Au cœur du système
Dans « La Citadelle », Jean-Michel Blanquer a choisi de ne pas retenir ses coups et de nous livrer sa vérité. L’ancien ministre de l’Education nationale relate les cinq années qu’il a passées « au cœur du gouvernement » de 2017 à 2022. Jean-Michel Blanquer a tout vu et tout connu du macronisme, le bon et le moins bon. D’abord porté aux nus, il est ensuite pointé du doigt pour avoir sans doute voulu imposer une certaine vision de la République et de la laïcité. L’ancien ministre raconte aussi les réformes passées lorsqu’il était aux manettes (dédoublement des classes de CP et CE1 en zones d’éducation prioritaire notamment) et celles qu’il a fallu remiser pour parfois de mauvaises raisons. Jean-Michel Blanquer n’épargne non plus personne. Macron, Bayrou, Kohler, ou Le Maire en prennent tous pour leur grade. Le seul épargné est lui-même. Mais ce qui prédomine dans ce livre, c’est surtout la déception politique et l’amertume personnelle d’un homme qui a finalement subi l’humeur changeante d’un président à la « vision bien trop personnelle de l’usage des pouvoirs présidentiels ». ■
La citadelle – Au coeut du gouvernement - Jean-Michel Blanquer – Albin-Michel – 416 pages
Nouveau monde
Ludovic Greiling s’est astreint à une relecture méticuleuse de nombreux textes et interventions publiques de dirigeants politiques occidentaux : Emmanuel Macron, Ursula Von der Leyen, Pascal Lamy, Antonio Guterres, Jose Manuel Barroso, Barack Obama, Jean-Claude Trichet, Mario Draghi, etc… auxquels de nombreux analystes politiques n’ont pas vraiment prêté attention. Il a été frappé par l’évidente anticipation des décisions qui ont été effectivement prises mais aussi l’extravagance et parfois la violence des propos tenus. L’auteur montre que ces hommes et femmes ne sont souvent que les figures récentes d’une élite qui a toujours rêvé d’un nouveau monde et qui cherche aujourd’hui encore à le transformer radicalement. « Le terme anglais de « reset », popularisé par le forum de Davos, n’est pas un hasard lexicologique » souligne d’ailleurs Ludovic Greling. Les maître-mots de cette élite supposée sont « globalisation » et « révolution » avec un objectif, celui de faire table rase des sociétés actuelles pour les remplacer par un nouveau monde, le leur. ■
Le monde qu’ils veulent, lire et écouter nos élites pour comprendre la révolution en cours - Ludovic Greiling – L’Artilleur – 200 pages
Une bonne tranche de rigolade
Le canular est un art qui se perd. Quelle tristesse. Mais la lecture de ce livre pourrait en inspirer plus d’un et offrir au canular un retour en force. Même si, il faut bien le reconnaître, le bon canular n’est pas à la portée de tout le monde. Aussi avant de vous lancer, prenez le temps de réviser les grands classiques de cet art de l’éphémère. Subversifs et poétiques, coups d’éclat fracassants ou subtils pieds-de-nez, cette anthologie nous plonge dans l’histoire jubilatoire du canular des deux derniers siècles. On y croise l’anglais Theodor Edward Hook, auteur en 1810 à Londres du premier canular, et d’un embouteillage monstre dans la capitale anglaise ; le français Victor Celmas, inventeur du Coup de la tranche de jambon et de celui de la ficelle, qui fut l’un des auteurs les plus prolixes de canulars dans la France d’après-guerre ; ou l’américain Alan Abel, fondateur d’une association de lutte contre l’indécence animale qui, écumant dans les années 60 les émissions de télé pour expliquer la nécessité d’habiller les animaux, réalisa le plus long canular de l’histoire. On s’amusera aussi des canulars d’Alfred Hitchcock, Francis Blanche ou Alphonse Allais qui en la matière ont déployé de réelles compétences et un vrai talent. Un livre contre la morosité ambiante. ■
Le coup de la tranche de jambon - Une anthologie du canular - Matthias Debureaux - Allary Éditions – 174 pages
Héritage
