“Un accord historique” qui marque « un tournant stratégique » et une « vraie démonstration d’esprit européen » s’est félicité Emmanuel Macron à l’annonce de la signature du contrat de vente de Rafale à la Serbie, pays réputé proche de Moscou. Equipé depuis toujours d’avions russes, la Serbie a donc fait le choix du Rafale, qualifié par le président Aleksandar Vucic de « meilleur avion au monde ». Ils viendront équiper la Force aérienne et la Défense aérienne des Forces armées serbes en remplacement de ses 14 Mig 29 de fabrication russe vieillissants. « Cette décision prise par la Serbie de s’équiper pour la première fois d’un avion Dassault confirme la supériorité opérationnelle du Rafale et son excellente capacité à servir les intérêts souverains d’une nation » a pour sa part déclaré le Président-Directeur général de Dassault Aviation, Éric Trappier présent à Belgrade ce jour pour signer avec le Ministre serbe de la Défense, Bratislav Gaši un contrat d’un montant annoncé de 2,7 milliards d’euros. L’accord porte sur l’acquisition de neuf monosièges et de trois biplaces dont la version n’est pas encore connue (F3-R ou F4.1 ?), mais il s’agira du « modèle le plus moderne actuellement en service dans l’armée française » a tenu à préciser Éric Trappier. Les avions devraient être livrés entre 2028 et 2029.
Avec la Serbie, le Rafale équipe maintenant huit pays, dont trois européens : Émirats arabes unis, Égypte, Indonésie, Qatar, Inde, Grèce et Croatie, pays voisin de la Serbie et pas forcément en bons termes.
Mais avant de connaître ce succès à l’export, le Rafale est passé par une longue traversée du désert. Conçu dans les années 80 comme un appareil multirôle (combat aérien, dissuasion nucléaire, bombardement, reconnaissance…), le Rafale est certes petit mais il est « costaud ». Sa capacité d’emport d’armement ou de carburant est de 9,5t presque autant que son propre poids à vide. Une performance en comparaison de ses concurrents étrangers et américains notamment, plus lourds. En France, le Rafale a d’abord été déployé dans sa version Marine en 2004 avant d’être livré à l’armée de l’air en 2006*.
Reste que l’avion français qui ne déméritera pas en Afghanistan, bien au contraire, ne se vend pas. Le Rafale fait face à une rude concurrence essentiellement américaine qui casse les prix en produisant en très grand nombre. Il faut attendre 2015 pour que le vent tourne avec une commande égyptienne de 24 appareils suivie d’une autre en 2021 (31 Rafale). En mai 2015, le Qatar signe à son tour pour 24 avions (+16 en 2017). L’Inde en 2016 fait l’acquisition de 36 avions. A l’international mais aussi en Europe. La Grèce inquiète face à la montée en puissance belliciste de la Turquie décide d’acheter en 2020 18 Rafale, dont 12 sont pris dans les stocks de l’armée de l’air. Et enfin en novembre 2021, la Croatie achète 12 Rafale d’occasion. Et Dassault poursuit sur sa lancée. La même année, les Emirats arabes unis signent un contrat à 16 milliards d’euros pour l’achat de 80 Rafale. En 2022, l’Indonésie s’engage avec l’avionneur pour 42 avions. Le succès est là. Il se murmurerait que l’Irak serait aussi intéressé par notre avion. Peu de temps après cette signature en Serbie, le PDF de l’avionneur français a annoncé en exclusivité sur Europe 1, une prochaine signature. « Je pense qu’on peut attendre un autre contrat avant la fin de l’année » s’’est réjouit par avance Éric Trappier.
Aujourd’hui, trois Rafale sortent par mois de la chaîne de montage de l’usine Dassault de Mérignac. Dans les prochains semaines, il serait même envisagé de passer à la cadence de quatre appareils par mois. Et ce sont plus de 7000 employés dans 400 entreprises qui produisent les 300 000 pièces nécessaires à la construction du Rafale. Entre la commande et la livraison, il faut compter trois ans.
Reste que la vente de Rafale à la Serbie n’est pas sans inquiéter certains observateurs qui craignent un transfert d’informations et de technologies sensibles à la Russie. Une inquiétude vite levée par le Chef de l’Etat qui a assuré que « Toutes les garanties sont toujours prises pour préserver notre propriété intellectuelle et notre savoir-faire », sans pour autant que l’on sache lesquelles. On sait cependant qu’il existe un système de « clés » qui permet de verrouiller à distance l’accès à certaines technologies électroniques notamment. Après de longues réflexions, la Commission interministérielle pour l’étude de l’exportation des matériels de guerre a donc fini par donner son accord.
D’autres experts ont aussi fait part de leurs craintes de voir la Serbie, pays qui n’a pas reconnu le Kosovo disposer d’un tel appareil de combat. Pas d’inquiétude là non plus s’est empressé de répondre Emmanuel Macron, le « club Rafale » peut, a-t-il dit, « participer à la paix en Europe » et être une « formidable chance d’intégration régionale ». Mais si la France n’a pas prévu de livrer à la Serbie le missile air-air à très longue portée Meteor dont la portée est de plus de 200 kms, il semblerait, selon les informations du site « Le courrier des Balkans », que l’entreprise israélienne Elbit, déjà très présente en Roumanie et en Macédoine du Nord, assurerait la compatibilité entre les Rafale et les armements russes et chinois dont disposent en nombre les Serbes.
Avec ce contrat, Paris espère voir la Serbie prendre encore un peu plus ses distances avec Moscou pour s’ancrer à l’Europe plus fermement. La Serbie a ouvert des négociations d’adhésion en 2012 mais elle met aujourd’hui peu d’entrain à les poursuivre. Sur l’Ukraine, le pays ménage la chèvre et le chou laissant ses usines d’armement produire des munitions pour Kiev tout en ne prenant aucune sanction contre Moscou. Belgrade a également signé plusieurs résolutions condamnant l’invasion russe. « Je sais très bien qu’Emmanuel aimerait nous voir prendre des sanctions, mais on ne le fera pas et l’on n’en a pas honte » a vivement rappelé le président serbe. Message parfaitement entendu par le président français. « On n’a pas de leçons à donner. La Serbie n’est pas dans l’UE. Donc, elle est souveraine dans sa politique de sanctions et c’est une bonne chose » s’est empressé de lui répondre Emmanuel Macron, non sans arrière-pensée sans doute : Vinci est présent à l’aéroport de Belgrade, la RATP et Alstom ont des intérêts dans la capitale serbe et on évoque aussi un accord nucléaire civil. Ceci peut expliquer cela. ■
*L’armée de l’air et de l’espace et la marine nationale disposent de 234 appareils en service
Baisse des exportations d’armement français en 2023
Dans un rapport annuel adressé au Parlement publié en exclusivité par Médiapart, on apprend que les exportations d’armement français ont reculé à 8,3 milliards d’euros en 2023 après un cru exceptionnel en 2022 (27 Mdse) que l’on devait notamment à la vente de 80 Rafale aux Emirats arabes Unis. Le gouvernement dans son rapport prédit un carnet de commandes « bien plus important » grâce au contrat de quatre sous-marins conclu entre Naval Group et les Pays-Bas, ou encore la commande de 12 Rafale passée par la Serbie.