La mission a d’abord passé à la loupe les raisons de l’erreur de prévision sur le déficit public pour 2023.
Celui-ci a atteint le niveau inédit, hors période de crise, de 5,5 % du PIB. Il s’agit d’une augmentation de 77 milliards d’euros depuis 2017, soit un doublement, essentiellement porté par l’État et ses opérateurs dont le déficit a augmenté d’autant. Si la dépense locale a certes été plus élevée que prévu en 2023, les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la dégradation des comptes publics.
L’écart négatif de 0,6 point de PIB entre les prévisions de solde gouvernementales de fin 2023 (-4,9 %) et l’exécution (-5,5 %) est inédit : sur la période analysée, un tel écart n’a été observé qu’en 2008, lors de la crise financière. À la différence de l’année 2008, il n’est pas dû à une erreur de prévision de croissance, mais à un niveau de recettes particulièrement faible. En 2023, pour 1 % de croissance, les prélèvements obligatoires, qui en moyenne croissent au même rythme que le PIB, n’augmentaient que de 0,4 %. L’année 2023 apparaît, de ce point de vue, comme une normalisation par rapport aux années antérieures.
Commençons par ce qui pose à mon sens le moins de difficulté : les soldes des administrations publiques locales et de sécurité sociale. S’agissant des premières, le solde exécuté s’est trouvé légèrement plus faible que prévu, à 0,4 % du PIB au lieu de – 0,3 %. Quant aux secondes, leur solde s’est aussi avéré inférieur aux prévisions, à + 0,5 % du PIB, principalement du fait d’une estimation trop optimiste de l’évolution de la masse salariale. L’excès d’optimisme de la prévision était faible mais il a eu un impact important du fait du poids des cotisations et contributions sociales parmi les recettes publiques. La mission a aussi tenu compte de l’effet du passage de la base 2014 à la base 2020 des comptes nationaux effectuée par l’Insee sous l’impulsion d’Eurostat, à l’origine de 0,14 point sur le 0,6 point d’écart entre la prévision et l’exécution.
Les choses sont plus problématiques s’agissant du budget de l’État. La dégradation du déficit par rapport à la prévision initiale s’explique par des moins-values fiscales de grande ampleur, malgré des expédients budgétaires pour limiter la dépense en fin d’année. Elle n’aurait pas eu lieu si les prévisions avaient été établies à un niveau plus réaliste.
Ainsi, le rendement de la contribution sur la rente inframarginale (CRIM) de la production d’électricité a été estimé à 12,3 milliards d’euros en loi de finances 2023. Pari risqué ! Car fonder l’intégralité de l’équilibre budgétaire d’une année sur une recette nouvelle, unanimement reconnue comme incertaine, manquait de prudence. Le produit final n’aura finalement été que de 600 millions d’euros. S’agissant de l’impôt sur les sociétés (IS), le Gouvernement, dans le cadre du programme de stabilité présenté en avril 2023, avait misé sur un accroissement de 12,1 milliards d’euros du produit de cet impôt par rapport à la loi de finances initiale, sans le dire explicitement. Aucune justification économique n’a pu être apportée pour expliquer ce niveau, pourtant unique dans l’histoire récente. Si cette évaluation a été réduite par la suite, le produit d’IS, et particulièrement celui du « cinquième acompte » versé en fin d’année, est resté fixé à un niveau étonnamment élevé, alors même que la difficulté à le prévoir aurait dû conduire à une estimation prudente. On ne peut pas exclure que le Gouvernement ait cherché à maintenir ses objectifs de déficit public en affichant des prévisions de recettes fiscales compensant l’effondrement des recettes attendues pour la CRIM. Pour l’éviter, notre mission a recommandé de ne pas inclure de prévision pour le cinquième acompte.
En réalité, l’exécution d’un déficit de l’État proche des prévisions a été permise non pas par des économies mais par le décalage de dépenses vers l’exercice 2024. Depuis 2020, le Gouvernement a ainsi pris l’habitude de reporter des montants massifs de crédits non consommés d’année en année – 16 milliards de 2023 vers 2024. La mission a pu constater qu’il s’agit d’une politique systématique qui établit un circuit parallèle d’exécution des crédits, à l’opposé des principes de transparence et de bonne gestion. Elle est à proscrire, et peut-être faut-il commencer par là avant de décider d’annuler des crédits quand d’autres sont reportés trop massivement, car personne ne s’y retrouve.
Au total, le Gouvernement aurait dû être plus prudent. Il a semblé porté par un optimisme déraisonné, peut-être pour attester de l’efficacité de la politique économique menée depuis sept ans ou pour afficher un prétendu volontarisme qui ne convainc plus que lui-même.
Autre axe important du travail de la mission : comprendre quand le Gouvernement a eu connaissance des mauvais résultats pour 2023.
À partir du 30 octobre et de façon encore plus marquée à partir de la fin novembre, les signaux d’alertes se sont multipliés et ont convergé vers une première révision à la baisse de la prévision de solde public pour 2023 à hauteur de - 5,2 % du PIB, communiquée au ministre dans une note du 7 décembre 2023 de la direction générale du Trésor et de la direction du budget.
Certes, cette note recommande de ne pas communiquer autour de cette prévision encore entourée de forts aléas. Pour autant, comme par le passé, le Gouvernement aurait pu décider d’actualiser le projet de loi de finances alors en cours d’examen par le Parlement. C’est un choix politique, et il ne l’a pas fait pour le PLF 2024, ce qui a privé en particulier les députés, appelés à se prononcer sur une motion de censure déposée par l’opposition dans le cadre de la procédure prévu par l’article 49-3 de la Constitution, de voter en pleine connaissance de cause. À tout le moins, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave auraient pu signaler au Parlement, ou même simplement aux Rapporteurs généraux et Présidents des commissions des finances, cette probable dégradation des comptes publics : ils ne l’ont pas fait.
Outre ce problème, les travaux de la mission ont mis au jour les graves lacunes dans les informations dont le Parlement dispose de la part du Gouvernement.
J’appelle d’abord l’exécutif à respecter ses obligations légales en matière de transmission d’information à la demande de la commission des finances. Nos travaux ont permis de montrer que le ministère des finances s’en était exonéré à l’occasion du décret d’annulation de février. Ce genre de rétention d’information ne doit pas se reproduire.
Au-delà du simple respect de la loi, plusieurs préconisations doivent être mises en œuvre pour améliorer l’information du Parlement : transmettre au Président et au Rapporteur général des deux commissions des finances les notes techniques des administrations relatives aux prévisions macroéconomiques, de déficit public et de recettes, saisir sans délai les commissions des finances en cas de fort dérapage attendu, mais aussi enrichir l’information associée au programme de stabilité – qui prendra une nouvelle forme très bientôt – en particulier par une présentation des hypothèses des diverses recettes fiscales.
Le Gouvernement, tout en mettant un terme à la pratique excessive des reports de crédits, doit également améliorer l’information du Parlement sur les conséquences des décrets ouvrant ou annulant des crédits, qui ne sont pas retracées de manière satisfaisante dans les lois de finances rectificatives ultérieures afférentes au même exercice.
Enfin, l’information dont disposent le Parlement et le Haut conseil des finances publiques (HCFP) doit être améliorée. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un « recalibrage » du projet de loi de finances au cours de la discussion d’automne, en mettant à jour les hypothèses macroéconomiques pour l’année en cours et ses conséquences sur l’année à venir. ■
*https://www.senat.fr/fileadmin/Presse/Documents_pdf/20240613_Rapport_MI_degradation_Finances_Publiques.pdf