Alors que la loi de programmation militaire votée le 1er août 2023, et, avant elle, le projet ESCC 2030 prévoient une augmentation des recrutements d’officiers de 15 % à 25 %, pour faire face à l’hypothèse d’engagement majeur, « l’Académie militaire atteint déjà un stade de saturation qui pourrait obérer cette montée en puissance » souligne avec inquiétude la Cour des comptes dans son rapport consacré à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.
Située sur le camp militaire de Coëtquidan dans le département du Morbihan, l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) qui regroupe trois écoles (1) a pour mission d’assurer la formation initiale des officiers de l’armée de Terre. Elle a pour particularité de combiner des enseignements académiques de filière orientée soit vers les sciences de l’ingénieur, soit vers les sciences sociales et politiques (formation diplômante) avec les apprentissages des savoirs et savoir-faire militaires. Un double modèle « rare en Europe » reconnaît la cour qui juge pourtant que « cette double formation a aujourd’hui pour conséquence d’imposer aux élèves-officiers des emplois du temps excessivement denses et un volume horaire de cours trop élevé » (en moyenne une cinquantaine d’heures de formation, sans compter les activités planifiées les week-ends) et mal équilibré entre cursus universitaire et militaire. « Cette saturation n’autorise ni souplesse ni adaptation, alors que, compte tenu du contexte stratégique, les besoins de l’armée de Terre en termes de contenu de la formation militaire sont plus exigeants, et que les effectifs de ces trois écoles sont destinés à croître de 15 % sur cinq ans, l’objectif de cette armée étant d’augmenter son taux d’encadrement » écrivent les magistrats. « Le modèle de formation a atteint aujourd’hui des limites qui ne pourront être dépassées qu’au prix d’une remise à plat complète des programmes » conclut sur ce point le rapport. Parallèlement, la cour s’interroge aussi sur le manque de transparence de certains éléments de la notation jugée « complexe », notamment le dispositif d’évaluation de l’aptitude individuelle des élèves officiers au commandement que certains trouvent « subjectif » voire « arbitraire ». Or, cela joue grandement dans le classement de sortie et du même coup du choix des armes (gendarmerie, cavalerie, aviation légère de l’armée de Terre et infanterie). Une réflexion sur le sujet est d’ailleurs dans les tuyaux pour faire évoluer le principe du classement et introduire d’autres déterminants pour ce choix de fin de scolarité. « Le processus du choix des armes ne doit pas être le résultat du seul « amphi » de sortie. Il doit être échelonné sur toute la scolarité, pour favoriser le murissement d’une décision lourde de conséquence pour chaque élève-officier » expliquent les magistrats.
Autre point noir pointé par la cour : l’état des infrastructures (2) dont dispose l’Académie militaire et son organisation qui ne lui permettent pas d’absorber la hausse significative des recrutements d’officiers prévue par la LPM. « Mal entretenus, les bâtiments sont parfois très dégradés, au point d’être pour tout ou partie inutilisables [… ] À terme, cette dégradation pourrait entraver la capacité du camp à remplir ses missions élémentaires » alertent les magistrats qui estiment que plus de 30 % du camp serait en « mauvais état » ou « en très mauvais état », et 11 % dans un état « inutilisable ».
Composante essentielle et même stratégique de tout camp militaire, avec plus de 500 000 repas servis en 2022, la fonction restauration de Coët risquerait même une rupture capacitaire avant 2027 (manque de personnels, fermeture de restaurants, vétusté des infrastructures), date théorique de l’ouverture d’un nouveau restaurant, si rien n’est fait rapidement
Enfin, la cour ne serait plus la cour si elle ne s’était pas interrogée sur la gestion financière de l’Académie militaire qu’elle juge « complexe » notamment parce qu’elle n’est pas un établissement public mais un simple service de la direction des ressources humaines de l’armée de Terre, et qu’elle dispose d’une faible autonomie de gestion. « Le financement de l ’activité de l’AMSCC relève d’un grand nombre de canaux budgétaires différents », entre 15 à 20, « chacun étant régi par des règles spécifiques et géré par des responsables différents ». Dans le rapport, la cour a cherché à reconstituer, non sans difficulté, le coût complet annuel de l’Académie militaire pour l’année 2022. Il s’élèverait, selon ses calculs, à environ 121,2 Me pour l’ensemble des activités. En mars 2022, l’Académie militaire accueillait 1 175 élèves au total en scolarité, chiffre sans doute très proche de la moyenne des élèves présents chaque année. 86 % de ces élèves, soit environ 1 000 personnes, suivent des formations longues d’un an ou plus. « Sur cette base, le coût moyen d’un élève-officier, toutes filières confondues, se situe vraisemblablement aux alentours de 100 000 e par an » note la cour. En comparaison, le coût annuel d’un étudiant à l’université est de l’ordre de 10 000 e en 2020 et de 16 000 e pour un étudiant en classe préparatoire. Pour les magistrats ce différentiel de coût entre les formations de l’AMSCC et celles de l’enseignement supérieur civil s’explique notamment par les charges spécifiques liées au statut militaire qui fait que les élèves sont soldés (39,8 Me par an), habillés (2,3 Me par an) et nourris (4,1 Me hors masse salariale). « L’ajout, à la formation académique, d’une formation militaire et à l’aptitude au commandement mobilise des personnels et des équipements qui constituent également un facteur d’augmentation des coûts ». Toutefois reconnaît la cour, les coûts de formation d’un élève-officier « sont commensurables avec les coûts de formations exposées par les écoles comparables de la fonction publique, lesquelles rémunèrent également leurs élèves ». Pour l’Ecole nationale d’administration, le coût total annuel d’un élève a été estimé par la cour des comptes à 97 818 e en 2019, à 60 280 e pour l’Ecole nationale de la magistrature et à 50 200 e pour l’Ecole normale supérieure. « Néanmoins, insistent les magistrats, en se concentrant sur les seules dépenses du cursus académique, il apparaît que l’AMSCC est plus onéreuse que les autres établissements d’enseignement supérieur remplissant des missions similaires ». ■
(1) Trois écoles pour trois types de recrutement d’élèves-officiers : Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (ESM) : recrutement externe sur des concours très sélectifs ; Ecole militaire interarmes (EMIA) : concours interne pour les militaires du rang et sous-officiers et Ecole militaire des aspirants de Coëtquidan (EMAC), école des officiers sous contrat.
(2) Le camp de Coëtquidan compte 417 bâtiments, soit une surface bâtie de 184 000 m2 caractérisé par une grande diversité des infrastructures : 3 places d’armes, 18 champs de tir, 33 bâtiments d’hébergement, des dizaines de bâtiments de cours et administratifs, 3 stades, 1 piscine, 2 restaurants administratifs, plusieurs zones de bivouac et de manœuvres, 1 centre équestre, ainsi que 3 salons de coiffure, 2 bars et 7 laveries.