A la demande de son père vieillissant et devenu aveugle, Thibault de Montaigu se lance dans l’écriture d’un livre sur la vie méconnue de son ancêtre Louis, capitaine de Hussards, mort au champ d’Honneur en 14 en sabrant l’ennemi dans une charge héroïque (suicidaire). Après une enquête fouillée qui l’emmènera sur les traces de Louis, ce qu’il apprendra de la vie de son arrière-grand-père lui ouvrira les yeux sur ses liens avec son propre père. Ceci peut expliquer cela. Illusions, désillusions, double-vie … ce roman qui n’en a que le nom est un ultime échange entre un fils et son père. « Je croyais écrire cette histoire pour mon père, alors que c’était l’inverse : cette histoire, il me l’avait offerte. Et chaque fois que j’ouvrirai ces pages, je le retrouverai comme si je tenais son cœur vivant entre mes mains ». ■
Cœur - Thibault de Montaigu - éditions Albin Michel, 328 pages
Miracles
Croire ou ne pas croire. Dans « L’insolence des miracles », Didier Van Cauwelaert recense plusieurs faits inexpliqués majoritairement catholiques (et un musulman pour faire bonne figure) que l’on peut qualifier de miracles. Il ne prend pas partie, il relate simplement les faits. Des faits avérés et disséqués par de nombreux témoins, des historiens, des scientifiques pour la plupart agnostiques, ce qui rend leurs témoignages encore plus fiables. Il y a des phénomènes connus comme ceux accomplis par Padre Pio ou le saint suaire de Turin, il y en a des moins connus pour les profanes comme les miracles eucharistiques ou les phénomènes de bilocalisation… Et puis il y a aussi cette histoire extraordinaire arrivée à Émile Zola. Bien décidé à décrédibiliser le sanctuaire de Lourdes, l’écrivain choisit pour son futur roman deux tuberculeuses en fin de vie qui seront devant ses yeux miraculeusement guéries. L’une d’elle, lors de la reconnaissance de son miracle par l’Eglise déclarera même qu’elle n’aurait jamais pu être guérie sans la présence d’Emile Zola. Foi, raison, déraison, conversion… un livre décidément insolent. ■
L’insolence des miracles - Didier Van Cauwelaert – Plon – 272 pages
Nuit
Alors qu’en désespoir de cause, des migrants escaladent des éoliennes dans le nord de la France, au premier étage du 57, rue de Varenne, un conseiller technique à bout de nerfs tente en vain d’écrire le discours qui sera prononcé le lendemain par le Premier ministre. Que peuvent les mots face à la souffrance de ces rescapés du pire ? À mesure que la nuit s’épaissit, le réel et le rêve s’enchevêtrent, jusqu’au vertige... Nicolas Idier entraîne son lecteur dans une spirale romanesque au rythme effréné. Tantôt « enfer », tantôt « lessiveuse », habité de fantômes illustres et de marabouts en tout genre, Matignon devient sous sa plume le grand révélateur des caractères. Une insomnie tendre et truculente, qui nous fait accéder à la dimension intime de l’expérience politique. ■
Matignon, la nuit - Nicolas Idier – Plon – 176 pages
Perses
Triste hasard mais la fin de la lecture de ce livre a coïncidé avec l’arrestation de cette jeune femme iranienne qui a osé braver les autorités en se promenant en sous-vêtements dans son université en signe de protestation contre l’application abusive du port obligatoire du voile. Sachant ce qu’elle risque, torture et peut être même la mort, on ne peut que saluer son courage. Et encore plus après la lecture de ce « Voyage interdit ». Deux ans après la mort de l’étudiante Mahsa Amini pour un « voile mal ajusté » et les émeutes qui ont secoué le pays en 2022, Anne-Isabelle Tollet s’est rendue sur place incognito. Touriste le jour placée sous la surveillance étroite d’un guide, journaliste la nuit, Anne-Isabelle Tollet a pu rencontrer ces Iraniens opprimés mais pas résignés. Elle a fait la connaissance d’un peuple jeune - 60 % de la population iranienne a moins de 30 ans -, éduqué, cultivé, chaleureux et accueillant. Et courageux. Un voyage interdit, dangereux mais éclairant sur la dictature du régime des Mollahs. N’oublions pas Cécile Kohler et Jacques Paris, un couple français détenu en Iran depuis 2022. ■
Le Voyage interdit. Plongée clandestine dans l’Iran d’aujourd’hui - Anne-Isabelle Tollet – Le Cherche Midi - 224 pages