Un laboratoire de physique fondamentale à l’École polytechnique
Depuis sa création en 1936 à l’École polytechnique, le Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR) poursuit des recherches en physique des particules élémentaires. Il s’intéresse à l’origine et à la structure de la matière et des interactions fondamentales dans l’Univers ainsi qu’aux sources de rayons cosmiques de hautes énergies. C’est aujourd’hui un laboratoire mixte du CNRS et de l’École polytechnique à Palaiseau. Son programme en recherche fondamentale couvre l’interaction électrofaible des hautes énergies auprès de grands collisionneurs, l’interaction nucléaire forte à haute densité et haute température dans des collisions impliquant des ions lourds, la recherche de la violation CP dans le secteur des neutrinos et les événements cosmiques transitoires avec l’astronomie gamma (γ). Les détecteurs innovants et les technologies en mécanique, électronique et informatique conçus pour ces recherches trouvent des applications développées au LLR avec le profilage de hadrons en thérapie du cancer, l’accélération de particules par interaction laser-plasma, ou la médiation scientifique à travers les jeux vidéo.
Un impact majeur dans les plus grandes expériences de physique à l’international
Le LLR s’appuie sur l’expertise variée des groupes techniques et des physicien(ne)s pour participer à toutes les étapes de grands projets expérimentaux répartis autour de la planète, depuis la construction des détecteurs, l’acquisition et le traitement des données, jusqu’à l’analyse et l’interprétation des résultats.
En physique des hautes énergies, les collisions proton-proton auprès du collisionneur LHC du CERN situé à la frontière franco-suisse reproduisent les conditions de la physique dans les premiers instants de l’Univers et sont étudiées dans l’expérience CMS. Le LLR a contribué à la construction et au système de déclenchement du détecteur d’origine. Il a été protagoniste de la découverte du boson de Higgs (H) puis de sa caractérisation. Le H est un scalaire (spin 0) associé à un nouveau champ quantique présumé responsable d’un mécanisme de brisure spontanée de symétrie électrofaible affectant la nature du vide quantique. Les interactions électromagnétique (de longue portée) et faible (de courte portée), véhiculées par des bosons vecteurs (spin 1) distincts, seraient apparues à un moment critique dans l’histoire de l’Univers primitif. En se propageant dans le vide en présence du champ de Higgs, les particules de matière (spin 1/2) acquièrent une masse via des couplages de Yukawa mis en évidence au LHC. La découverte du boson H a permis d’étendre considérablement le domaine de prédictibilité de la théorie mais, paradoxalement, la valeur singulière de sa masse mesurée (125 GeV) pourrait déstabiliser l’édifice théorique à très haute énergie. Pour aller plus loin, il faut désormais accéder à la densité d’énergie potentielle associée au champ de Higgs dans le vide. Cela sera rendu possible avec les très hautes luminosités (HL-LHC) attendues à partir de 2029. Le LLR développe actuellement un calorimètre-imageur à haute granularité (HGCAL) optimisé pour HL-LHC. Un HGCAL remplacera les embouts actuels de CMS. Avec pour chacun environ 6 millions de canaux de lecture, ils alimenteront en signaux analogiques à une fréquence de 40 MHz des puces électroniques (HGCROC) développées par le centre de microélectronique OMEGA à l’École polytechnique, et devront opérer dans un environnement extrêmement hostile, avec des doses d’irradiation intégrées allant jusqu’à 2 MGy et une fluence de 1016 neutrons par cm2. Le HGCAL sera un élément clé dans la reconstruction du flux de particules créées par chaque collision avec un impact majeur sur toutes les analyses de physique à HL-LHC.
