Le fait que le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal soit resté aux manettes pour expédier les affaires courantes pendant une période de soixante-sept jours avant d’être remplacé par le gouvernement Barnier avait été jugé problématique par de très nombreux élus et notamment ceux du groupe Écologiste et social (ÉcoS) qui avaient alors demandé la création d’une mission flash pour examiner les mesures prises par le gouvernement démissionnaire pendant cette période transitoire « exceptionnellement longue ». Un rapport qui tombe à point nommé alors qu’après le gouvernement Attal, le gouvernement Barnier est lui aussi tombé et que l’on attendait la désignation de son remplaçant. « Ce type de situation a des chances de se reproduire » reconnaît Léa Balage El Mariky. « Dans la configuration actuelle de l’Assemblée, sans aucune majorité, construire une coalition prend nécessairement du temps. Et cela sera sans doute encore plus le cas si le mode de scrutin est modifié, avec un passage à la proportionnelle » justifiant ainsi cette mission flash et souhaitant éviter à l’avenir de nouvelles périodes transitoires plus ou moins longues et répétées comme cela existe aussi dans d’autres pays européens*. « Le risque de multiplication de périodes d’affaires courantes plaide pour un renforcement du rôle du Parlement » estiment alors les deux élus. Et Léa Balage El Mariky d’ajouter : « Notre travail peut constituer une première brique pour re-parlementariser notre régime politique ».
Pendant les soixante-sept jours encore au pouvoir après sa démission, le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal a donc expédié ce qu’il convient d’appeler les affaires courantes. Au cours de cette longue période entre le 16 juillet et le 21 septembre, 340 décrets et 1 650 arrêtés ont été publiés au Journal officiel mais « c’est moitié moins qu’un an plus tôt » reconnaissent les deux élus. S’agissant de ces actes, les rapporteurs ne constatent « pas de violation manifeste » du régime des affaires courantes tel que défini par la jurisprudence. Ils soulignent même qu’à date, aucun des 17 recours à leur encontre devant le Conseil d’État n’a abouti à la suspension ou l’annulation d’un acte au motif qu’il excéderait le champ des affaires courantes. Dans leur rapport et en conférence de presse, les rapporteurs ont toutefois émis quelques réserves sur plusieurs mesures (agrément délivré à l’association de lutte contre la corruption Anticor pour qu’elle puisse se constituer partie civile ; nomination par Gérald Darmanin de son chef de cabinet comme directeur de cabinet du préfet du Nord qui serait « de nature à jeter un doute sur le respect du principe d’égal accès aux emplois publics » ; et enfin la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental qui « aurait justifié que le gouvernement, même démissionnaire, rende compte de ses choix devant le Parlement »).
Reste que les rapporteurs ont trouvé qu’il y avait eu pendant ces soixante-sept jours manifestement une « faiblesse du contrôle parlementaire » dont aurait pu profiter le gouvernement. Si l’assemblée n’a pu siéger que lors de la session de droit ouverte le 18 juillet pour une durée de 15 jours, « il n’a pas mis à profit cette période pour assurer un contrôle de l’action du gouvernement démissionnaire » regrettent-ils. D’où ces onze recommandations « afin de repenser les rapports entre le Parlement et le Gouvernement démissionnaire et permettre de faire face à une période d’expédition des affaires courantes qui pourrait se prolonger, sans remise en cause du cadre jurisprudentiel ».
S’agissant du contrôle parlementaire des affaires courantes, la mission propose de consacrer dans la loi un droit d’information du Parlement sur l’activité du gouvernement démissionnaire, sur le modèle du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, permettant au deux chambres d’obtenir copie de tous les actes pris par un gouvernement démissionnaire et de requérir toute information complémentaire. Les rapporteurs souhaitent également qu’un bilan soit adressé au Parlement par le Gouvernement à l’issue de la période d’expédition des affaires courantes.
Les rapporteurs proposent aussi le maintien des séances de questions au gouvernement ainsi que les questions écrites. Autre idée, celle de modifier la Constitution pour permettre au Parlement de se réunir de plein droit lorsque la période des « affaires courantes » dépassent quinze jours.
Faisant aussi le constat du nombre de limité de réunions des commissions permanentes à l’été 2024 pour contrôler l’activité du gouvernement démissionnaire, les rapporteurs appellent à améliorer à droit constant le contrôle exercé par les commissions, qui peuvent se doter, si nécessaire, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.
La réflexion des élus s’est aussi portée sur la question de la responsabilité du Gouvernement démissionnaire qui ne peut être mise en cause par l’Assemblée pendant la période transitoire. Si leurs avis divergent, les rapporteurs partagent le souhait que s’ouvre, dans le cadre d’une prochaine révision de la Constitution, un débat sur l’opportunité de modifier son article 12 afin de limiter les pouvoirs du Gouvernement à l’expédition des affaires courantes en cas de dissolution de l’Assemblée nationale et ce, jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives.
S’inspirant de la pratique du Parlement belge, les rapporteurs suggèrent de donner à l’Assemblée nationale la capacité d’orienter des choix structurants devant être faits en période d’expédition des affaires courantes, en particulier dans des situations d’urgence. La mission suggère, à court terme, de permettre au Gouvernement démissionnaire de faire, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration suivie d’un débat et, éventuellement, d’un vote ; et, à moyen terme, de modifier la Constitution afin de supprimer, en période d’expédition des affaires courantes, l’irrecevabilité que peut opposer le Gouvernement à l’inscription à l’ordre du jour de propositions de résolution.
Enfin, dans une période où le Parlement est privé de son outil de contrôle le plus fort – la censure du Gouvernement – « les actes pris par un gouvernement démissionnaire doivent pouvoir faire l’objet de recours initiés par des parlementaires devant le Conseil d’Etat », dans le respect de la séparation des pouvoirs expliquent les deux députés. Mais pour éviter que la reconnaissance d’un tel « intérêt à agir ne devienne un outil de prolongation, sur le terrain juridique, de débats menés sur le plan politique », il ne serait mis qu’entre les seuls mains des présidents des assemblées parlementaires, des présidents des commissions permanentes et « éventuellement » des présidents de groupes politiques tiennent à préciser Léa Balage El Mariky et Stéphane Mazars. ■
* En 2018, les Italiens ont connu une période transitoire de 88 jours. En Suède (2018-2019) : 134 jours ; 315 jours en Espagne (2015-2016), 360 jours aux Pays-Bas (2023-2024). La Belgique a connu pour sa part en 2010-2011 une période record de 541 jours sans exécutif de plein exercice.