s’achèvera en 2024, quelle a été son influence au sein de Lorraine Université d’excellence ? Comment les forces de recherche issues du Labex se prolongeront-t-elles, notamment au sein de l’IDEX/I-Site LUE, pour continuer à renforcer la communauté métallurgique en Lorraine et accroître son rayonnement international ?
Benoit Appolaire : Les recherches fondamentales en métallurgie ont été concrétisées par la publication de plus de 700 articles scientifiques dans les meilleures revues, plusieurs brevets et la création de deux start-up en métallurgie à Metz et Nancy. Grâce à ce bilan, DAMAS a contribué de manière significative à l’acceptation de l’IDEX/I-SITE LUE, qui propose une approche systémique de l’ingénierie. Naturellement, la communauté formée autour du labex DAMAS aura toujours un rôle à y jouer.
L’évolution des dispositifs de financement de la recherche avec les Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) accompagnent aussi l’évolution de nos thématiques. Ainsi, depuis 2022, les laboratoires IJL et LEM3 sont impliqués - en partenariat avec le CEA, le CNRS et 3 autres universités - dans le PEPR Diademe « Dispositifs intégrés pour l’accélération du déploiement de matériaux émergents » qui a l’objectif de développer des matériaux innovants, performants, durables et issus de matières premières non critiques et non toxiques.
L’impulsion de LUE à préparer des programmes interdisciplinaires, autour des enjeux sociétaux identifiés à l’échelle européenne nous a conduit, d’une part à explorer ses nouveaux dispositifs, d’autre part à infléchir notre trajectoire en investissant de nouveaux champs. Ainsi, dans le cadre des projets ORION (Osez la Recherche pendant la formatION), le labex DAMAS a initié des « Clubs étudiants / chercheurs », sur (i) les Matériaux à base métallique pour la santé et le biomédical en 2021 et (ii) les Matériaux métalliques et la filière hydrogène en Janvier 2023.
Par ailleurs, nous avons introduit et fait monter en puissance de nouveaux sujets, tels que la décarbonation de l’industrie et l’utilisation de l’IA qui serviront de socle au futur programme interdisciplinaire proposé à LUE gravitant autour de la métallurgie.
Comment vous insérez-vous dans la décarbonation de l’industrie ?
T.G. : Le développement durable est au cœur de nos préoccupations. L’utilisation du charbon dans les haut-fourneaux pour l’élaboration des aciers qui sont à la base de la plupart des structures et infrastructures, est responsable de 7 % de l’émission de gaz à effet de serres anthropiques. Nos équipes ont été pionnières sur plusieurs aspects de la filière hydrogène. Elles travaillent depuis plusieurs années avec les industriels français et européens de la sidérurgie sur l’utilisation de l’hydrogène pour réduire le minerai de fer ; une réduction qui produit de l’eau et permet d’éviter 80 % des émissions de gaz carbonés. Elles ont pu décrocher sur cette thématique un projet Horizon Europe intitulé MaxH2DR en 2022. En aval, ArcelorMittal ambitionne d’industrialiser ces techniques de réduction en France dans les prochaines années. Le transport ainsi que le stockage solide, en toute sécurité, de l’hydrogène sont aussi l’objet de nombreuses collaborations universitaires nationales et internationales notamment avec le Japon ou le Canada …
En quoi le numérique et l’Intelligence Artificielle peuvent aider au développement, à l’analyse et à la caractérisation de nouveaux alliages métalliques ?
B.A. : Le numérique a toujours fait partie de la panoplie d’outils des métallurgistes qui doivent embrasser un nombre important d’échelles d’espace et de temps. Passer de l’échelle atomique, avec des mouvements de la picoseconde, à celle des produits industriels de plusieurs tonnes subissant souvent des traitements longs de plusieurs heures sans oublier le vieillissement sur des dizaines d’années ou plus. Cependant, l’émergence de l’IA ces dernières années constitue un changement de paradigme, qui n’est pas propre à la métallurgie. Elle ouvre de nouvelles perspectives comme la reconnaissance et l’analyse automatique des microstructures de alliages, ou encore la conception de nouveaux alliages tenant compte des nombreuses contraintes, dont environnementales. Son application aux problèmes difficiles de la métallurgie, en particulier la simulation multi-échelle des procédés, requiert des changements de pratique, s’appuyant autant sur les données que sur les lois physiques classiques. L’IA ouvrira la voie à l’utilisation de jumeaux numériques dans les usines pour piloter, contrôler les procédés les plus complexes.
Quelles seront les procédés innovateurs de demain ?
T.G. : Le développement de procédés innovants en élaboration, transformation et caractérisation des métaux est indispensable pour optimiser de nombreuses propriétés des métaux comme leur résistance, biocompatibilité, recyclage, etc. Après avoir construit un pôle autour de la métallurgie par hyperdéformation – un ensemble de techniques permettant de créer des matériaux nano-structurés plus résistants - la construction des structures par fabrication additive est maintenant en fort développement, en particulier pour l’aéronautique et le biomédical. Une Start-up, PINT, travaillant sur ces axes de recherche a été créée en 2022 sur le site de Metz. A Nancy, la start-up O2M solution met elle l’accent sur la modélisation numérique des procédés. ■