Avant d’en venir au sujet délicat des dépenses, les rapporteurs ont d’abord tenu à mettre en avant les atouts du Centre des monuments nationaux sans pour autant oublier les difficultés auxquelles il peut être aujourd’hui confronté. Ils lui reconnaissent d’ailleurs un rôle « incontournable dans la protection du patrimoine » même si celui-ci est « trop peu visible ». Etablissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la Culture, sa première mission est la gestion, l’entretien et la mise à disposition du public des monuments nationaux rappellent les élus. « Le principe général du CMN est celui de la mutualisation des moyens entre les différents monuments » précisent-ils. Aujourd’hui, le CMN gère un ensemble de 110 monuments qui se caractérisent surtout par une très grande diversité. On compte ainsi des monuments connus internationalement (Arc de Triomphe, Cité de Carcassonne, Mont-Saint-Michel), mais également des monuments implantés dans des villes de petite taille ou des sites très ruraux. Cette diversité qui est en grande partie le résultat de l’histoire - « les monuments ayant pour la plupart été confiés au CMN selon les opportunités et les volontés du ministère ou du CMN lui-même » - est à la fois une force et une faiblesse. Il peut être à la fois apprécié comme facteur d’une politique patrimoniale dynamique tout en étant aussi facteur de complexité pour le pilotage général du réseau par le siège.
Il n’en reste pas moins que la fréquentation des lieux gérés par le CMN est au beau-fixe, avec même un record de fréquentation atteint au cours de l’année précédente, avec plus de 11,6 millions de visiteurs en 2023. « Le nombre de visiteurs a augmenté d’un quart en dix ans » soulignent avec plaisir les sénateurs qui notent aussi que l’impact de la crise sanitaire « a été très limité dans le temps et s’est conclu par un retour rapide et massif du public ». Ils remarquent également que les chiffres de la fréquentation révèlent « une forte dépendance » aux visiteurs internationaux, particulièrement dans les monuments parisiens qui représentent 5 des 7 monuments les plus visités en 2023, à l’exception notable du Mont-Saint-Michel et de la Cité de Carcassonne.
Le rapport met encore en avant l’augmentation des ressources du CMN de 157 % entre 2014 et 2023, soit un total de 220 millions d’euros et 135 millions d’euros supplémentaires en dix ans. Le Centre des monuments nationaux dispose de ressources propres que sont ses recettes de billetterie qui « lui permettent de s’autofinancer à hauteur de 50 % du total de son budget ». Toutefois, en augmentation de 55 % en dix ans, « les financements apportés annuellement par l’État représentent en 2023 un peu plus de la moitié des recettes du CMN, contre seulement 17 % en 2014 » constatent les rapporteurs qui y voient là un souci. Le rapport met aussi en lumière que l’État est fortement intervenu en 2021 et 2022 à la suite de la crise sanitaire, afin de compenser la baisse des recettes propres. Cette subvention d’équilibre s’est élevée à 112 millions d’euros au total. « Le CMN a ainsi été parmi les établissements culturels les plus soutenus, alors que ces montants ont été largement supérieurs aux pertes subies du fait de la crise sanitaire ».
Mais, poursuivent les deux sénateurs, « si les recettes du CMN sont très dynamiques, elles peinent à suivre l’évolution des dépenses, elles aussi en forte hausse : + 130 % entre 2014 et 2023 ». Et, insistent-ils, « Cette trajectoire haussière n’a pas été interrompue pendant la crise sanitaire : le montant total de dépenses par an du réseau a doublé entre 2017 et 2023 ».
Cette forte hausse s’explique en partie par une accélération des investissements et la mise en place de divers grands chantiers, notamment celui de la rénovation de l’hôtel de la Marine sur la place de la Concorde à Paris et celui de la Cité de la langue française à Villers-Cotterêts. « Les dépenses engagées par le CMN en termes de conservation et surtout de grands travaux ont ainsi plus que triplé entre 2011 et 2021 » écrivent les rapporteurs non sans inquiétude.
D’autre part, la hausse des dépenses a comme autre explication une hausse des dépenses de personnel, « qui ont crû de 50 millions d’euros entre 2014 et 2023, essentiellement du fait des revalorisations salariales ».
Des dépenses qui ne sont pas sans poser souci et qui, selon les sénateurs pourraient aller jusqu’à mettre en danger le principe de péréquation financière entre monuments qui régit le mode de fonctionnement du CMN. Une péréquation qui repose sur quelques monuments aux recettes d’exploitation excédentaires qui permettent de financer la plupart des autres monuments « structurellement déficitaires ». En 2022, les monuments excédentaires n’étaient qu’au nombre de quatre sur la centaine du réseau. « Dès lors que l’augmentation continue des subventions d’investissement ne peut constituer une solution, le CMN sera sans doute contraint de repousser des projets qui ne peuvent être financièrement soutenables. La cadence des dernières années ne paraît pas pouvoir être maintenue, alors que le CMN estime à 270 millions d’euros le besoin de financement pour l’entretien des monuments en situation de péril ou de mauvais état » concluent les rapporteurs.
Il faut aussi voir que le CMN a, entre 2005 et 2007, vu partir de son réseau quelques grands monuments très fréquentés (château de Chambord, château du Haut-Koenigsbourg, château de Chaumont sur Loire), non compensés par les nouvelles entrées. Une dégradation qui s’est accentuée au cours des dernières années. Si en 2019, les recettes propres des monuments excédentaires permettaient de financer à hauteur de 71 % le déficit cumulé de tous les autres, en 2023, cette proportion n’était que de 28 %. « Ce constat conduit à une fragilisation du principe de péréquation, le réseau dépendant toujours plus de quelques monuments. Toute évolution du réseau aura nécessairement des conséquences sur le modèle de financement du CMN » estiment les sénateurs qui enfoncent le clou : « Après une période d’extension de l’établissement, il est aujourd’hui nécessaire de consolider les récents succès en termes de fréquentation en limitant les prochaines évolutions du réseau ».
Pour sauver et stabiliser ce principe de péréquation, les rapporteurs préconisent notamment de relever les tarifs de 5 euros en moyenne des billets des grands monuments parisiens dont la fréquentation augmente fortement, « afin de les aligner sur les autres opérateurs culturels de la capitale » (1). Ils suggèrent comme écrit plus haut, de « stabiliser à court terme l’évolution du parc de monuments du CMN en allouant les ressources découlant de la croissance des recettes propres aux monuments d’ores et déjà en gestion ». Autre recommandation : mettre en place un plan prévisionnel de restauration privilégiant les opérations d’entretien et d’investissement courant en y intégrant des objectifs d’autofinancement. ■
*Le Centre des monuments nationaux : un succès pour la politique du patrimoine, une modèle économique à préserver
1. Le prix d’un billet du CMN s’élève à 5 euros en moyenne. Ce montant est inférieur de deux euros au tarif moyen mis en place par les autres opérateurs du patrimoine.
Entre 2014 et 2023, les ressources du CMN ont augmenté de 157 %, soit un total de 220 millions d’euros et 135 millions d’euros supplémentaires en dix ans.