Pour la physique des ions lourds, le LLR analyse des données proton-noyau et noyau-noyau collectées en cible fixe dans l’expérience LHCb et en collisions dans CMS. Il s’agit d’étudier l’interaction forte à haute densité et haute température pour rechercher et caractériser un nouvel état de la matière, un plasma de quarks et de gluons (QGP). Supposé présent dans les premières microsecondes après la naissance de l’Univers, il prendrait la forme d’un plasma liquide dépourvu de viscosité, un liquide parfait ! La formation d’un QGP peut être étayée par une combinaison de signaux caractéristiques. Un des objectifs pour le LLR est l’observation de la fonte séquentielle des états liés de quarks lourds, les mésons charmés ou beaux, en fonction d’un estimé de la température atteinte pour le plasma. Il s’intéresse aussi à la façon dont les quarks et les gluons se propagent dans la matière nucléaire chaude à travers l’étouffement des jets de hadrons et la manière dont l’énergie et la quantité de mouvement sont transférées au milieu. Les prises de données et les analyses dans ce domaine se poursuivent dans LHCb et CMS auprès du LHC.
Le LLR est impliqué dans les expériences souterraines de physique des neutrinos au Japon, dont T2K, SK et le futur projet HK. Une des motivations principales est la recherche de violation de symétrie CP dans le secteur des neutrinos, une condition préalable essentielle pour une contribution à l’asymétrie matière-antimatière dans l’Univers. On y accède via l’observation de l’oscillation entre neutrinos muoniques et électroniques. L’expérience T2K de longue portée exploite les faisceaux de produits par l’accélérateur JPARC situé à Tokai. Le spectre d’énergie et le flux sont d’abord mesurés dans un ensemble de détecteurs proches. Les neutrinos atteignent ensuite le détecteur de champ lointain SK situé à 295 km en aval. Le LLR a contribué à la construction et à l’électronique des détecteurs proches. Après avoir observé l’oscillation et obtenu une première indication de violation de CP dans le secteur des neutrinos, T2K vise désormais une exclusion de la conservation de CP à un niveau de confiance de 99,7 %. Avec SK, le LLR s’intéresse à la recherche du fond diffus de neutrinos de supernova (DSNB), des phénomènes cataclysmiques qui constituent des éléments importants de la dynamique du cosmos. Le DSNB pourrait fournir des informations non seulement sur le processus d’émission mais aussi sur la formation des étoiles et l’histoire de l’expansion de l’Univers. L’eau de SK est désormais dopée avec du sulfate de gadolinium pour améliorer le signal de la capture d’un neutron et mieux identifier les neutrinos par des réactions de désintégration bêta inverse. Avec un volume fiduciaire d’eau environ 10 fois plus grand que celui du SK, HK fournira une sensibilité accrue au DSNB et pourrait découvrir la violation CP au cours de la prochaine décennie.
En astronomie-γ, le LLR est impliqué dans l’expérience sur satellite Fermi-LAT pour laquelle il a conçu la mécanique du calorimètre et qui fournit encore aujourd’hui des données essentielles dans la gamme d’énergie des de 50 MeV à 300 GeV. Il a récemment détecté, par exemple, le sursaut gamma le plus brillant de l’histoire (GRB 221009A), avec une énergie totale isotrope équivalente la plus élevée jamais observée (1×1055 ergs). Pour des rayons à plus haute énergie, les faibles flux attendus réclament des instruments de très grande surface effective (> 105 m) construits au sol, tel l’imageur HESS installé en Namibie. Le LLR y a conçu et fabriqué la mécanique des caméras des quatre télescopes de 13 m de diamètre ainsi que la caméra du grand télescope de 28 m. HESS mesure les gerbes atmosphériques initiées par les rayons cosmiques dans la gamme d’énergie de 100 GeV à 100 TeV. Elle observait récemment une galaxie à flambée d’étoiles (NGC 253) et un vestige de supernova (SN 1006). Le bestiaire des événements violents transitoires dans l’Univers s’est ainsi considérablement élargi au cours des 20 dernières années avec la caractérisation de milliers de nouvelles sources de rayons cosmiques de haute énergie, des pulsars aux nébuleuses à vent de pulsar, en passant par les restes de supernova, les systèmes binaires ou les noyaux actifs de galaxie formés de trous noirs supermassifs. Le LLR est actuellement impliqué dans la construction d’instruments pour la prochaine génération de télescopes en astronomie - avec le projet CTA pour lequel il conçoit et produit la caméra NectarCAM qui sera utilisée sur les télescopes de taille moyenne. L’objectif est d’améliorer la sensibilité d’un facteur 5 à 10 dans la gamme d’énergie entre 100 GeV et 10 TeV. ■