Lancée en décembre 2023, la mission sur le coût du “millefeuille administratif” confiée par les ministres Thomas Cazenave et Dominique Faure à Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières et Président d’Ardenne Métropole a rendu son rapport fin mai. Ses conclusions sont sans surprise et sans appel : l’enchevêtrement des responsabilités et des compétences entre l’Etat et les collectivités et entre les collectivités entre elles « est une réalité et a un coût pour le contribuable qui peut être estimé à 7,5 Mde ». Un constat partagé par le ministre des comptes publics Thomas Cazenave qui, au lancement de la mission, faisait déjà remarquer qu’il existait en France « trop d’empilements ». « Vous avez des services de l’Etat, des opérateurs, des agences, quatre niveaux de collectivités, parfois des syndicats, des sociétés d’économie mixte... Ce qui ne va pas, c’est que sur une politique publique, on soit quatre ou cinq autour de la table » expliquait-il. Mais la nouveauté de ce rapport réside dans le chiffrage de cet empilement, et que dans une période de disette fiscale, il y a sans doute ici un gisement d’économies à faire. 7,5 milliards d’euros, « on peut considérer que c’est peu, 0,3 % du PIB. En réalité, c’est énorme pour une somme dont une large part pourrait être économisée grâce à une répartition plus claire et plus stricte des responsabilités et des compétences entre l’Etat et les collectivités. C’est surtout un coût collectif dont la responsabilité l’est tout autant. L’Etat et les collectivités en sont solidairement responsables et personne ne peut l’imputer à l’autre. C’est peut-être la raison pour laquelle l’énormité de ce coût, largement évitable, doit convaincre chacun d’agir » écrit encore l’élu local.
Le rapport démontre que l’enchevêtrement actuel engendre des coûts annuels importants pour tous les acteurs publics, chiffrés par la mission à au moins 6 Mde pour les collectivités et au moins 1,5 Mde pour l’Etat. Mais cette évaluation « reste un ordre de grandeur, et sans doute un minimum » prend bien soin de préciser Boris Ravignon. Dans le détail, l’empilement pèse pour 4,8 Mde pour les communes, soit 6,3 % de leurs dépenses réelles de fonctionnement et 11,7 % de leurs dépenses de personnel ; 695,7 Me à la charge des intercommunalités, soit 2,4 % de leurs dépenses réelles de fonctionnement et 6,2 % de leurs dépenses de personnel ; 355 Me pour les départements (0,6 % de et 2,7 %) ; 116,7 Me pour les régions (0,6 % et 2,6 %) et 1,5 Mde pour l’Etat, dont 1,28 Md e imputable à la seule gestion financière locale, hors fiscalité, relevant des directions départementales des finances publiques (DDFiP). Un enchevêtrement et un coût qui ont des conséquences sur l’efficacité et les résultats de l’action publique. Et ce d’autant plus lorsque l’on sait que la coordination est le principal vecteur de coûts estimé, devant les coûts occasionnés par la gestion des financements croisés (85 % des 7,5 Mde). Toutefois, le cabinet de Dominique Faure, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité a tenu à rappeler que « ces coûts de coordination ne peuvent pas être tous supprimés car la coordination entre les acteurs des territoires est nécessaire, mais ils peuvent être diminués. Cet objectif requiert notre mobilisation collective, Etat et collectivités ».
Que faut-il alors faire pour tenter de mettre fin à cette gabegie financière ? Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la mission présidée par Boris Ravignon semble exclure d’emblée l’idée de supprimer un niveau administratif. « La réduction du nombre des niveaux d’administration territoriale n’apparait pas nécessaire même si les regroupements communaux et intercommunaux volontaires gagneraient à être encouragés à nouveau » explique-t-il. « Les communes demeurent l’échelon administratif et politique de base de la République, situation renforcée par l’attribution exclusive de la clause générale de compétence [… ] le département demeure une collectivité de proximité connue des citoyens, dont il semble inenvisageable de se passer [… ] la région a également trouvé sa place notamment dans la définition des stratégies applicables aux politiques décentralisées » précise le rapport. « Les économies associées à la disparition d’un niveau d’administration paraissent se limiter aux seules indemnités des élus intéressés, dans la mesure où, en cas de disparition d’un niveau d’administration, les politiques publiques et les moyens humains qui y sont affectés devraient être attribués à un ou plusieurs des niveaux d’administration restant » complète Boris Ravignon qui enfonce le clou : « la France n’a pas une catégorie de collectivités à supprimer, une strate d’élus à liquider pour que tout s’arrange, pour remédier à l’impuissance publique, pour combler les déficits, pour motiver les citoyens à s’exprimer à nouveau aux élections ».
Dans le viseur de la mission, les normes dont « les plus coûteuses se retrouvent dans les champs de la transition écologique, des politiques sociales et de la fonction publique territoriale ». Pour Boris Ravignon, il apparait urgent de lancer un « chantier de simplification des normes » qui « pèsent sur l’action des collectivités et constituent une ponction financière insupportable à l’heure où des économies sont demandées à tous ». Il souhaite également voir s’intensifier les liens entre Le Conseil National d’Evaluation des Normes (CNEN) et le Parlement, qui pourraient se traduire par la transmission, chaque année aux assemblées (commission des finances, délégation aux collectivités territoriales, rapporteurs…), du bilan annuel de l’impact financier des normes examinées par le CNEN et la transmission automatique des avis sur les projets de loi ayant trait aux collectivités territoriales.
Parce que « les règles de plus en plus complexes de la commande publique génèrent des coûts procéduraux importants pour les collectivités », le rapport propose d’en revoir les règles et l’organisation ce qui permettrait « de la rendre plus efficace et plus efficiente ».
Enfin, « le coût de la gestion des ressources humaines des collectivités territoriales rend indispensable l’engagement d’un exercice spécifique de simplification » note encore le rapport.
Ce rapport de Boris Ravignon est « une contribution à la réflexion plus globale souhaitée par le Président de la République et pour laquelle il a confié un rapport à Eric Woerth », il « nourrira la concertation à venir avec les associations d’élus » sur l’avenir de notre organisation territoriale a conclu Thomas Cazenave dans un communiqué. ■
7,5 Mde
Le coût estimé du « millefeuille administratif ».