“Aujourd’hui tous les signaux sont au vert pour développer les circuits courts de qualité et de proximité” s’enthousiasme Brigitte Allain (Ecologiste, Dordogne). « Alors que la société française est à la recherche d’un lien social et souhaite mieux prendre en compte les enjeux environnementaux, l’alimentation redevient un enjeu de politique publique et un patrimoine local à préserver et à développer » poursuit la rapporteure.
Défini par le Ministère de l’Agriculture en 2009, le circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur – vente à la ferme, marché de producteurs -, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur – commerçants détaillants de type épicier, bouchers, ou restaurateur. Quant aux circuits de proximité, ils correspondent à l’idée d’une distance spatiale maximale mesurant le chemin à parcourir entre le lieu de production et celui de vente. Cette distance, qui n’a fait l’objet d’aucune définition officielle, peut varier selon le type de production concernée – d’environ 30 km pour des produits agricoles simples, comme les fruits et légumes, à 80 km pour ceux nécessitant une transformation.
Les circuits courts répondent à un besoin de lien social
Alors que l’approvisionnement alimentaire des Français était basé sur les circuits courts avant la Seconde Guerre mondiale, ils ont progressivement disparu lors des Trente Glorieuses, avec la séparation des acteurs de la production, de la transformation et de la commercialisation. Puis est venu le temps des aides européennes qui avaient pour objectif d’aider à la modernisation et à la production à bas prix. « Mais quand dans les années 1990, l’OMC nous a imposé le passage de l’aide au produit à l’aide à l’hectare, le lien entre la production et les aides a ainsi été rompu » souligne l’élue qui enfonce le clou : « Depuis quarante ans, on poursuit cette même politique comme si rien n’avait changé en France, en Europe et dans le monde ». Face à ces évolutions, certains agriculteurs ont cherché à maintenir ce lien entre producteur et consommateur. Dans les années 70, les circuits de proximité ont alors pris des allures « plus militantes et alternatives » avant de péricliter. Depuis quelques années, les circuits courts ont de nouveau le vent en poupe, revivifiés par un besoin de lien social, d’une envie de manger plus sainement, de respect de l’environnement et grâce aux associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). « En outre, la crise économique a provoqué chez les Français une véritable réflexion sur le patriotisme alimentaire* » complète Brigitte Allain. 6 à 7% des achats alimentaires en France se font par des circuits courts et 21% des exploitants vendent au moins une partie de leur production en circuits courts.
« De nombreux freins empêchent d’envisager un changement d’échelle »
En dépit d’une offre protéiforme (marchés et magasins de producteurs, vente à la ferme, e-commerce, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, plateformes de producteurs pour approvisionner la restauration collective…), « de nombreux freins empêchent d’envisager un changement d’échelle » constate pourtant Brigitte Allain. Les stratégies territoriales sont « souvent balbutiantes et pensées à trop petite échelle » ; une trop grande spécialisation des cultures de certaines régions fait obstacle aux productions alimentaires diversifiées ; le foncier agricole disponible est en baisse ; l’importation de produits standards « dominent le marché de la restauration collective » et il y a aussi des problèmes de logistique. « Pour atteindre un changement d’échelle, la relocalisation de l’alimentation doit être pensée au-delà des circuits courts et de proximité comme un projet alimentaire de territoire » insiste la rapporteure. « Cela implique une mise en réseau des acteurs – collectivités, consommateurs, entreprises, organisations -, la réalisation d’un diagnostic commun et la définition d’objectifs partagés ». Tout cela devant évidemment être encouragé par des orientations nationales qui seront ensuite déclinées au plan local. Au fil de ses 45 propositions, le rapport veut notamment inclure la politique alimentaire dans des plans régionaux de l’agriculture durable (PRAD) pour en faire des plans régionaux de l’agriculture et de l’alimentation durables (PRAAD). Pour le développement et la pérennisation des circuits courts, le rapport cible la restauration collective qui devra intégrer un seuil minimal de 20 % de produits issus de l’agriculture durable dès 2016, puis 40 % en 2020, dont 20 % de bio. Une mesure qui ne recueille pas l’assentiment du président de la mission, Jean-Charles Taugourdeau (LR, Maine-et-Loire) qui se méfie des objectifs trop précis et des délais très courts. Le risque est « de confronter nombre de collectivités locales à de véritables casse-tête, certains territoires ne bénéficiant pas d’une production agricole locale suffisamment diversifiée ».
Mais rien n’arrête Brigitte Allain qui propose encore de revoir les programmes de formation initiale de tous les métiers liés à l’alimentation ; de rendre obligatoire la culture biologique sur les zones de captage d’eau, de réserver « obligatoirement » un potentiel de terres pour l’approvisionnement alimentaire local dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT), de créer des abattoirs départementaux ou intercommunaux de proximité et multi-espèces. Et dans les départements dont le niveau de vie est très en dessous de la moyenne nationale, « il conviendra de faire intervenir l’aide internationale au développement. Je pense à ceux des départements d’outre-mer qui, outre l’éloignement de la métropole, sont confrontés à des problèmes liés à leur insularité et leur histoire ».
Les circuits courts trop présentés comme « l’alpha et l’oméga » de l’agriculture française
S’il n’est nullement question pour Jean-Charles Taugourdeau de contester l’utilité des circuits courts pour les consommateurs comme pour les producteurs, le président de la mission regrette au final que ce rapport les présente comme « l’alpha et l’oméga » de l’agriculture française. « L’agriculture est un secteur économique à part entière pour notre pays, entièrement inscrit dans son histoire et sa culture. L’agriculture française ne saurait faire abstraction du souci de développer sa compétitivité, de rechercher des marchés à l’export et de créer des emplois » explique le député qui regrette que cette dimension n’ait pas été suffisamment prise en compte dans le rapport.
* 97% des Français qui consomment local disent le faire pour soutenir la production locale et par là, l’activité de leurs voisins.