Depuis 2022, notre système de santé a perdu environ 2500 médecins généralistes, une saignée qui nous a fait passer sous la barre des 100 000 praticiens sur le territoire national. Parallèlement, la population médicale vieillit, avec près de 30 % des généralistes ayant désormais plus de 60 ans. Le renouvellement générationnel est insuffisant pour endiguer cette tendance, et ce sont près de 7 millions de Français qui, aujourd’hui, sont sans médecin traitant. Cette réalité, qui touche aussi bien les campagnes que certaines zones périurbaines ou ultramarines, a des conséquences dramatiques. Les renoncements aux soins explosent, en particulier chez les populations les plus vulnérables, souvent contraintes de choisir entre un accès coûteux et éloigné ou l’abandon pur et simple de leur parcours de santé.
Ces deux dernières années, plusieurs textes législatifs ont permis de faire évoluer la situation à la marge, souvent à l’initiative de parlementaires engagés. La loi Rist 2, adoptée en mai 2023, a introduit des dispositifs visant à encourager une meilleure coordination des soins. La loi Valletoux, votée en décembre 2023, a renforcé les dynamiques territoriales en matière de santé. Enfin, les projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et 2024 ont intégré certaines mesures d’accompagnement. Cependant, il serait illusoire de penser que cette logique des petits pas suffit. Nous sommes encore loin du grand plan d’ensemble qu’appellerait une telle crise.
Malgré tout, certaines avancées notables doivent être soulignées. Sur le plan de la régulation de l’installations des professionnels pour améliorer le maillage du territoire, le cadre a été durci pour les masseurs-kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes, imposant une règle d’installation conditionnée à un départ dans une même zone. Ce dispositif, qui existe de longue date pour les sage-femmes, infirmiers ou pharmaciens, reste malheureusement absente pour les médecins, irréductible profession qui résiste encore et toujours à la régulation et pour laquelle la remise en cause de la liberté totale d’installation fait encore figure de « tabou ». Leur cadre d’exercice repose uniquement sur des incitations financières à exercer dans les zones sous-denses — mesures coûteuses à l’efficacité non démontrée.
Des transferts de compétences ont également été mis en œuvre pour optimiser le temps médical disponible. Les pharmaciens, seuls professionnels accessibles sans rendez-vous, voient leur rôle étendu avec la possibilité de renouveler certaines ordonnances ou de prescrire des antibiotiques pour certaines pathologies comme les angines. Les infirmiers, quant à eux, peuvent désormais signer des certificats de décès, un progrès certes limité mais nécessaire.
Pour libérer du temps médical, le déploiement de 10 000 assistants médicaux, en cours, est une avancée significative. Cet objectif, presque atteint, est une réponse positive, même si elle demeure insuffisante face à l’ampleur des besoins.
En matière de formation, la territorialisation des études de santé a également été amorcée, avec le vote de la quatrième année d’internat obligatoire pour les étudiants en médecine générale dans les zones sous-dotées. Toutefois, cette mesure ne sera applicable qu’à la rentrée 2026-2027, ce qui laisse encore plusieurs années sans solution immédiate pour les territoires en tension.
Ces quelques avancées sont intéressantes mais il reste donc beaucoup à faire pour assurer une meilleure répartition des professionnels de santé. Dans le rapport que je viens de présenter, intitulé “Inégalités territoriales d’accès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes”, j’avance 38 propositions concrètes pour répondre à l’urgence nationale.
La situation dégradée de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire ne doit pas servir de prétexte pour ne pas agir en faveur des zones les moins dotées. Je propose donc de réguler l’installation des médecins dans les zones les mieux dotées et de favoriser leur exercice dans les zones sous-dotées. Toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait ainsi être liée à un exercice partiel dans une zone sous-dotée, sous forme de consultations dans un cabinet secondaire.
Les modalités pratiques d’une telle obligation, notamment son zonage, pourraient dans un premier temps être confiées à la profession elle-même, en suivant l’exemple allemand. Faute de proposition, le législateur devra cependant se substituer à l’inertie de la profession. Ensuite, à mesure que le nombre de médecins augmentera, il faudra préparer un cadre de régulation plus ambitieux, avec un conventionnement sélectif reposant sur une règle d’une installation pour un départ.
La télémédecine a également été présentée comme une solution pour venir en aide aux territoires isolés. Malheureusement, insuffisamment encadrée, elle rate sa cible. Les patients qui y ont le plus recours ne sont pas ceux qui rencontrent le plus de difficultés d’accès aux soins : ils résident le plus souvent dans des communes densément peuplées et favorisées. Nous proposons de revoir les modalités de remboursement, en le conditionnant à des téléconsultations assistées par un professionnel de santé, et de restreindre les aides à l’installation des cabines de téléconsultation aux seules pharmacies situées zones médicalement sous-dotées.
Nous devons aussi repenser notre approche du recrutement médical. Afin d’assurer à long terme une répartition plus équitable des soignants sur le territoire, il est nécessaire de recruter plus d’étudiants issus des zones médicales sous-denses, notamment les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, sous représentés dans les études de santé. Ces derniers sont plus enclins à revenir s’installer dans les territoires où l’offre de soins est insuffisante. Je propose d’introduire un critère territorial dès la première année des études de santé, en réservant des quotas aux étudiants issus de zones médicalement sous-dotées. À cela doit s’ajouter une sortie du modèle exclusivement CHU-centré, avec un plan d’urgence pour créer des facultés et des antennes universitaires dans des villes proches des territoires en tension.
En parallèle, la délégation de compétences doit s’intensifier. Il est temps d’envisager une « loi infirmiers » pour réingénier leurs métiers, ainsi qu’une « loi pharmaciens » pour leur permettre de prendre en charge certains petits maux du quotidien. Nous pourrions également ouvrir une voie directe post-baccalauréat pour les études de pharmacie, afin d’attirer davantage de vocations dans cette profession clé.
Enfin, la pérennité du système passe par une implication renforcée de toutes les professions de santé dans la permanence des soins. Les kinésithérapeutes, par exemple, pourraient être consultés directement pour des pathologies simples comme les entorses, tandis que les biologistes et laboratoires pourraient jouer un rôle accru dans le suivi des patients atteints de maladies chroniques.
Ces propositions ne sont pas une liste exhaustive, mais elles constituent des leviers d’action concrets. Je conclurai par une réflexion : il est temps de bannir l’expression « désert médical ». Elle induit un sentiment d’abandon et masque la réalité d’une crise systémique. Les territoires concernés ne sont pas des déserts, mais des lieux où vivent des millions de Français, qui attendent, à juste titre, que l’accès aux soins redevienne une évidence. C’est à nous, élus et professionnels, d’en faire une priorité nationale. ■