Alors que le nombre de patients qui se rendent à l’étranger pour s’y faire soigner aurait doublé en cinq ans, passant de 7,5 millions en 2007 à 16 millions en 2012 et que de plus en plus de pays décident d’investir le créneau du tourisme médical en misant soit sur le faible coût des soins (Thaïlande, Pologne) ou soit sur la qualité de soins prodigués (Etats-Unis, Allemagne, leader en Europe avec 240 000 patients étrangers accueillis en 2014), la France est encore à la traîne dans ce domaine. Notre pays n’a accueilli l’an dernier que 10 000 patients étrangers. Aussi, à la lecture du rapport remis en juin dernier par l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué qui estime que le tourisme médical pourrait pourtant rapporter à la France 2 milliards d’euros et permettre la création de 25 000 à 30 000 emplois en cinq ans, le Ministre des Affaires étrangères et du tourisme, Laurent Fabius et la Ministre de la Santé Marisol Touraine ont décidé fin juillet de donner un coup de pouce à un phénomène qui sans être récent demande à être soutenu en France. « Avec une médecine réputée pour sa qualité, son humanité, son accessibilité » et des tarifs compétitifs, notre pays déjà première destination touristique mondiale aurait des places à prendre dans le domaine du tourisme médical assure Jean de Kervasdoué. Une vision partagée par les ministères de la Santé et des Affaires étrangères qui dans leur communiqué commun de juillet dernier évoquent un marché international de l’offre de soins qui présente des perspectives de croissance majeures, susceptibles d’engendrer des retombées substantielles en matière d’activité économique, de création d’emplois et de recherche en France. « Développer l’attractivité médicale des établissements de santé français est donc une nécessité » expliquent-ils.
« Développer l’attractivité médicale des établissements de santé français est une nécessité »
Aujourd’hui seuls quelques établissements réputés pratiquent cette activité de tourisme médical comme l’institut Gustave Roussy qui depuis 2008 a lancé un certain nombre de coopérations avec des pays du Golfe (Koweït, Arabie Saoudite Emirats arabes unis), l’Algérie et le Kazakhstan. Depuis, cette activité est en pleine croissance, elle est ainsi passée de 98 patients en 2008 à 1395 en 2014. L’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) veut aussi se faire une place sur le marché (Le tourisme médical ne représente encore pour l’AP-HP que 0,5% du nombre total de patients soignés dans ses établissements).
C’est donc à l’issue d’une réunion qui s’est tenue fin juillet, sous la présidence des deux ministres, au Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, qu’il a été décidé la mise en œuvre d’une série de mesures « pour améliorer la visibilité internationale de notre offre de soins et structurer des circuits d’admission adaptés aux patients étrangers dans le plein respect du principe d’égal accès aux soins ». Première mesure : la création d’une « task force » regroupant les fédérations et les principaux établissements de santé « afin de partager les bonnes pratiques et définir les principes encadrant leurs actions ».
Création d’une « task force »
Dans son rapport Jean de Kervasdoué préconisait la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) qui aurait été « chargé de promouvoir, d’organiser et de contrôler la prise en charge des patients étrangers en France », sous la double tutelle des ministères des Affaires étrangères et de la Santé. Au-delà de cette mise en place de la « task force », il est également prévu la création d’une brochure et d’un portail internet présentant l’offre de soins française à destination des patients étrangers ; des allègements administratifs pour l’accueil de médecins et de patients étrangers : un allongement de la durée maximale des stages d’observation de médecins étrangers de un à trois mois ; la refonte des conditions et des modalités d’accueil des médecins étrangers en formation spécialisée en France (« fellowship ») ou encore la mise en place d’une garantie d’un devis préalable et d’une facturation pour les soins programmés des patients étrangers non assurés et non couverts par un accord international, dans le cadre du code de la Sécurité sociale (étrangers payants, soins et autres prestations, hors législation coordonnée de Sécurité sociale). Par ailleurs, précise le Ministère de la Santé, « un compte spécifique de recettes sera créé au 1er janvier 2016 pour les établissements de santé qui permettra un suivi statistique des recettes entrant dans ce cadre ». Un point capital, surtout lorsque l’on sait que pour les seuls établissements de l’AP-HP, la facture pour les impayés de patients étrangers soignés en France avoisine les 118 millions d’euros !
Enfin, pour assurer le meilleur accueil possible à ces (riches) patients étrangers, les ministres ont même pensé à prévoir un accompagnement des métiers touchant à la conciergerie médicale et à l’hôtellerie à proximité des zones de soins. Les besoins de développement et d’adaptation du parc hôtelier à disposition des patients, français et étrangers, et de leur famille seront également examinés par les professionnels. Pour sa part, Jean de Kervasdoué proposait dans son rapport « l’ouverture d’hôtels haut de gamme spécialisés dans l’accueil de malades et de leurs familles ».
Encore beaucoup de réticences en France
Ainsi donc si le marché du tourisme médical existe bel et bien en France il est encore confidentiel, et son développement se heurte à un certain nombre de difficultés, plus culturelles et éthiques que techniques d’ailleurs. Alors que nombre de Français considèrent la santé comme un bien non commercial, ils se montrent inquiets face à un possible risque de marchandisation de la santé redoutant au final des difficultés d’accès aux soins, voire même un système de santé à deux vitesses. L’épisode de l’hospitalisation d’un riche Saoudien qui avait exigé qu’on privatise un étage entier du service orthopédique de l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt en mai 2014 n’a pas aidé à l’apaisement des esprits. Et puis qu’est ce qui demain « pourrait empêcher des patients VIP français de réclamer en payant, d’avoir par exemple deux fois plus d’infirmières pour s’occuper d’eux » s’interroge dans La Croix (édition du 12 août 2015), le Professeur de diabétologie à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, André Grimaldi. Se pose aussi la question de l’application de tarifs spécifiques aux patients non-résidents même si un article de la loi du 21 décembre 2011 prévoit de majorer les tarifs pour les patients étrangers en provenance de pays n’ayant pas de convention de Sécurité sociale avec la France. Selon une étude de France Stratégie de mai 2015, les tarifs à destination des patients non-résidents seraient supérieurs de 30 à 40% aux tarifs de la Sécurité sociale. Une tarification qui pour l’auteur de la note, David Marguerit, « semble plutôt faible au regard du bon positionnement de la France en termes de compétitivité-prix ». Enfin, quid de la répartition des recettes ? Elles sont aujourd’hui conservées par les établissements ayant « hébergés » ces patients étrangers, ce qui aux yeux de certains peut poser problème en créant des disparités entre des établissements « attractifs (neuf, avec des chambres individuelles, parisiens, etc.) et d’autres établissements moins favorisés. Dernière interrogation, celle concernant le cadre juridique entourant la pratique du tourisme médical (interdiction faite aux hôpitaux français de pratiquer une activité commerciale, et interdiction faite aux médecins de faire de la publicité).